Contexte
Escalade du conflit dans l'est de la RDC
Dans l'est de la RDC, l'espace civique est gravement menacé par l'intensification de l'offensive militaire du groupe armé M23. Fin janvier, celui-ci a pénétré dans Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, et a pris le contrôle de la ville. Le 15 février 2025, c’était au tour de Bukavu, dans la province du Sud-Kivu. À présent, le M23 occupe de fait la région du lac Kivu et poursuit ses attaques. L'offensive militaire et les combats entre le M23 et les Forces armées de la RDC (FARD), soutenues par l'alliance de milices armées progouvernementales Wazalendo (patriotes en kiswahili), ont fait au moins 8 500 victimes, y compris des civils, selon les autorités. Cette situation a exacerbé la crise humanitaire. Autour de Goma, les camps de personnes déplacées continuent d'être évacués, détruits ou abandonnés, au fur et à mesure que leurs occupants fuient l'insécurité. Des rapports font état d'un recours croissant au viol et à la violence sexuelle comme arme de guerre, notamment sur des enfants.
Le nom de la formation armée (Mouvement du 23 mars) fait référence à la date d'un accord de paix signé en 2009 que le gouvernement congolais n'aurait pas respecté. Le groupe, qui, selon les experts des Nations Unies et d'autres observateurs, bénéficie du soutien du Rwanda, est constitué de plus d'une centaine de groupes armés qui opèrent dans la partie orientale du pays, riche en minerais, près de la frontière avec le Rwanda. Depuis sa réapparition en 2021, ce groupe occupe des pans entiers du territoire de l'est de la RDC, lesquels s'étendent désormais aux villes de Goma et de Bukavu. Bien que le Rwanda ait longtemps nié avoir des troupes militaires dans l'est de la RDC, les experts des Nations Unies estiment que de 4 000 à 7 000 soldats rwandais sont présents en RDC et soutiennent les rebelles avec des drones, des véhicules blindés, des équipements de brouillage GPS et des missiles sol-air.
En février 2025, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution qui exige que le M23 cesse immédiatement les hostilités, se retire de toutes les zones et « démantèle dans leur intégralité les administrations illégitimes sur le territoire de la RDC ». Il a également appelé les forces de défense rwandaises à cesser de soutenir le M23 et à se retirer immédiatement du territoire de la RDC « sans conditions préalables ». Auparavant, le 7 février 2025, lors d'une session extraordinaire, le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies (CDH) avait décidé de créer une commission d'enquête et de lancer une mission d'établissement des faits sur les atrocités commises par toutes les parties belligérantes du conflit armé.
Il a été difficile de documenter les abus commis dans les zones occupées par le M23 en raison des attaques contre les défenseurs des droits humains et des restrictions à la liberté d'expression, de mouvement et d'association. D'une part, des journalistes ont été intimidés et ont fait l'objet de menaces, y compris de mort, qui les ont obligés à fuir ; d'autre part, les autorités de la RDC ont instauré la censure, au moyen de suspensions, de menaces de suspensions ou d'autres sanctions à l’encontre de médias qui informent sur le M23 et sur le conflit. Les restrictions d'accès à I'Internet et aux réseaux sociaux X et TikTok exacerbent la situation et limitent l'accès à des informations vitales.
CIVICUS Monitor avait déjà signalé certaines des violations de l'espace civique, notamment des cas de censure et de menaces, ainsi que des assassinats de journalistes, perpétrées dans les zones contrôlées par le M23 depuis sa réapparition en 2021. Celles-ci s'ajoutent aux violations de l'espace civique commises dans le cadre de l'état de siège, qui a imposé la loi martiale dans les provinces de l'Ituri et du Nord-Kivu dès mai 2021 en réponse aux groupes armés. Elles ont notamment pris la forme d'arrestations arbitraires et de poursuites judiciaires contre des journalistes et des défenseurs des droits humains, ainsi que de dissolutions de manifestations pacifiques au moyen de la force létale.
As the situation worsens in eastern Democratic Republic of Congo, UN expert @MaryLawlorhrds voices extreme concern for the safety of human rights defenders in the region & calls for urgent protection.https://t.co/QHAferMpuH pic.twitter.com/m3KdsbKBqT
— UN Special Procedures (@UN_SPExperts) March 5, 2025
Liberté d'association
Les défenseurs des droits humains menacés, intimidés et contraints de se cacher
Dans l'est de la RDC, les défenseurs des droits humains ont été pris pour cible par les membres armés du M23. Ils sont toujours victimes d'intimidations, de menaces et de violences ciblées, ce qui compromet leur capacité à documenter les violations des droits humains durant l'escalade du conflit. Des organisations de défense des droits humains, telles que Front Line Defenders, ont reçu de nombreux rapports signalant que des défenseurs des droits de l'homme et leurs familles ont fait l'objet de menaces et ont été contraints de se cacher. La rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, a déclaré que le nombre de rapports qu'elle a reçus concernant les attaques contre les défenseurs des droits de l'homme dans l'est de la RDC a considérablement augmenté durant les derniers mois. D'après ces informations, les rebelles du M23 ont ordonné la suspension des activités de la société civile et les défenseurs des droits humains ont dû se cacher ou fuir la région.
Dans un communiqué de presse, elle a affirmé avoir reçu « des informations crédibles selon lesquelles des défenseurs des droits de l'homme sont détenus au secret, disparus de force et torturés à Rutshuru et Masisi, dans le Nord-Kivu, tandis qu’au moins six défenseurs des droits de l’homme sont portés disparus après avoir tenté de fuir Goma, suite à la prise de la ville par le M23 ».
1/ Combatants from Rwanda-backed forces occupying the Congolese city of Goma since January shot dead local musician Delcat Idinco as he filmed a music video in the city on Thursday. Idinco had recently released a title song denouncing the occupation forces.…
— Human Rights Foundation (HRF) (@HRF) February 13, 2025
Des militants assassinés
D'après le mouvement social LUCHA, les rebelles du M23 ont tué Pierre Byamungu Katema, un de ses membres, ainsi que quatre personnes qui siégeaient au conseil local de la jeunesse, le 12 février 2025 dans le village de Muhongoza, au Sud-Kivu. Le collectif a expliqué que les victimes faisaient partie d'un groupe de huit personnes qui avaient été arrêtées par le M23 et forcées de transporter du matériel. Il estime que les cinq victimes ont été prises pour cible en raison de leur activisme pacifique.
Le 13 février 2025, le musicien Delphin Katembo Vinyasiki, alias Delcat Idinco, a été abattu lors du tournage d'un clip vidéo à Goma. Il était connu pour ses chansons critiques sur la corruption et le conflit armé, souvent adressées aux autorités et aux groupes armés. Sa dernière chanson, Bunduki za Kwetu [italique] (Nos armes, en swahili), dénonce les actions du M23. En octobre 2021, les forces de sécurité l'avaient arrêté à Butembo, dans le Nord-Kivu, semble-t-il en raison de ses chansons.
Des travailleurs humanitaires assassinés
Le travailleur humanitaire Médecins sans frontières (MSF), Jerry Muhindo Kavali, est décédé le 21 février 2025 des suites de ses blessures. Il avait été touché par une balle à Masisi, au Nord-Kivu. Le 6 février 2025, l'organisation humanitaire suisse Heks a annoncé que trois de ses employés, qui étaient en mission humanitaire, avaient été tués dans la localité de Rutshuru, au Nord-Kivu.
Liberté d'expression
Les journalistes ont fait l'objet d'intimidations et de menaces, y compris de mort, dans le contexte de l'escalade du conflit dans l'est de la RDC.
L'organisation de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières (RSF) a expliqué que les journalistes avaient été affectés par la dégradation de la situation sécuritaire même avant la prise de Goma par le M23. De janvier 2024 à janvier 2025, RSF a enregistré 52 violations de la liberté de la presse rien qu'au Nord-Kivu, la province la plus touchée. Parmi elles, le pillage d'au moins 26 stations de radio communautaires, dont au moins dix ont été directement attaquées par le M23. Souvent, avant l'arrivée du groupe armé, les stations de radio ferment leurs portes, soit de force, soit par mesure de précaution, et les journalistes reçoivent des messages ou des appels menaçants. D'après les chiffres de l'Union nationale de la presse congolaise (UNPC), environ 90 journalistes ont été contraints de fuir la région, et certains ont même été pourchassés par le M23. Un journaliste d'une radio communautaire a été assassiné en novembre 2024.
L'accès à des informations vitales a également été entravé par les coupures d'Internet et les restrictions imposées aux réseaux sociaux X et Tiktok, ainsi que par les tentatives de censure des médias qui couvrent le conflit.
Menaces de mort, agressions et meurtres de journalistes
Le 9 janvier 2025, le journaliste de Labeur Info Jonas Kasula et le reporter de Molière TV Jonathan Mupenda ont été obligés de se cacher après avoir reçu des menaces de mort par SMS, suite à leur couverture des combats en cours à Bweremana, à 40 km de Goma. Après avoir publié une photo de sa famille sur X, le journaliste indépendant Daniel Michombero, établi à Goma, a reçu des messages menaçants dans les commentaires de la publication. On lui suggérait notamment de fuir au Rwanda avec d'autres réfugiés ou de se mettre sous la protection du M23 pour échapper aux représailles.
Des attaques contre des journalistes ont également été signalées. Par exemple, le 26 janvier 2025, des individus non identifiés ont attaqué la journaliste de Sky News Yousra Elbagir alors qu'elle couvrait un déplacement massif de population à la suite de l'offensive militaire du M23 dans un village au nord de Goma. Ses agresseurs lui ont également volé son matériel de travail. Par ailleurs, des membres de la milice Wazalendo auraient attaqué le journaliste Samuel Adiba de Go FM, une station de radio spécialisée dans les droits des femmes, et volé son équipement.
Le 6 novembre 2024, le journaliste de la radio communautaire Mpety, Yoshua Kambere Machozi, a été retrouvé mort à Katobi, à 180 km de Goma, huit jours après avoir été « arrêté » par des membres du M23. Les bureaux de la station ont été pillés.
#DRC 🇨🇩 While the trial has ended, @RSF_inter calls for further investigation into the murder of journalist Patrick Adonis Numbi to address the many questions that remain unanswered. https://t.co/wSb87uXddM
— IFEX (@IFEX) February 19, 2025
À Lubumbashi, dans le sud-est de la RDC, un tribunal a condamné huit personnes à la peine de mort pour le meurtre de Patrick Adonis Numbi, cofondateur de Pamoja TV, dont le corps avait été retrouvé le 7 janvier 2025 avec des marques de coups de machette à la tête et de coups de couteau. Trois autres personnes ont écopé de deux ans de prison pour complicité. Malgré ces condamnations, le mobile du meurtre demeure flou.
Selon des sources, le jour de sa mort, il revenait d’un tournage sur l’accaparement illégal d’une portion d'une rivière près du lac Kipopo, à Lubumbashi.
##RDC : Le Bureau du CSAC supend, à titre conservatoire, de diffusion, la chaîne AL JAZEERA. Cette suspension est d'une durée de 90 jours. Il est reproché à ladite chaîne la diffusion d'une interview accordée à un leader du groupe terroriste M23, sans recoupement des sources ni… pic.twitter.com/o1NPqYG3xx
— CSAC RDC (@csac_rdc) January 13, 2025
Suspension et menaces de sanctions à l'encontre des médias
Le 13 janvier 2025, le Conseil supérieur de l'audiovisuel et de la communication (CSAC), le régulateur des médias de la RDC, a ordonné la suspension d'Al Jazeera pour 90 jours « à titre conservatoire » pour avoir cherché à « déstabiliser les institutions de la République », suite à la diffusion d'une interview de Bertrand Bisimwa, le chef des rebelles du M23 dans l'est de la RDC. Le 9 janvier 2025, le ministre de la Communication Patrick Muyaya avait déjà annoncé le retrait de l'accréditation des journalistes d'Al Jazeera. Deux jours auparavant, le 7 janvier 2025, le président du CSAC, Christian Bosembe, avait averti sur son compte Twitter que les chaînes françaises France 24, RFI et TV5 Monde seraient sanctionnées pour avoir informé de « prétendues avancées » du M23, en affirmant qu'il s'agissait d'un cas d'« apologie du terrorisme ». Le même jour, le CSAC aurait envoyé des lettres aux mêmes médias, dans lesquelles il les accusait de manquer « d'objectivité et d'équilibre », tout en les menaçant de « sanctions exemplaires et sévères ».
Le 30 janvier 2025, lors d'une conférence de presse, Bosembe a également adressé un avertissement ferme aux médias nationaux et internationaux qui couvrent le conflit et les a invités à faire preuve de professionnalisme afin d'éviter de semer la peur au sein de la population. Tout média qui accorderait du temps d'antenne aux partisans du M23 pour « justifier des prises de territoire » s’exposerait à des sanctions, voir à la fermeture. Le CSAC a également imposé des restrictions à la couverture médiatique des discussions sur les opérations militaires de la RDC et a indiqué que ces sujets ne pourraient être abordés qu’en présence d’un expert militaire. Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), commente :
Les journalistes qui couvrent la crise à Goma doivent respecter les principes du journalisme éthique, tout en veillant à leur propre sécurité et à celle de toutes les parties impliquées dans le conflit. Cependant, les organes de régulation ne devraient pas entraver le travail des médias, sauf en cas de manquement déontologique. Ce que nous observons actuellement est une tentative évidente de museler le journalisme indépendant, à un moment où les citoyens ont un besoin urgent d’accéder à l’information.
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Le 19 décembre 2024, le CSAC avait décidé de suspendre huit chaînes de télévision de Canal+ dans le but de « préserver l'ordre public et les bonnes mœurs ». Canal+ POP, Canal+ Elles, E, SYFY, MTV, Canal+ ACTION, AB1 et Canal+ Cinéma ont été suspendues durant 45 jours, accusées de diffuser des programmes jugés « immoraux » qui inciteraient la jeunesse à une « sexualité irresponsable ». En septembre 2024, le CSAC a suspendu Canal+ POP pendant 45 jours, après la diffusion de l'émission de téléréalité The Bachelor Africa, jugée immorale par le régulateur, malgré son interdiction antérieure du 5 septembre 2024.
⚠️ Confirmed: Metrics show an ongoing disruption to connectivity at the Goma internet exchange in eastern Democratic Republic of Congo; the incident comes amidst a major military escalation with neighboring Rwanda as authorities present measures to "counter Rwandan propaganda" pic.twitter.com/4nlXOTKkRQ
— NetBlocks (@netblocks) January 27, 2025
Restrictions de l'accès à Internet et aux réseaux sociaux
Le 25 janvier 2025, alors que le M23 attaquait et avançait sur Goma, les autorités auraient ordonné la coupure de l'accès à Internet, d'après certaines sources. D'après la coalition #KeepItOn et des médias, les réseaux sociaux X et TikTok auraient été bloqués à partir du 1ᵉʳ février 2025. Le 3 février 2025, NetBlocks a signalé que, d'après ses données, l'accès à la boutique numérique Google Play Store avait été restreint, vraisemblablement pour éviter que les utilisateurs ne téléchargent des services VPN pour contourner les restrictions visant X et TikTok.
Le ministre de la Justice menace les journalistes et les acteurs de la société civile de poursuites judiciaires, y compris de la peine de mort
Le 9 janvier 2025, sur X, le ministre de la Justice a menacé : « Tout acteur politique, de la société civile, journaliste et religieux, qui relayera les activités de l'armée rwandaise et ses supplétifs du M23, subira désormais la rigueur de la loi (PEINE DE MORT) ». Comme nous l'avons signalé, le moratoire sur l'exécution de la peine de mort a été suspendu en mars 2024.
#RDC : vers une mise au pas des journalistes qui couvrent la guerre ? https://t.co/0zCOz1B3aS
— Franck Ngonga (@FranckNgonga) January 14, 2025
Liberté de réunion pacifique
Manifestations contre l'offensive militaire du M23 et l'escalade du conflit dans l'est de la RDC
Plusieurs manifestations ont eu lieu à la suite de l'escalade du conflit armé dans l'est de la RDC. Par exemple, en Maniema, où s'est tenue une manifestation de solidarité et de soutien aux forces armées de la RDC (FARDC) et aux Wazalendo le 30 janvier 2025. Des manifestations similaires dans la province du Haut-Katanga ont été annulées après l'interdiction, le 29 janvier 2025, par un conseil provincial extraordinaire de sécurité, de toutes les réunions et de tous les rassemblements politiques jusqu'à nouvel ordre. Le 28 janvier 2025, les manifestations à Kinshasa sont ont pris un tournure violente lorsque certains manifestants ont attaqué l'ambassade du Rwanda, ainsi que les ambassades de France, de Belgique et des États-Unis, des pays qu'ils accusent de rester les bras croisés face aux événements dans l'est de la RDC.
Au moins onze morts et des dizaines de blessés lors d'une réunion publique du groupe armé M23
Au moins onze personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées le 27 février 2025, à Bukavu, lors de l'explosion de deux bombes durant un rassemblement public organisé par le M23 et ses partisans, notamment l'Alliance du fleuve Congo (AFC). Cette dernière est une coalition politico-militaire de groupes rebelles dont fait partie le M23.