FR.Watchlist March 2024

MARS 2024 LISTE DE SURVEILLANCE 2024

Dernière mise à jour : 5 mars 2024 - La nouvelle liste de surveillance de CIVICUS met en évidence de graves préoccupations concernant l'exercice des libertés civiques au Kirghizistan, au Pakistan, en Palestine, au Sénégal et au Venezuela.

Elle attire l'attention sur les pays qui connaissent un déclin important et rapide du respect de l'espace civique et a été établie à partir de l'évaluation des résultats de recherche faite par CIVICUS Monitor et ses partenaires de recherche, en consultation avec des militants sur le terrain.

Dans les semaines et les mois à venir, CIVICUS Monitor suivra de près l'évolution de la situation dans chacun de ces pays dans le cadre des efforts déployés pour accroître la pression sur les gouvernements. CIVICUS demande à ces gouvernements de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre immédiatement fin aux mesures de répression en cours et de veiller à ce que les responsables de ces actes rendent des comptes.

Ci-dessous, vous trouverez un résumé des violations de l'espace civique qui se produisent dans chaque pays. Si vous souhaitez nous faire parvenir des informations à propos de l'espace civique de ces pays, veuillez nous écrire à monitor@civicus.org.

Au Kirghizistan, pays autrefois considéré comme une valeur sûre en matière de société civile et de liberté des médias en Asie centrale, le Gouvernement fait preuve d’une rare sévérité à l’égard des dissidents.

Deux projets de loi liberticides ont été dévoilés au Parlement kirghize. Le premier, inspiré d’une loi russe, porte sur les « agents étrangers », qui, s’il était adopté, obligerait les organisations non gouvernementales financées depuis l’étranger à s’enregistrer en tant que « représentants étrangers » et leur ferait subir une surveillance et des actes d’ingérence excessifs de la part de l’État. L’autre projet de loi concerne les « médias de masse » et imposerait des règles strictes en matière d’enregistrement et de contenu des médias. En outre, il étendrait ces restrictions aux blogs et aux sites Web, limitant ainsi davantage la liberté d’expression sur Internet dans un pays où les blogueurs et les utilisateurs des réseaux sociaux font de plus en plus l’objet de poursuites en justice, en raison de leurs publications critiques.

Alors que ces deux lois font l’objet de débats, les autorités ont redoublé d’efforts pour restreindre la liberté d’expression dans le pays, en faisant valoir des motifs juridiques fallacieux pour empêcher les médias indépendants de travailler. En janvier 2024, la police et les services de sécurité ont procédé à une perquisition dans les bureaux de deux médias éminents, 24.KG et Temirov Live. Onze journalistes ont été arrêtés lors de cette perquisition et sont actuellement détenus dans l’attente de leur procès après que la police a demandé à des experts linguistiques d’examiner leurs reportages et détecté des « appels à la désobéissance et aux émeutes de masse ». En février, un tribunal a décidé de fermer Kloop Media, l’organisation à but non lucratif derrière le portail d’investigation Kloop, sous prétexte qu’il existe des problèmes en lien avec sa charte, alors que cette fermeture a en réalité été ordonnée en représailles de ses activités médiatiques. Lors de l’audience, des experts gouvernementaux ont affirmé que les reportages « purement négatifs » de Kloop et que ses « critiques acerbes » à l’encontre des autorités entraînaient des problèmes de santé mentale, de dépravation sexuelle et de toxicomanie chez la population.

De nombreux militants, journalistes et personnalités publiques arrêtés en octobre 2022 pour avoir protesté contre un échange de terres controversé qui a transféré le contrôle du réservoir d’eau de Kempir-Abad à l’Ouzbékistan sont toujours en détention pendant leur procès pour « incitation à des troubles de masse » et « tentative de prise de pouvoir par la force ». Dès le début, l’enquête et le procès de cette affaire se sont déroulés dans le plus grand secret et ont été entachés de nombreux vices de procédure qui jettent un doute sur leur équité et leur impartialité.

À l’approche des élections pakistanaises du 8 février 2024, les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ont été fortement restreints.

Des centaines de partisans du parti d’opposition Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), dirigé par l’ancien Premier ministre Imran Khan, ont été arrêtés dans le cadre de manifestations, et grand nombre d’entre eux ont été inculpés en vertu de lois rédigées en des termes vagues et dont la portée est trop large. Des dizaines d’entre eux ont été traduits devant des tribunaux militaires, au mépris du droit international. La nomination des dirigeants du PTI au niveau national et provincial a également été refusée par la commission électorale. Les médias pakistanais se sont vu interdire de couvrir les discours ou les rassemblements d’Imran Khan à la télévision, et l’Office de réglementation des médias électroniques du Pakistan (PEMRA) a ordonné à toutes les chaînes de télévision de ne plus accorder de temps d’antenne aux journalistes considérés comme proches d’Imran Khan et aux personnes accusées de critiquer l’armée ou le Gouvernement.

Plusieurs coupures d’Internet ont été signalées au moment des élections. Les autorités ont ralenti les services Internet et bloqué l’accès aux principales plateformes de réseaux sociaux pendant les événements en ligne organisés par le parti d’opposition PTI. De plus, des informations ont fait état de perturbations d’Internet et de blocages généralisés des téléphones portables le jour des élections.

Au Pakistan, les défenseurs des droits humains et les journalistes encourent encore des risques en raison du travail qu’ils accomplissent. En janvier 2023, la police a procédé à une perquisition du domicile de la défenseuse des droits humains Hooran Baloch à Quetta, au Baloutchistan, tandis que le militant politique sindhi Hidayatullah Lohar a été tué par des tireurs non identifiés en février 2024.

Les autorités ont également réprimé les manifestations de la communauté baloutche, qui dénonçaient les violations persistantes et de longue date des droits humains, telles que les disparitions forcées et involontaires, les exécutions extrajudiciaires, les détentions arbitraires et la torture. Par ailleurs, des dirigeants du mouvement pachtoune Tahaffuz (PTM), un réseau de militants qui se sont mobilisés ces dernières années dans tout le pays contre la discrimination systématique et les violations des droits humains, ont également été arrêtés, poursuivis et attaqués.

Le Sénégal reste sur la liste de surveillance du CIVICUS Monitor en raison de l’aggravation des violations de l’espace civique et des tensions politiques à la suite de l’annonce par le Président Macky Sall du report des élections présidentielles.

Le 3 février 2024, le Président sortant Sall a annoncé que les élections présidentielles, prévues pour le 25 février 2024, allaient être reportées à une date indéterminée. Pour justifier ce report, il a évoqué un conflit entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel au sujet de la liste des candidats. Le 5 février 2024, l’Assemblée nationale sénégalaise a décidé de reporter les élections au 15 décembre 2024 : lors d’une réunion chaotique, des députés de l’opposition ont tenté de bloquer la procédure et les forces de sécurité sont intervenues pour les faire descendre du podium central.

Le report des élections a donné lieu à des manifestations auxquelles les forces de sécurité ont réagi en faisant usage d’une force excessive; ils ont notamment utilisé des gaz lacrymogènes et des balles réelles, faisant ainsi au moins trois morts et des dizaines de blessés. Parmi les autres violations de l’espace civique figurent l’arrestation de manifestants, la restriction de l’accès à l’Internet mobile, la fermeture d’un média, l’emprisonnement de journalistes ainsi que des agressions physiques à leur encontre.

Après que le Conseil constitutionnel a décidé le 15 février que le décret de report des élections était inconstitutionnel et donc nul et non avenu, le Président Sall a annoncé qu’il organiserait des élections présidentielles « dès que possible ». Afin d’apaiser les tensions politiques, des centaines de prisonniers politiques, à savoir des membres de l’opposition, des journalistes et des militants, ont été libérés le 15 février 2024, et des manifestations de la société civile ont été autorisées. Il reste à voir si des élections équitables et transparentes pourront être organisées à temps pour apaiser davantage les tensions.

En septembre 2023, le Sénégal a été placé pour la première fois sur la liste de surveillance du CIVICUS Monitor en raison de la détérioration de l’espace civique à l’approche des élections présidentielles. Ces violations de l’espace civique comprenaient notamment l’arrestation arbitraire de journalistes, de manifestants et de militants, la répression des manifestations de l’opposition, la fermeture de médias, la dissolution du parti d’opposition « Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité » (PASTEF) et les restrictions d’accès à Internet. En décembre 2023, l’évaluation de l’espace civique au Sénégal a reculé, passant de la catégorie « obstrué » à « réprimé », en raison d’une détérioration considérable des conditions de l’espace civique.

En décembre 2023, le CIVICUS Monitor a abaissé le classement de l’espace civique du Venezuela, qui est passé de « réprimé » à « fermé ». Il s’agit-là de la pire évaluation du pays, établie à la suite d’attaques continuelles contre les libertés de la société civile observées sur son sol. Ces derniers mois, les autorités ont intensifié les mesures de répression contre la société civile à l’approche des élections présidentielles prévues pour 2024. On a recensé, preuves à l’appui, des arrestations arbitraires de défenseurs des droits humains, l’adoption d’ amendements à caractère restrictif visant la loi sur les organisations de la société civile (OSC), ainsi que des campagnes publiques de diffamation des OSC.

Dans un contexte d’urgence humanitaire complexe et de tensions politiques accrues, divers mécanismes de censure ont été mis en place dans le cadre d’une stratégie visant à persécuter les défenseurs des droits humains (DDH) et à limiter les déclarations critiques à l’égard du Gouvernement vénézuelien. Le 9 février 2024, la défenseuse des droits humains Rocío San Miguel a été arrêtée arbitrairement avec cinq de ses proches par la Direction générale du contre-espionnage militaire (DGCIM) à l’aéroport international Simón Bolívar. Le 15 février, les autorités vénézuéliennes ont déclaré que Rocío San Miguel se trouvait au centre de détention « El Helicoide » à Caracas, sous la garde du Service de renseignement bolivarien (SEBIN), et qu’elle était accusée de trahison, de conspiration, de terrorisme et d’association, à la suite d’ une décision de la deuxième juridiction contre le terrorisme. Pendant cette période, elle a fait l’objet d’une détention au secret.

Le 14 février, le Procureur général Tarek William Saab a déclaré que ceux qui dénoncent la disparition de Rocío San Miguel commettent un crime et que les défenseurs des droits humains et les OSC travaillent activement contre le Gouvernement. Après que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) eut exprimé sa préoccupation quant à la détention de San Miguel, le Gouvernement vénézuélien a annoncé le 15 février qu’il suspendait les activités du HCDH dans le pays et donnait 72 heures à son personnel pour quitter le pays, après avoir accusé le HCDH de soutenir l’opposition.

Le 12 janvier 2024, l’Assemblée nationale a repris le débat sur le projet de loi « Loi sur le contrôle, la réglementation, la performance et le financement des organisations non gouvernementales et apparentées (projet de loi sur les ONG) ». Si cette loi devait entrer en vigueur, elle constituerait une grave entrave à la liberté d’association.

Depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle les forces du Hamas ont lancé une attaque sans précédent contre Israël, suivie d’une offensive militaire dévastatrice et brutale menée par Israël depuis lors dans la bande de Gaza, plus de 1 200 Israéliens et étrangers ont été tués en Israël et plus de 28 000 Palestiniens ont été tués dans la bande de Gaza, la plupart étant des civils, avec au moins 67 600 blessures signalées chez les Palestiniens jusqu’en février 2024. La bande de Gaza doit actuellement faire face à une catastrophe humanitaire de très grande ampleur : un taux alarmant de 75 % de la population, soit environ 1,7 million de personnes, ont dû quitter leur domicile. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé un sombre avertissement et a indiqué que la population risquait de mourir de faim.

Malgré cette situation humanitaire catastrophique, le financement d’un certain nombre d’OSC et de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a été suspendu, ce qui menace de paralyser les efforts humanitaires et d’accroître les risques de faim et de famine et de compromettre la fourniture de services essentiels. Malgré la prise de mesures immédiates visant à clarifier les allégations selon lesquelles certains membres du personnel de l’UNRWA étaient impliqués dans l’attentat du Hamas du 7 octobre 2023, au moins 18 pays ont suspendu le financement de cet organisme des Nations Unies, qui fournit une aide vitale à des millions de réfugiés palestiniens.

Par ailleurs, les organisations humanitaires qui souhaitent apporter une aide plus que nécessaire à la population civile de la bande de Gaza se heurtent à des difficultés considérables lorsqu'elles essaient de mener à bien leurs opérations. Entre le 1er janvier 2024 et le 12 février 2024, les organisations humanitaires ont prévu 77 missions visant à fournir une aide et à procéder à des évaluations dans les zones situées au nord de Wadi Gaza. Les autorités israéliennes ont facilité l’organisation de 12 de ces missions, ont partiellement facilité l’organisation de 3 d’entre elles, en ont entravé 14 et ont refusé l’accès à 39 d’entre elles, tandis que 9 ont été reportées par les organisations. Des citoyens israéliens se sont également rassemblés pour empêcher les camions d’aide humanitaire d’atteindre Gaza.

Les travailleurs humanitaires, qui sont en première ligne et prennent courageusement des risques pour venir en aide à des millions de Palestiniens déplacés, paient leur engagement au prix de leur vie. Au 15 février 2024, au moins 158 travailleurs humanitaires de l’ONU avaient été tués dans la bande de Gaza depuis le 7 octobre 2023. Il s’agit du nombre le plus élevé de travailleurs humanitaires de l’ONU ayant perdu la vie dans un seul conflit dans l’histoire de l’Organisation.

Les journalistes et les professionnels des médias subissent également de plein fouet les répercussions de cette crise : certains paient au prix de leur vie leur travail courageux, qui les place en première ligne du conflit. Au 13 février 2024, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a relevé preuves à l’appui que, depuis le 7 octobre 2023, au moins 85 journalistes et professionnels des médias ont été tués, 16 journalistes ont été déclarés blessés, 4 journalistes ont été portés disparus et 25 journalistes ont été arrêtés.

Les coupures de courant récurrentes dans les télécommunications à Gaza mettent également en péril la sécurité des civils, des journalistes et des travailleurs humanitaires, en empêchant l’accès à des informations essentielles et vitales, tout en compromettant le bon déroulement des opérations d’aide humanitaire.

Enfin, les bureaux des OSC, y compris les organisations humanitaires, font l’objet de destructions aveugles et parfois délibérées. Médecins du Monde (MdM) a condamné la destruction délibérée de ses bureaux dans la bande de Gaza, tandis que l’Aide médicale à la Palestine (MAP) et le Comité international de secours (IRC) ont signalé des problèmes touchant leurs bureaux en raison de la destruction aveugle des infrastructures par Israël dans la bande de Gaza. Au 15 février 2024, l’UNRWA avait également signalé au moins 321 problèmes impliquant ses installations.