CONTEXTE
RÉFÉRENDUM CONSTITUTIONNEL ET REPORT DES ÉLECTIONS
Le 18 juin 2023, 97 % des Maliens ont officiellement approuvé les amendements à la Constitution de 1992 lors d'un référendum. Certaines de ces modifications sont toutefois controversées et les opposants estiment qu'elles accordent un pouvoir excessif au président. D'après la nouvelle Constitution, le chef de l'État « détermine la politique de la Nation » et a le droit de nommer et de limoger le premier ministre et les membres du gouvernement. En outre, ce dernier sera responsable devant le chef de l'État et non devant le Parlement.
En septembre 2023, la junte militaire a reporté pour la seconde fois les élections qui devaient se tenir en février 2024 pour le retour à un régime civil en invoquant des « raisons techniques ». Le report électoral a été vivement critiqué par les groupes d'opposition, qui ont assuré qu'il s'agissait d'une décision prise de manière « unilatérale » par la junte militaire.
Ces derniers mois, plusieurs personnes, dont des chefs religieux, ont été emprisonnées à cause de leurs critiques, alors que des OSC et des partis politiques de l’opposition ont été menacés de dissolution ou ont été dissous directement.
L’Observatoire pour les #élections et la bonne #Gouvernance au #Mali a été dissout ce mercredi 20 décembre. Le ministre d’État, ministre de l’#Administration et de la Décentralisation a informé le Conseil des Ministres de la décision. https://t.co/vMXg0C7j4a
— Studio Tamani (@StudioTamani) December 22, 2023
LIBERTE D'ASSOCIATION
DISSOLUTION D'OSC PAR LES AUTORITÉS
Le 20 décembre 2023, le Conseil des ministres a publié un communiqué annonçant la dissolution de l'OSC Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance (OSC), à la demande du ministre de l'Administration territoriale et de la Décentralisation. Les autorités ont justifié leur décision en affirmant que, depuis sa création, l'organisation n'a jamais communiqué les sources de financement de ses projets, ni publié de rapports d'activité, comme l’exigent les mesures contraignantes mises en place en décembre 2022 sur la coordination, la surveillance et le contrôle des activités des associations, des ONG et des fondations. Dans le document, les autorités ont également accusé Ibrahima Sangho, président de l'organisation, d'avoir tenu des propos de nature à « troubler l'ordre public », notamment les prédictions de Sangho sur le niveau de participation au référendum constitutionnel de juin 2023.
Début décembre, Sangho avait émis des réserves quant au report des élections, estimant que les conditions étaient réunies pour la tenue des élections en mars 2024. Certains observateurs ont signalé qu'un avertissement ou une suspension auraient suffi pour que l'organisation se conforme à la réglementation.
#Mali : un autre #parti politique en voie de #dissolution https://t.co/3PQvTDcemI
— APAnews (@apa_news) December 30, 2023
UN PARTI D'OPPOSITION MENACÉ DE DISSOLUTION POUR SES CRITIQUES
Le 28 décembre 2023, le parti d'opposition Solidarité africaine pour la démocratie et l'indépendance (SADI) a reçu une assignation en justice qui pourrait conduire à sa dissolution, en raison des déclarations d'Oumar Mariko, leader du parti et hostile aux autorités militaires de la transition. Selon ces dernières, ses propos ont « jeté le discrédit sur l'État ». Mariko est en exil depuis 2022 et son procès devait avoir lieu le 8 janvier 2024, mais il a été reporté au 12 février 2024.
Le 15 juin 2023, un tribunal de Bamako a dissous le Parti social-démocrate africain (PSDA), formation d'opposition qui a été jugée coupable de « trouble à l'ordre public » et d'« atteinte à la souveraineté nationale ». La procédure judiciaire avait été lancée par le ministre de l'Administration territoriale en raison des propos d'Ismaël Sacko, leader du parti — également en exil —, qui a critiqué la gestion de la transition par la junte militaire.
Mali: la défenseuse des droits humains Aminata Dicko, cible d'une violente campagne de dénigrement https://t.co/zk8Kp3JyUD pic.twitter.com/J8OHvJhVOV
— RFI Afrique (@RFIAfrique) February 3, 2023
LA DÉFENSEURE DES DROITS DES FEMMES AMINATA CHEICK DICKO VICTIME DE CYBERHARCÈLEMENT
À la suite de son intervention à la session du Conseil de sécurité des Nations Unies le 27 janvier 2023, la défenseure des droits humains et vice-présidente de l'organisation de la société civile Kisal, Aminata Cheick Dicko, a été la cible de menaces, notamment de menaces de mort, ainsi que d'actes d'intimidation, de diffamation et de harcèlement qui l'ont contrainte à se cacher. Par visioconférence, elle a condamné les exactions commises par les forces armées et les mercenaires du groupe russe Wagner au Mali. Son intervention s’est produite dans le cadre d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur l'avenir de la MINUSMA. Le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, qui s'est rendu à New York en représentation de la junte militaire dirigée par Assimi Goïta, s'est exprimé à ce propos : « Nous n'en avons pas été informés. Nous ne connaissons pas cette personne [...] Nous doutons naturellement de sa représentativité et de sa crédibilité ». « L'instrumentalisation de la société civile à des fins cachées ne sert pas la société civile » a-t-il conclu.
Sur les réseaux sociaux, la défenseure des droits humains a été accusée de « collaborer avec l'ennemi », d'être « utilisée par l'Occident », de « détruire le Mali », de « trahison » et de « collaboration avec les djihadistes », entre autres. Elle a fait l'objet de menaces de mort également. Le 30 janvier 2023, à Bamako, le Collectif pour la défense des militaires (CDM) — un groupe proche de la junte militaire — a déposé une plainte contre Dicko pour « diffamation, calomnies et haute trahison ».
Le 5 février 2023, la diplomatie malienne a déclaré persona non grata Guillaume Ngefa-Atondoko Andali, chef de la division des droits de l'homme de la MINUSMA, et lui donne 48 heures pour quitter le pays. Andali est accusé d'avoir choisi « des usurpateurs s'arrogeant le titre de représentants de la société civile malienne, en ignorant les autorités et les institutions nationales ». L'expulsion d'Andali intervient sept mois après la destitution et l'expulsion d'Olivier Salgado, porte-parole de la MINUSMA.
Le mandat de la MINUSMA au Mali a pris fin le 31 décembre 2023. Six mois plus tôt, les autorités militaires maliennes avaient demandé devant le Conseil de sécurité de l'ONU le retrait « sans délai » de la mission, invoquant l'incapacité de la force de maintien de la paix des Nations Unies à répondre aux problèmes de sécurité.
Here’s how social media activist Rokia Doumbia’s detention defines the siege on free expression in Malihttps://t.co/R3RxPiNpvA
— Media Foundation for West Africa (@TheMFWA) August 30, 2023
DES MILITANTS ET DES CHEFS RELIGIEUX POURSUIVIS POUR AVOIR CRITIQUÉ LA JUNTE MILITAIRE
En 2023, plusieurs personnes, dont des militants défenseurs de la junte, ont fait l'objet de détentions arbitraires, de harcèlement judiciaire et de poursuites pour avoir critiqué les autorités militaires de la transition, la situation en matière de sécurité ou le report des élections.
- Le 14 septembre 2023, un tribunal de Bamako a condamné Adama Ben Diarra, surnommé « Ben le Cerveau », membre du Conseil militaire de la transition et chef du mouvement Yerewolo Débout sur les remparts — favorable à la junte —, à une peine de prison de deux ans, dont un an avec sursis, pour « atteinte au crédit de l'État », en raison de ses commentaires sur le report des élections décidé par les militaires. Il avait été arrêté le 5 septembre 2023 après avoir été convoqué par la Brigade d'enquête judiciaire de la police. Le 27 août 2023, il aurait appelé les autorités à respecter la durée de la transition et aurait critiqué des arrestations présumées effectuées par les forces de sécurité.
- Le 2 août 2023, le Tribunal de la commune IV de Bamako a condamné la militante et vlogueuse Rokia Doumbia, alias #Madame vie chère, à une peine d'un an de prison et à une amende d'un million de francs CFA (environ 1 665 USD) pour avoir critiqué la situation en matière de sécurité et pour avoir parlé du coût de la vie dans une émission diffusée sur TikTok. Elle avait été arrêtée le 13 mars 2023 et avait été présentée devant un tribunal deux jours plus tard pour « outrage au chef de l’État, incitation à la révolte et trouble à l’ordre public par l’usage des technologies de l’information et de la communication ». Bien que les parents de Doumbia aient payé une caution le 3 mai 2023, le procureur a immédiatement émis un nouveau mandat de dépôt.
- Le 13 mars 2023, le journaliste et militant Mohamed Youssouf Bathily, alias Ras Bath, a été placé en détention pour « simulation d'infraction ». Il avait affirmé que l'ancien premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a été assassiné durant sa détention. Bathily, porte-parole du Collectif pour la défense de la République (CDR), a été acquitté de ce chef d'accusation le 11 juillet 2023 ; pourtant, il est resté en prison, car il est également accusé d'« atteinte au crédit de l’État ». En mai 2023, il avait déposé une plainte contre le procureur Idrissa Hamidou Touré pour « forfaiture, arrestation illégale et séquestration ».
- Des agents de la Brigade d'enquête judiciaire de la police ont arrêté le militant anticorruption et professeur d'université, Clément Dembélé, le 17 novembre 2023, alors qu'il s'apprêtait à rencontrer des journalistes au sujet d'une manifestation contre les coupures d'électricité qu'il organisait. Il est accusé d'« atteinte à la sécurité de l'État » et de « menaces de mort par le biais d'un système d'information ». Ces accusations découlent d'un message vocal devenu viral sur les réseaux sociaux dans lequel on entend des menaces de mort contre le président de la transition, le colonel Assimi Goïta, son épouse et ses enfants. L’enregistrement n'a pas été authentifié et aucune information supplémentaire n'est disponible au moment de la rédaction de cette mise à jour.
Les chefs religieux ont également été pris pour cible en raison de leurs critiques sur la situation dans le pays.
- L'imam Bandiougou Traoré a été arrêté le 4 janvier 2024 et a été placé en détention provisoire pour ses critiques contre les autorités lors d'un sermon. Il aurait dénoncé que « de gros moyens » ont été utilisés pour l'organisation d'un festival dans la ville de Kayes, « alors que l'état des routes dans la région se dégrade chaque jour ». Il est poursuivi pour « des propos tendant à troubler l'ordre public ».
- Le 20 décembre 2023, des éléments de la Brigade d'enquête judiciaire ont arrêté le chef religieux Chouala Bayaya Haïdara à son domicile à Bamako, suscitant un mouvement de protestation de dizaines ses sympathisants. Il a été inculpé pour « atteinte au crédit de l'État » et « diffusion de fausses nouvelles pouvant créer des troubles à l’ordre public », en raison de ses critiques dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux sur les fréquentes coupures d'électricité dans le pays et sur une série d'arrestations arbitraires sous le gouvernement militaire. Selon des informations publiées par les médias, son procès devrait se tenir le 12 mars 2024.
Malian journalist Abdoul Niang charged with making false statementshttps://t.co/UW5Cl5D4ff
— CPJ Africa (@CPJAfrica) November 2, 2023
Malian authorities must drop all legal proceedings against journalist Abdoul Niang and allow him to report the news freely - @pressfreedom
Liberté d'expression
ARRESTATION ET POURSUITES CONTRE UN JOURNALISTE
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a signalé l'arrestation, à Bamako, du journaliste Abdoul Niang, chroniqueur web et directeur de la station radio Emergence FM, le 19 octobre 2023, à la suite d’une convocation. Le même jour, il a été inculpé pour « propos mensongers de nature à troubler l’ordre public » en vertu de la loi malienne sur la presse. Cette infraction est passible d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à six mois et d'une amende pouvant atteindre 150 000 francs CFA (environ 250 USD). Il est resté en détention jusqu'au 30 octobre 2023, date à laquelle il a été libéré sous caution.
Ces accusations sont liées à des propos qu’il a tenus lors d’une interview diffusée le 18 octobre sur la page Facebook d’un média local concernant le classement sans suite d’une autre affaire pour diffamation contre lui. Le coordinateur de la Coordination des mouvements et des sympathisants de Mahmoud Dicko a déposé une plainte pour diffamation contre Niang pour ses propos sur les liens présumés du groupe avec la Coordination des mouvements de l'Azawad, une alliance rebelle accusée d'activités terroristes. Le 10 octobre 2023, le parquet a classé la plainte pour diffamation, mais l’a inculpé neuf jours plus tard en raison des propos qu’il a tenus sur le classement de l'affaire dans une interview.
Le 4 décembre 2023, des médias maliens ont informé que le Tribunal du pôle de lutte contre la cybercriminalité l’a condamné à une peine de six mois de prison avec sursis.
1 reporter killed, 2 abducted & 4th wounded in attack by gunmen on 7 Nov in northern #Mali. Concerned by dangers for the media, RSF calls on 🇲🇱 authorities to find the abducted journalists & arrest those who killed Abdoul Aziz Djibrilla.https://t.co/cAc47Fsvob pic.twitter.com/dDjmIzRFMJ
— RSF (@RSF_inter) November 16, 2023
UN JOURNALISTE TUÉ, UN BLESSÉ ET DEUX ENLEVÉS DANS LE NORD
Le 7 novembre 2023, des hommes armés ont attaqué le véhicule de quatre journalistes sur la route qui relie Ansongo à Gao, dans le nord du Mali, alors qu'ils se rendaient à un atelier sur la diffusion de fausses informations destiné aux travailleurs des médias. Les assaillants ont ouvert le feu lorsque le groupe de journalistes a tenté de faire demi-tour, tuant le journaliste Abdoul Aziz Djibrilla de la radio communautaire Naata. Les agresseurs ont également pris en otage Saleck Ag Jiddou, directeur de Radio Coton FM, et Moustapha Koné, animateur de la même chaîne. Harouna Attino, journaliste de la radio communautaire Alafiya, a aussi été blessé dans l'attaque.
Les ravisseurs auraient réclamé une rançon de trois millions de francs CFA (environ 5 000 USD) pour chacun des deux journalistes enlevés. Angela Quintal du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) commente :
Au Mali et dans tout le Sahel, les journalistes sont trop souvent confrontés à la perspective d’être tués ou kidnappés dans ce qui est largement considéré comme l’une des régions les plus dangereuses au monde. Chaque fois que des journalistes sont tués ou kidnappés, cela envoie un message rédhibitoire à tous les autres membres de la presse qui travaillent dans la région et compromet le droit à l’information de la population à cause de l’autocensure.
- Angela Quintal, Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Au lendemain de l'incident, les journalistes du nord du Mali ont décrété une journée sans radio qui a entraîné la suspension des émissions à Gao, à Ansongo et à Ménaka. D'après Reporters sans frontières (RSF), cette attaque s'inscrit dans un contexte marqué par la dégradation extrême de la sécurité dans le nord du pays, exacerbée par une offensive militaire à Kidal, une ville située à 350 km au nord-est de Gao.
“It’s amazing for me to be here, to be free,” remarked French journalist Olivier Dubois just after his release. He was held captive for almost 2 years reports @pressfreedom: https://t.co/B4O3J1uuyY
— IFEX (@IFEX) April 2, 2023
LIBÉRATION D'UN JOURNALISTE INDÉPENDANT FRANÇAIS
Olivier Dubois a été libéré le 20 mars 2023. Il avait été enlevé il y a près de deux ans par un groupe djihadiste. Comme nous l'avions informé, il avait été kidnappé par le groupe djihadiste Jamaa Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaeda, le 8 avril 2021 à Gao. Il travaillait comme pigiste pour Le Point, Jeune Afrique et Libération et s'était rendu dans cette ville pour interviewer Abdallah Ag Albakaye, un lieutenant du groupe djihadiste.
LA MAISON DE LA PRESSE À BAMAKO SACCAGÉE
Le 20 février 2023, des individus non identifiés ont mis à sac les locaux de la Maison de la Presse à Bamako durant une conférence de presse pour le lancement d'une nouvelle plateforme de l'opposition, l'Appel du 20 février pour sauver le Mali. Selon les médias, des vitres et des carreaux ont été brisés et des coups de poing et des chaises ont fusé. Issa Kaou N'Djim, porte-parole de la nouvelle plateforme, relate :
Nous avons vu des gens sortir de nulle part pour venir saccager et essayer d'attenter physiquement à nos vies. Des vitres ont été brisées. Sans notre sang-froid, cela aurait été plus grave que ça. Nous pensons que c'est de l'intimidation.
- Issa Kaou N'Djim, Appel du 20 février pour sauver le Mali.
L'Appel du 20 février pour sauver le Mali est une nouvelle plateforme d'opposition composée de groupes de l'opposition politique et de la société civile, créée pour réclamer l'abrogation du référendum constitutionnel et la tenue d'élections en vue d'un retour à un régime civil.