FR.Watchlist July 2024

JUILLET 2024 LISTE DE SURVEILLANCE

Dernière mise à jour : 10 juillet 2024 - La nouvelle liste de surveillance de CIVICUS met en évidence de graves préoccupations concernant l'exercice des libertés civiques au Kirghizistan, en Thaïlande, au Mali, au El Salvador et en Palestine.

Elle attire l'attention sur les pays qui connaissent un déclin important et rapide du respect de l'espace civique et a été établie à partir de l'évaluation des résultats de recherche faite par CIVICUS Monitor et ses partenaires de recherche, en consultation avec des militants sur le terrain.

Dans les semaines et les mois à venir, CIVICUS Monitor suivra de près l'évolution de la situation dans chacun de ces pays dans le cadre des efforts déployés pour accroître la pression sur les gouvernements. CIVICUS demande à ces gouvernements de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre immédiatement fin aux mesures de répression en cours et de veiller à ce que les responsables de ces actes rendent des comptes.

Ci-dessous, vous trouverez un résumé des violations de l'espace civique qui se produisent dans chaque pays. Si vous souhaitez nous faire parvenir des informations à propos de l'espace civique de ces pays, veuillez nous écrire à monitor@civicus.org.

Le Kirghizistan reste sur notre liste de surveillance en raison de la promulgation de la controversée « loi sur les agents étrangers » par le président le 2 avril 2024. Les organisations non gouvernementales qui perçoivent des fonds de l'étranger et prennent part à des activités dites politiques doivent désormais s'inscrire comme « représentants étrangers » avant le 16 juillet. Celles qui ne le feraient pas risquent d'être dissoutes ou de voir leurs activités suspendues. Des médias ont signalé que certaines organisations ont d’ores et déjà mis fin à leurs activités par crainte des conséquences potentielles de la loi.

À l'issue d'une longue procédure, plus de vingt journalistes, militants, défenseurs des droits de l'homme et personnalités de l'opposition, arrêtés dans le cadre de l'affaire Kempir-Abad en 2022, ont été acquittés le 14 juin 2024. Toutefois, le ministère public a fait appel de la décision et les autorités gardent en détention les opposants sur la base d'accusations faites de toutes pièces et sous la menace de lourdes peines de prison.

Onze journalistes du groupe d'investigation Temirov Live ont été jugés en juin. Ils avaient été arrêtés en janvier 2024 et accusés d'avoir appelé à la « désobéissance » et à des émeutes en raison de leur travail journalistique. Ils risquent jusqu'à huit ans de prison s'ils sont déclarés coupables. Au début du procès, quatre personnes étaient toujours en détention provisoire, dont Makhabat Tajibek Kyzy, directrice de Temirov Live et épouse du rédacteur en chef du groupe, Bolot Temirov, expulsé du pays en 2022. Elle a dénoncé avoir été battue par un agent pénitentiaire en avril. Les représentants du bureau du médiateur ont constaté qu'elle présentait des contusions au visage, aux mains et sur le corps. Malgré cela, le parquet a annoncé la clôture de l'enquête sur les faits dénoncés et l'a accusée d'avoir simulé ses blessures.

L'espace pour l'exercice de la liberté d'expression continue de se rétrécir. En mai 2024, la justice a confirmé en appel le jugement ordonnant la fermeture du portail d'investigation Kloop. Un projet de loi sur les médias, largement critiqué, reste à l'étude et d'autres projets législatifs pourraient autoriser le gouvernement à infliger des amendes pour « diffamation » et « insultes » dans les médias et sur Internet sans passer par les tribunaux. En outre, un nombre croissant de blogueurs militants ont fait l'objet de poursuites pénales en raison de leur engagement civique et de leurs publications sur les réseaux sociaux. Par exemple, l'écrivain et militant Olzhobay Shakir a récemment été condamné à cinq ans de prison, le poète et musicien Askat Zhetigen à trois ans de prison et le militant des droits de l'homme Ondurush Toktonasyrov à une amende équivalente à environ 1 000 euros à cause de ses publications sur les réseaux sociaux.

L'état de l'espace civique en Thaïlande suscite de vives inquiétudes, notamment les attaques commises par le gouvernement du premier ministre Srettha Thavisin contre les militants, les critiques et l'opposition.

Le gouvernement a continué d'utiliser les dispositions sur la lèse-majesté et l'article 112 du Code pénal pour arrêter et condamner des militants, des critiques et des hommes politiques pour insultes à la monarchie. Les tribunaux refusent régulièrement la mise en liberté sous caution des accusés ou imposent des conditions strictes lorsqu'elle leur est accordée. Selon l'organisation Thai Lawyers for Human Rights (TLHR), depuis le début de 2020, plus de 270 personnes ont été accusées d'avoir enfreint la loi et au moins 17 d'entre elles sont en détention provisoire.

Parmi les cas récents, nous pouvons citer celui de l'avocat de renom défenseur des droits de l'homme et militant pour la démocratie Arnon Nampa, condamné à deux ans d'emprisonnement supplémentaires en avril 2024, et celui de la députée de l'opposition Chonthicha Jangrew du parti Move Forward Party, condamnée à deux ans de prison en mai 2024. La militante Netiporn « Bung » Sanesangkhom, détenue depuis janvier 2024, est décédée en détention en mai 2024 d'un arrêt cardiaque. Personne n'a rendu de comptes pour sa mort.

Dans un rapport paru en mai 2024, Amnesty International a dénoncé la surveillance numérique illégale dont font l’objet les femmes et les militants LGBTI, notamment par le biais du logiciel espion Pegasus, ainsi les actes de cyberharcèlement de la part d'acteurs étatiques et non étatiques, dans le but de les réduire au silence.

La répression transnationale suscite également des inquiétudes. En mai 2024, Human Rights Watch a fait état d'une recrudescence de la répression à l'encontre de demandeurs d'asile cherchant refuge en Thaïlande. Des gouvernements étrangers ont soumis des dissidents et des militants en exil en Thaïlande à des actes de harcèlement, de surveillance et de violence physique, souvent sous les yeux des autorités thaïlandaises, voire avec leur complicité. Le militant vietnamien Y Quynh Bdap a été arrêté en Thaïlande le 11 juin 2024 et risque d'être expulsé et renvoyé au Vietnam, où il pourrait faire l'objet d'une intense persécution. Bien qu'il ait remporté le plus grand nombre de sièges lors des élections législatives de 2023, le parti d'opposition Move Forward Party court le risque d'être dissous par la Cour constitutionnelle en raison de son engament en faveur de la modification des dispositions sur le crime de lèse-majesté.

L'espace civique au Mali s'est détérioré depuis les coups d'État militaires d'août 2020 et de mai 2021. Ces derniers mois, la censure s'est intensifiée et les détracteurs ont été réprimés, en particulier ceux qui réclamaient la fin du régime militaire et le retour à l'ordre constitutionnel. En septembre 2023, la junte militaire a reporté indéfiniment les élections qui devaient se tenir en février 2024 en invoquant des « raisons techniques ».

Le 10 avril 2024, le Conseil des ministres a adopté le décret 0230/PT-RM, qui suspend les activités des partis politiques et les activités « à caractère politique » des associations jusqu'à nouvel ordre, au titre de la préservation de l'ordre public. Cette mesure fait suite à l'appel lancé le 31 mars 2024 par plus de 80 partis politiques et associations maliennes qui réclament le retour à l'ordre constitutionnel et la tenue d'élections présidentielles. Le lendemain, la Haute Autorité de la communication (HAC), le régulateur national des médias, a invité tous les médias à cesser de diffuser et de publier les activités des associations et des partis politiques.

Depuis décembre 2023, les autorités militaires ont dissous au moins cinq associations ou mouvement politiques, dont certains vraisemblablement à cause de leurs critiques et de leurs appels au retour à un régime civil. Il s'agit notamment de la Coordination des organisations de l'Appel du 20 février 2023 pour sauver le Mali, dissoute en avril 2024 ; de l'Association des élèves et étudiants du Mali et de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l'Imam Mahamoud Dicko, dissoutes en mars 2024 ; de l'association Kaoural Renouveau, dissoute en février 2024 ; et de l’OSC Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, dissoute en décembre 2023.

Entre-temps, des militants, des journalistes et des personnalités politiques ont été détenus de manière arbitraire et poursuivis, notamment pour avoir critiqué la junte et la situation du pays. Par exemple, le 20 mai 2024, l'économiste, militant et universitaire Etienne Fakaba Sissoko a été condamné à deux ans de prison, dont un an avec sursis, ainsi qu'à une amende pour « injures », « atteinte au crédit de l'État » et « diffusion de fausses nouvelles », à la suite de la publication de son livre Propagande, agitation, harcèlement — La communication gouvernementale pendant la transition au Mali. En juin 2024, dix personnalités de l'opposition politique ont été arrêtées et accusées, entre autres, de « conspiration contre le gouvernement » et d'« atteinte à l'ordre public ». Elles sont membres de la Plateforme de la Déclaration commune du 31 mars, qui réclame le retour à l'ordre constitutionnel.

De plus, la HAC suspend régulièrement des médias, souvent à cause de reportages ou de commentaires sur la situation sécuritaire au Mali. En février 2024, la HAC a suspendu France 2, une chaîne de télévision publique française, accusée de se livrer à « une apologie du terrorisme » en « opposant la puissance de feu des groupes terroristes armés » à celle de l'armée malienne dans un reportage de la chaîne sur la situation sécuritaire au Mali.

L'état de l'espace civique n'a cessé de se dégrader sous l'état d'urgence. Depuis le début de son premier mandat en 2019, le président Nayib Bukele a mené une répression impitoyable contre les groupes criminels organisés. Il a également pris des mesures drastiques contre ses détracteurs et a adopté des dispositions qui restreignent les libertés fondamentales des citoyens dans le but de consolider son pouvoir. Ces agissements avaient conduit à l'inscription du Salvador dans la Liste de surveillance de CIVICUS Monitor en mars 2022.

Après sa réélection en février 2024 et sa prestation de serment quatre mois plus tard, de sérieuses inquiétudes existent quant à un déclin significatif du respect des libertés civiques. L'environnement est de plus en plus hostile à l'exercice de la liberté d'expression et d'association, et des cas contre des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme ont été documentés.

La diffamation, l'intimidation, les campagnes de dénigrement et le refus d'accès à l'information restent des tactiques fréquemment employées contre les journalistes. La presse fait face à un environnement restrictif et hostile, illustré par les 319 violations de la liberté de la presse, principalement perpétrées par des agents publics, comme celles enregistrées par l'Association des journalistes du Salvador (APES) lors des élections générales du 4 février 2024 et des élections municipales du 3 mars 2024.

Selon l'organisation de défense des droits de l'homme Cristosal, ces quatre dernières années, l'environnement dans lequel évoluent les défenseurs des droits de l'homme a été le plus difficile depuis la signature des accords de paix en 1992. Les défenseurs des droits de l'homme ont été confrontés à des actes de surveillance, au harcèlement et à d'autres formes de violence, notamment la disparition forcée et la détention arbitraire des femmes défenseures de droits de l'homme, comme l'avait signalé, en 2024, l'Initiative mésoaméricaine des défenseuses des droits humains (IM-Defensoras). En outre, de hauts responsables ont multiplié les discours stigmatisants à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme.

Les femmes journalistes ont été confrontées à des actes d'intimidation et à toute une série de menaces physiques et sur Internet. Début février 2024, l'Alliance des médias féministes a dénoncé les menaces sexistes en ligne qui font référence à des caractéristiques physiques et visent à intimider les journalistes ou à les humilier.

Des réformes législatives restrictives qui pourraient entraver davantage les libertés civiques ont également été adoptées. Un projet de loi sur les « agents étrangers » pourrait être utilisé pour réduire au silence les OSC, car il imposerait une taxe de 40 % sur certains financements internationaux et limiterait les activités légitimes des OSC recevant des fonds ou un soutien de l'étranger. Il les obligerait également à s'enregistrer en tant qu'« agents étrangers » auprès du ministère de l'Intérieur. Le projet de loi a été approuvé partiellement et reste en attente de son approbation définitive par l'Assemblée législative en séance plénière.

En outre, le 27 avril 2024, l'Assemblée législative a approuvé une modification de l'article 248 de la Constitution, qui autorise l'adoption des réformes constitutionnelles durant une seule législature. Auparavant, elles devaient être approuvées par deux législatures distinctes. Cette réforme pourrait limiter la reddition de comptes, la transparence et la participation aux futurs processus constitutionnels. De plus, le 7 juin 2024, les autorités ont renouvelé l'état d'urgence pour la 27ᵉ fois et l'ont prorogé de 30 jours supplémentaires jusqu'à juillet 2024, prolongeant ainsi les mesures abusives qui ont empêché les défenseurs des droits de l'homme et les journalistes de travailler librement et en toute sécurité.

La Palestine reste sur la Liste de surveillance alors que les bombardements israéliens se poursuivent. Au 9 juin 2024, on a enregistré l'assassinat de plus de 37 000 Palestiniens et de 1 139 Israéliens, dont au moins 105 journalistes (100 Palestiniens, 2 Israéliens et 3 Libanais). Plus de 250 travailleurs humanitaires ont été tués à Gaza depuis l'attaque du 7 octobre contre Israël. Depuis, les forces israéliennes ont mené au moins huit frappes contre des convois humanitaires et des locaux de travailleurs humanitaires à Gaza, bien que leurs organisations aient communiqué leurs itinéraires et leurs emplacements aux autorités israéliennes pour assurer leur protection.

Malgré la dévastation que subit la Palestine, l'UNRWA et les OSC palestiniennes continuent de voir leur existence menacée par le gel des financements de leurs principaux donateurs. Même si la plupart des donateurs ont débloqué leurs transferts de fonds à l'UNRWA après la vague de suspensions au début de l'année, le soutien financier de certains donateurs clés, tels que les États-Unis et le Royaume-Uni, est toujours gelé. En mars 2024, la Chambre des représentants des États-Unis a approuvé une loi de finances d’un montant de 1 200 milliards de dollars qui interdit le financement de l'UNRWA à un moment où la catastrophe humanitaire à Gaza se poursuit.