
Contexte
CIVICUS Monitor a classé l'espace civique du Mali dans la catégorie « réprimé », la deuxième plus mauvaise du classement. En juillet 2024, le Mali a été ajouté à la Liste de surveillance de CIVICUS, qui recense les pays connaissant un déclin rapide des libertés civiques, alors que la junte continue de réprimer les médias, la contestation pacifique et l'opposition politique.
Quatre ans après avoir pris le pouvoir, le régime militaire de Bamako n'a toujours pas annoncé un calendrier précis pour la tenue des élections et la transition vers un régime civil. Depuis 2021, la violence des groupes islamistes a presque doublé et la situation économique et sécuritaire n'a cessé de se dégrader. Comme le montre cette investigation du réseau de journalistes Network of African Investigative Reporters and Editors, la plupart des Maliens craignent constamment pour leur sécurité.
La junte autorise de nouveau les activités politiques, mais les opposants restent en prison
Le 10 juillet 2024, la junte militaire a annoncé qu'elle autorisait les partis et associations politiques à reprendre leurs activités, qu'elle avait suspendues trois mois plus tôt. Selon les autorités militaires, cette suspension visait à « contenir toutes les menaces de troubles à l'ordre public qui planaient sur [...] le Dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation nationale » qui s'est tenu du 13 avril au 10 mai 2024. Ce « dialogue » a débouché sur des recommandations préconisant la prolongation de la période de transition de deux à cinq ans et la modification de l'article 9 de la charte de la transition pour que le président Assimi Goïta puisse se présenter aux prochaines élections présidentielles.
Le 12 novembre 2024, un tribunal a rejeté la demande de libération de onze critiques de la junte militaire arrêtés en juin pour « opposition à l'exercice de l'autorité légitime ». Comme nous l'avons signalé, la Plateforme de la déclaration du 31 mars, la principale coalition de partis politiques d'opposition, s’était mobilisée pour le retour à l’ordre constitutionnel et certains de ses membres ont été accusés d'avoir organisé une réunion clandestine le 20 juin 2024, en violation de l'interdiction des activités politiques, levée à présent. Le 9 septembre 2024, le juge d'instruction chargé de l'affaire a ordonné leur libération sous contrôle judiciaire. Cependant, les demandes de mise en liberté provisoire ont été rejetées à la suite d'un appel déposé par le parquet. Mahamadou Konaté, responsable de l'équipe d'avocats de la défense, a dénoncé l'instrumentalisation de la justice.
Un homme politique se fait arrêter pour avoir critiqué la junte militaire burkinabé
Le 13 novembre 2024, Issa Kaou N'Djim a été arrêté à Bamako pour ses propos lors d'une émission de télévision. On lui reproche d'avoir tenu « des propos jugés gravissimes » à l'égard des autorités militaires de transition du Burkina Faso lors d'une émission de la chaîne de télévision malienne Joliba TV News, le 10 novembre 2024. D'après le Conseil supérieur de la communication (CSC), le régulateur des médias burkinabé, ses paroles cherchaient à « jeter un discrédit sur les autorités, prétextant sans aucune preuve que l’affaire de la énième tentative de déstabilisation du Burkina Faso n’est qu’un montage ». Depuis juillet 2024, les juntes militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso font partie de l'Alliance des États du Sahel (ASS), une nouvelle confédération formée après leur départ de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Liberté d'expression
De nouvelles suspensions des médias internationaux
Le 23 août 2024, la Haute Autorité de la communication (HAC) du Mali, le régulateur national des médias, a suspendu les émissions de la chaîne d'information privée française LCI pour une période de deux mois, en raison de « fausses accusations » portées contre l'armée malienne et ses alliés russes durant une émission. La HAC a notamment condamné les propos tenus par le colonel Michel Goya, spécialiste des questions militaires, lors de l'émission télévisée «Wagner décimé au Mali : la main de Kiev», qui, d'après elle, sont assimilables à «l'apologie du terrorisme et à l'incitation à la déstabilisation».
Le 5 septembre 2024, le régulateur a également suspendu la chaîne francophone TV5 Monde durant trois mois en raison de la diffusion d’une brève sur un bombardement par drone au nord du Mali, selon le radiodiffuseur. La HAC a critiqué le manque « d'équilibre » dans le traitement de l'information. TV5 Monde avait fait état de la mort d'au moins quinze civils lors de raids de drones dans la ville de Tinzaouatène, dans le Nord, sans rendre compte de la version de l’armée malienne.
Dans une vidéo enregistrée le 3 novembre 2024, le Premier ministre Choguel Maiga a affirmé que, chaque matin, il consacre une heure et demie à la lecture de la presse, et notamment à écouter des radios étrangères, comme Radio France Internationale (RFI), BBC Africa et Voice of America (VOA), interdites au Mali, afin de contrer les manipulations étrangères et de recueillir des informations sur son pays. Sur les réseaux sociaux, Abdoulaye Koné, conseiller spécial du Premier ministre, a expliqué que son patron agit ainsi dans le but de connaître et de « contrer toutes les informations qui sont déversées sur les populations du Mali, de l’AES et de l’Afrique par les radios étrangères (RFI, VOA, BBC, Radio Canada, etc.) à l’effet de manipuler les peuples ».
Comme nous l'avons signalé, RFI et France 24 sont suspendues depuis 2022 pour avoir informé de violations des droits humains qui auraient été perpétrées par l'armée malienne.
Un journaliste français ciblé par des procédures judiciaires
Le 25 septembre 2024, les procureurs du Mali, du Niger et du Burkina Faso ont publié des communiqués similaires annonçant l'ouverture d'enquêtes sur le journaliste et chercheur français Wassim Nasr pour ses « commentaires tendancieux au lendemain de chaque attaque terroriste commise contre les États de la Confédération des États du Sahel ». Dans le cadre de son travail pour la chaîne française France 24, il avait analysé en détail l'attentat djihadiste perpétré le 17 septembre 2024 à Bamako, qui avait fait de 50 à 70 morts. Sur Twitter, il avait également publié :
Une pensée aux confrères sahéliens & à ceux qui subissent l’arbitraire de ces régimes dans leur chair, en ce qui me concerne أعلى ما بخيّلكم اركبوا https://t.co/tWRxZYZoHf
— Wassim Nasr (@SimNasr) September 25, 2024
Les procureurs l'accusent d'avoir été en contact avec les agresseurs et de les avoir soutenus.
Un militant toujours en prison
Comme nous l'avons déjà signalé, l'économiste, activiste et universitaire Etienne Fakaba Sissoko a été déclaré coupable « d’injures, d’atteinte au crédit de l’État et de diffusion de fausses nouvelles » et condamné à deux ans de prison, dont un avec sursis. Il avait été arrêté le 25 mars 2024 à la suite de la publication de son livre Propagande, agitation, harcèlement — La communication gouvernementale pendant la transition au Mali en décembre 2023, dans lequel il critique l'usage présumé de propagande dans la campagne d'information publique du gouvernement malien. Il a déposé une demande de libération pour raisons de santé.
Le 14 octobre 2024, la Cour d'appel de Bamako a jugé recevable sa demande et a ordonné sa mise en liberté provisoire dans l'attente de son procès en appel le 11 novembre 2024. Toutefois, cette décision a été immédiatement suspendue à la suite d'un pourvoi du procureur. Ce dernier s'est opposé à la remise en liberté, invoquant la gravité des accusations et le trouble à l'ordre public. Actuellement, Etienne Fakaba Sissoko est toujours en prison.
Liberté de réunion pacifique
Manifestation d'orpailleurs dispersée au moyen des gaz lacrymogènes
Le 22 août 2024, l'organisation ACLED a signalé une manifestation de mineurs, dont des femmes, dans le village de Kofoulate, dans la région de Kayes, contre leur expulsion d'une mine d'or artisanale par les forces armées maliennes. Ces dernières auraient employé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants.
Liberté d'association
La Suède met fin à ses aides au développement
Le 7 août 2024, le ministre suédois de la Coopération au développement et du Commerce extérieur, Johan Forssell, a annoncé que le gouvernement suédois suspendrait les aides accordées au Mali en raison de ses liens avec la Russie. La fermeture définitive de l'ambassade de Suède à Bamako devrait intervenir fin 2024. De 2021 à 2025, la Suède a soutenu plusieurs projets de développement au Mali à hauteur de 190 millions de dollars.
Les travailleurs humanitaires en danger
Au Mali, 151 cas de violence contre des travailleurs humanitaires ont été enregistrés en 2024. D'après la base de données sur la sécurité des travailleurs humanitaires AWSD, deux membres d'une ONG internationale ont été tués par des hommes armés non identifiés dans la ville de Taboye, dans la région de Gao.
Un syndicaliste disparu, arrêté et inculpé
Le 25 octobre 2024, le secrétaire général de la section syndicale des surveillants de prison, Daouda Konaté, a disparu mystérieusement dans le centre-ville de Bamako. Famoussa Fomba, également membre de la section syndicale, a lui aussi disparu le même jour. Le 26 octobre 2024, la Centrale démocratique des travailleurs du Mali (CDTM) a publié un communiqué de presse dans lequel elle a dénoncé la disparition de ses membres et a appelé les autorités compétentes à mobiliser tous les moyens nécessaires pour les retrouver.
Dans les mois qui ont précédé sa disparition, Konaté avait dénoncé dans les médias nationaux et sur les réseaux sociaux les inégalités salariales entre le personnel des établissements pénitentiaires et les membres des forces de défense et de sécurité maliennes, ainsi que les conditions de travail précaires des surveillants de prison, notamment à la Maison centrale d'arrêt de Bamako, qui fait face à une situation de surpopulation carcérale.
Le 29 octobre 2024, un enregistrement vocal attribué à Daouda Konaté a été diffusé sur les réseaux sociaux. On y entend une personne, avec une voix semblable à celle de Konaté, qui dénonce la « mauvaise gestion du pays » et appelle à déstabiliser le pouvoir en place. Bien que les autorités aient confirmé l'ouverture d'une enquête par le procureur chargé de la cybercriminalité, les proches de Konaté ont catégoriquement réfuté l'authenticité de l'enregistrement et affirment qu'il a été truqué.
Le 30 octobre 2024, cinq jours après sa disparition, il a comparu devant un juge d'instruction qui l'a inculpé d'«atteinte à la sûreté de l’État» et d'«atteinte au crédit de l’État».
D'après Jeune Afrique, d'autres dissidents ont disparu de manière mystérieuse en 2024. Le 23 octobre 2024, Boubou Cissé, président du marché de bétail de Niamana, a été enlevé au lendemain d'un appel à la grève pour protester contre la fermeture de ce marché décidée par les autorités et sa relocalisation hors de la capitale. Selon les informations reçues par RFI, il a été détenu par la Sécurité de l'État. Il a été mis en liberté et est réapparu publiquement deux jours plus tard.
Peine de prison avec sursis pour participation à une manifestation non autorisée
Le 12 juillet 2024, à Bamako, des hommes armés ont forcé Youssouf Daba Diawara, ancien coordinateur de la Coordination de mouvements, associations et sympathisants de l’imam Mahmoud Dicko (CMAS), une association dissoute par les autorités de la transition en mars 2024, à sortir de sa voiture et l'ont emmené à la Brigade d'investigation criminelle de la Gendarmerie. Il a été présenté devant un juge le 15 juillet 2024 et a été inculpé pour « opposition à l'autorité légitime » en raison de sa participation à une manifestation non autorisée le 7 juin 2024 contre les coupures d'électricité et la hausse de l'inflation. Le 5 septembre 2024, un tribunal a rejeté une demande de mise en liberté provisoire déposée par ses avocats. Le 3 octobre 2024, il a été condamné à une peine de deux mois de prison avec sursis et a été remis en liberté le 5 octobre 2024.
Personnes LGBTQI +
Le Mali criminalise les relations homosexuelles
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— AES INFO (@AESinfos) November 1, 2024
Le Mali dit non à la dégradation des mœurs : L'homosexualité interdite
Une décision attendue par de nombreux Maliens, l'État a adopté une nouvelle loi criminalisant l'homosexualité et interdisant toute forme de promotion ou d'apologie de cette pratique.
Le… pic.twitter.com/MlUWzlOpBH
Le 31 octobre 2024, le Conseil national de la transition a adopté un projet de Code pénal qui criminalise les relations entre personnes de même sexe. La nouvelle loi a été annoncée par le ministre de la Justice, Mamadou Kassogue, qui auparavant avait dénoncé l'homosexualité comme « contre-nature ». Il a expliqué qu'à partir de ce moment, «toute personne s'adonnant à la pratique de l’homosexualité, en faisant sa promotion ou son apologie, sera poursuivie». «Nous n'accepterons pas que nos coutumes et nos valeurs soient violées par des personnes venues d’ailleurs», a-t-il ajouté. Toutefois, les dispositions, les sanctions et autres précisions n'ont pas encore été publiées.
Alors que les relations sexuelles entre personnes de même sexe n'étaient pas illégales auparavant au Mali, des dispositions ambiguës du Code pénal, telles que l'article 225 sur « l'attentat à la pudeur », avaient souvent été utilisées pour persécuter les personnes LGBTQI+.