Liberté d'expression
LE CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN SUSCITE DES QUESTIONNEMENTS SUR LA LIBERTÉ D'EXPRESSION
À la suite de l'explosion du conflit israélo-palestinien en octobre 2023, les discours antisémites et islamophobes ont proliféré dans tout le Canada, entraînant une nouvelle vague de questionnements sur la liberté d'expression.
Le 10 octobre, la députée provinciale de la circonscription d'Hamilton-Centre, dans l'Ontario, et membre du Nouveau Parti Démocratique de l'Ontario (ONDP), Sarah Jama, a appelé à un cessez-le-feu immédiat à Gaza. Depuis, elle a reçu des menaces et a été critiquée et exclue du groupe parlementaire du parti provincial.
Thirteen days ago, I called for an immediate ceasefire and de-escalation by the Israeli government, which had begun a horrific siege on Palestinians in Gaza. Since I made that statement, Israel has only escalated its assault on millions of Gazans. 1/ pic.twitter.com/b9iuu0ogbd
— Sarah Jama (@SarahJama_) October 23, 2023
Le 4 novembre, des milliers de personnes se sont rassemblées devant la Colline du Parlement, à Ottawa, en soutien au peuple palestinien. Une photo prise lors de la manifestation a fait le tour d'internet. Sur l'image, on peut voir un manifestant arborant une pancarte avec l'inscription « Sionisme = nazisme », accompagnée d'une croix gammée. La photo a été critiquée par des figures politiques, dont le premier ministre Trudeau, qui s'est exprimé sur X : « L'affichage d'une croix gammée sur la Colline du Parlement est inacceptable. Les Canadiens ont le droit de se réunir pacifiquement, mais nous ne pouvons tolérer l'antisémitisme, ni l'islamophobie ni la haine sous aucune forme ». La police a ouvert une enquête et lancé un appel pour recueillir des information sur l'individu responsable.
Le 15 novembre, le militant et médecin Tarek Loubani a été arrêté pour méfait à la suite d'un incident. Selon la police, le bureau du député Peter Fragiskatos de la circonscription London-Centre-Nord, dans l'Ontario, a été aspergé de ketchup après une manifestation pro-palestinienne en septembre. « Ils m'ont emmené en prison sans ménagement et ont cherché à m'empêcher de manifester, d'écrire à Peter Fragiskatos ou de tweeter à son sujet à l'avenir », relate Loubani. Il a été remis en liberté le lendemain après sa comparution devant un tribunal.
Son arrestation a déclenché une enquête de l'Ordre des médecins et des chirurgiens de l'Ontario, qui à présent examine la « conduite professionnelle » d'autres quatre médecins de la région pour leurs commentaires à propos d'Israël et de la Palestine sur les réseaux sociaux. James Turk, directeur du Centre for Free Expression de l'Université métropolitaine de Toronto, a analysé les publications en question et se dit inquiet du fait que des institutions telles que les universités et les hôpitaux se plient à la volonté des groupes de pression. « À ma connaissance, aucun d'entre eux n'a tenu des propos contraires aux lois au Canada. Tout simplement, des personnes qui ne partagent pas leurs avis ont réussi à faire pression sur leurs employeurs pour qu'ils prennent des mesures à leur encontre. Ces agissements n'ont pas de place dans une société démocratique », s'insurge Turk.
Cependant, dans les hôpitaux où travaillent ces médecins, aucun patient n'a déposé de plainte concernant leur pratique. Une organisation de défense des droits de l'homme implantée au Canada a réagi à ces incidents en soulignant la nécessité que les médecins restent neutres. « Les médecins ont le devoir de rester apolitiques pour conserver la confiance de tous leurs patients ».
D'après le média numérique indépendant The Maple, depuis octobre 2023, 17 personnes ont été suspendues de leur emploi ou licenciées pour avoir exprimé leur opposition au conflit israélo-palestinien.
La représentante spéciale du Canada pour la lutte contre l'islamophobie, Amira Elghawab, a signalé que des Canadiens ont déjà été réduits au silence et ont subi des représailles et des discriminations ancrées dans l'islamophobie pour avoir exercé leurs libertés démocratiques. Elle a également déclaré qu'« il est inacceptable qu'au Canada, les musulmans et leurs communautés craignent de participer à des manifestations pacifiques, de porter un keffieh, d'arborer un drapeau palestinien, de défendre les civils pris au piège d'un conflit armé ou de scander des consignes en défense des droits des Palestiniens ».
Les statistiques mettent en évidence l'existence d'un contexte hostile, avec une prolifération d'attaques motivées par la haine contre ces communautés au Canada. Selon la police de Toronto, vingt crimes haineux anti-palestiniens, anti-musulmans et anti-arabes ont été recensés du 7 octobre au 17 décembre 2023, ce qui représente une augmentation significative par rapport aux deux cas dénoncés l'année dernière durant la même période. À ceux-ci s'ajoutent 56 attaques antisémites, soit une augmentation substantielle par rapport aux 18 cas dénoncés l'année dernière durant le même intervalle.
Par exemple, le 29 octobre, Olga Goldberg, une femme de confession juive, a déclaré avoir été agressée à Toronto par des manifestants pro-palestiniens après avoir assisté à un rassemblement pro-israélien plus tôt dans la journée. D'après elle, les manifestants lui ont arraché des mains la photo d'un otage israélien — un ami de sa famille —, l'ont frappée au visage et ont piétiné le drapeau canadien qu'elle portait. Elle a signalé l'attaque auprès de l’organisation United Jewish Appeal le même jour. La police de Toronto a fait savoir que l'« unité chargée des crimes haineux a diligenté une enquête à ce propos ».
D’autre part, Montréal a connu une recrudescence des crimes haineux depuis le 7 octobre. Aux incidents qui s’étaient produits auparavant, la police en a ajouté 41 visant des juifs et 14 visant les communautés arabo-musulmanes. D'après un récent sondage de la fondation canadienne non partisane et à but non lucratif de recherche sur l'opinion publique Angus Reid Institut, une majorité de Canadiens estime que l'antisémitisme et l'islamophobie sont tous deux des problèmes nationaux.
Le monde entier est de plus en plus préoccupé par la multiplication croissante des attaques, des sanctions et des restrictions à la liberté d'expression et de réunion pacifique auxquelles sont confrontées les personnes qui s'expriment en faveur des victimes du conflit israélo-palestinien. Dans le même ordre d'idées, en novembre 2023, quatre experts des Nations Unies ont exprimé leur inquiétude face à la vague mondiale d'attaques, de représailles, de criminalisation et de sanctions à l'encontre de ceux qui expriment publiquement leur solidarité avec les victimes du conflit en cours entre Israël et la Palestine :
« Appeler à la fin des violences et des attaques à Gaza, demander un cessez-le-feu humanitaire ou critiquer les politiques et les actions du gouvernement israélien a trop souvent été assimilé à tort à un soutien au terrorisme ou à de l'antisémitisme. Cet amalgame met à mal la liberté d'expression, y compris l'expression artistique, et crée un climat de peur qui nuit à la participation à la vie publique ».
Les experts ont également souligné qu'il existe « une tendance très inquiétante à criminaliser et à qualifier les manifestations pro-palestiniennes de “manifestations de haine”, et à les interdire de manière préventive, en invoquant fréquemment des risques pour la sécurité nationale, notamment des risques d'incitation à la haine, sans pour autant fournir des preuves justifiant de telles décisions.
UN experts alarmed at the worldwide wave of attacks, reprisals, criminalisation & sanctions against those who publicly express solidarity w/ the victims of the ongoing conflict between #Israel & #Palestine: “Speaking out on Gaza/Israel must be allowed”.https://t.co/xuaUfWZpvd pic.twitter.com/5e5fbi4sqL
— UN Special Procedures (@UN_SPExperts) November 23, 2023
TENTATIVES D'INTERDICTION DE LIVRES POUR ENFANTS ET JEUNES ADULTES DANS QUELQUES ÉCOLES DE L'ONTARIO
Le 9 novembre, le syndicat The Writers' Union of Canada (TWUC) a exprimé son inquiétude quant
à « une interdiction vraisemblable de plusieurs livres présélectionnés pour les prix Forest of Reading, en particulier ceux qui traitent des situations familiales des personnes LGBTQIA2S+ ». Le TWUC affirme que la direction du Waterloo Catholic District School (WCDSB) a imposé d'importantes restrictions d'accès à ces livres, arguant qu'ils ne sont pas en consonance avec le programme d'études sur la vie familiale. Les livres en question ont été classés comme « PRO » ou professionnels, ce qui signifie qu'ils ne sont pas disponibles pour les élèves de ce district scolaire à présent et qu'ils pourraient ne jamais l'être.
Le TWUC soutien que cette décision constitue une forme de censure et viole les principes d'inclusivité et de diversité. Le syndicat demande au WCDSB de revoir sa décision et de veiller à ce que tous les élèves aient accès à un large éventail d'œuvres littéraires, indépendamment de leur origine ou de leur identité. « Savoir qu'il y a des enfants dans le district scolaire de Waterloo qui ne sauront peut-être jamais que j'ai écrit ce livre pour eux me brise le cœur », déplore Danny Ramadan, l'un des auteurs touchés par cette hypothétique politique du WCDSB. « C'est une histoire personnelle, joyeuse et chargée de sens. Comme personne immigrée et queer venue au Canada pour trouver un refuge et échapper à l'homophobie, cela me brise le cœur de voir l'accès à mon petit livre restreint de cette manière. J'ai mal au cœur pour mon livre et pour ses lecteurs potentiels ».
De même, le 13 novembre, l'Association des bibliothèques de l'Ontario et le programme pour la lecture Forest of Reading ont déclaré que la mise en question et la censure de livres suscitent une préoccupation croissante au Canada, notamment dans les écoles. Restreindre l'accès aux œuvres qui reflètent les perspectives de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, de genre expansif, queer, en questionnement, intersexuelles, asexuelles et bispirituelles (LGBTQIA2S+) ou qui présentent des personnages issus de la diversité peut créer un environnement dangereux pour certains enfants qui verront leur histoire et leurs expériences effacées. « Tous les jeunes Canadiens ont droit à la liberté d’expression, à l’accès à l’information et à la protection contre la discrimination en vertu du droit provincial, fédéral et international ».
TWUC is deeply concerned about the apparent shadow-banning of LGBTQIA2S+ books shortlisted for the @ForestofReading Awards. According to a memo from the @WCDSBNewswire, significant access restrictions have been placed by the WCDSB on Children's & YA books. https://t.co/UjuW0jRjZ3
— TWUC (@twuc) November 9, 2023
Liberté de réunion pacifique
LE CONFLIT ISRAELO-PALESTINIEN DÉCLENCHE DES MANIFESTATIONS DE MASSE DANS TOUT LE PAYS
Comme nous l'avons signalé, depuis octobre 2023, des milliers de personnes ont manifesté dans les principales villes du Canada en soutien à la Palestine et à Israël respectivement. La plupart de ces mobilisations se sont déroulées pacifiquement. Elles ont lieu chaque semaine depuis novembre et réclament un cessez-le-feu à Gaza. Voici quelques-unes des manifestations les plus médiatisées :
Le 4 novembre, des milliers de manifestants pro-palestiniens ont marché dans tout le pays. À Toronto, ils se sont rassemblés devant le consulat des États-Unis et ont parcouru le centre-ville pour exprimer leur solidarité avec les Palestiniens de la bande de Gaza. « À présent, il n'y aucun endroit sûr en Palestine. C’est pour cela que nous réclamons un cessez-le-feu immédiat. Nos politiciens doivent prendre en compte notre avis », insiste Dalia Awwad, membre du Mouvement de la jeunesse palestinienne (PYM) à Toronto.
Le 8 novembre s'est tenu un rassemblement dans le campus de l'Université Concordia. Selon la police, des affrontements entre étudiants pro-palestiniens et pro-israéliens ont été signalés. Au moins deux jeunes ont été blessés et une femme de 22 ans a été arrêtée pour avoir agressé un agent de sécurité de 54 ans.
Le 9 novembre, une manifestation pacifique pro-palestinienne convoquée par la coalition Jews Say No to Genocide s'est tenue à l’intérieur de la gare Union à Toronto. Des membres du Mouvement de la jeunesse palestinienne et d’autres formation ont aussi participé au rassemblement. Le même jour, sept personnes ont été arrêtées lors d'un sit-in devant le bureau du premier ministre Justin Trudeau, dans le cadre d'une manifestation en solidarité avec la Palestine et pour réclamer un cessez-le-feu.
Le 13 novembre, des manifestants pro-palestiniens ont interrompu une cérémonie de remise de prix littéraires organisée par Banque Scotia. Ils se sont infiltrés dans l'événement, sont montés sur la tribune et ont brandi des pancartes sur lesquelles on pouvait lire « Banque Scotia finance le génocide », ou encore « Elbit Systems contribue au génocide du peuple palestinien aux mains de l’armée israélienne », en référence aux investissements de la banque dans le fabricant d'armes Elbit Systems, implanté en Israël. Les services de sécurité ont évacué les manifestants rapidement et la cérémonie s'est poursuivie.
Le 14 novembre, une foule de 250 personnes s'est rassemblée devant le restaurant dans lequel dînait le premier ministre Justin Trudeau à Vancouver. Les manifestants ont brandi des drapeaux palestiniens et ont appelé à un cessez-le-feu. Une centaine de policiers ont été envoyés sur place pour escorter le premier ministre loin de la foule. Deux personnes ont été arrêtées à la suite d'affrontements entre la police et les manifestants. Une policière a été agressée et emmenée à l'hôpital : elle a reçu un coup de poing au visage et a été blessée aux yeux par un manifestant, qui a été arrêté ; un autre manifestant a été appréhendé pour obstruction à la police. « Lors des manifestations, notre tâche principal est de maintenir l'ordre, de garantir un environnement pacifique pour que les gens puissent s'exprimer, et de réagir face aux comportements illicites s'il y en a », explique un représentant des forces de police. Les manifestants se sont dispersés après le départ du premier ministre.
Le 16 novembre, des centaines de personnes se sont rassemblées devant l'Université Concordia, à Montréal, pour dénoncer la montée de l'antisémitisme sur les campus après le début du conflit israélo-palestinien. Ce rassemblement faisait suite à des altercations entre les partisans d'Israël et de la Palestine sur le campus de l’université la semaine précédente, qui se sont soldées par une arrestation et l'exclusion de deux individus du campus. Les manifestants ont brandi des drapeaux israéliens, ont chanté des chansons et ont montré des photos des otages accompagnées de messages de soutien. « L'antisémitisme n'est pas le problème des juifs, mais de tous », pouvait-on lire.
Le même jour, le pont Jacques-Cartier à Montréal est resté fermé pendant environ une heure après que des dizaines de manifestants ont bloqué toutes les voies pour réclamer un cessez-le-feu. Sur internet, les manifestants ont expliqué que le blocage était motivé par « la complicité du Canada et par son soutien à l'apartheid israélien, notamment par l'augmentation considérable des exportations militaires, par son soutien militaire direct, par son soutien diplomatique continu et par son opposition aux poursuites contre Israël devant la Cour pénale internationale pour les crimes contre l'humanité que sont l'apartheid et la persécution ». Le blocage du pont aurait causé des retards pour les déplacements en direction de Montréal.
Le 25 novembre, des milliers de personnes ont marché dans les rues d'Ottawa pour exiger un cessez-le-feu permanent à Gaza et que le gouvernement canadien adopte une position plus ferme sur le conflit. Cette manifestation a eu lieu deux jours après qu'une pétition électronique soumise à la Chambre des communes a recueilli le plus grand nombre de signatures depuis la mise en place de ces pétitions en 2015. Dans ce document, les signataires appelaient le premier ministre à exiger un cessez-le-feu.
Le 4 décembre, des milliers de personnes se sont rassemblées à Ottawa pour demander le retour des otages retenus à Israel et pour dénoncer la montée de l'antisémitisme et de la haine contre les communautés juives au Canada. Les familles des otages retenus à Gaza ou de ceux qui ont été tués le 7 octobre lors des attaques du Hamas ont pris la parole durant le rassemblement : « Ensemble, comme Canadiens, disons-le haut et fort : nous ne tolérerons jamais la terreur. Nous ne laisserons pas la haine des Juifs s'étendre dans notre société. Nous travaillerons sans relâche pour un monde où chaque vie compte et où chaque personne peut vivre sans crainte. Nous continuerons de nous mobiliser et de dénoncer l'injustice. Puissions-nous trouver la force, l'unité et la paix », assure Raquel Look, mère d'Alexandre Look, décédé lors du massacre du festival de musique Nova.
LES MANIFESTATIONS CONTRE LES DROITS DES PERSONNES LGBTQI+ SE POURSUIVENT
Les manifestations contre les droits des personnes LGBTQI+ ont continué dans tout le pays et se sont concentrées autour de l'éducation sur les questions de genre et les droits des parents d'élèves. Comme nous l'avons signalé, ces manifestations se sont succédé depuis septembre 2023.
Le 21 octobre, un groupe de 150 personnes s'est rassemblé devant l'hôtel de ville de Winnipeg pour protester contre les politiques en matière d'éducation sexuelle et d'inclusion des personnes LGBTQI dans les écoles. Elles affirment que ce n'est pas aux écoles d'éduquer leurs enfants sur ces questions, mais à leurs parents. « Nous envoyons nos enfants à l'école pour qu'ils apprennent les sciences, les mathématiques, l'anglais ou dans d'autres matières, mais pas pour le SOGI ― le programme sur orientation sexuelle et identité de genre ― », s'insurge un manifestant. Une contre-manifestation a eu lieu au même moment devant l'Assemblée législative du Manitoba, à Winnipeg, où un groupe de plusieurs dizaines de personnes s'est rassemblé en défense du programme d'études qui, selon eux, est inclusif et favorable aux jeunes à risque.
Comme nous l'avons signalé, le 20 octobre, le gouvernement de la Saskatchewan a adopté la Charte des droits des parents ou projet de loi 137, qui exige le consentement des parents pour que les élèves transgenres ou non binaires de moins de seize ans puissent changer de nom ou de pronom à l’école dans cette province. Une décision de justice avait empêché l'approbation du projet de loi controversé, mais il a finalement été adopté après que le gouvernement de la Saskatchewan a eu recours à une dérogation constitutionnelle. L’adoption de cette législation suit le sillage d’un projet de loi similaire promulgué au Nouveau-Brunswick début 2023.
Le 28 octobre, des centaines de personnes, dont des élèves et des parents, se sont rassemblées dans les villes de Saskatoon, Regina et Lloydminster, dans la Saskatchewan, pour protester contre le projet de loi 137. Les défenseurs des personnes LGBTQI+ affirment que la maison n’est pas toujours un espace sûr pour les enfants LGBTQI+ et que les écoles doivent les protéger. Blake Tait, organisateur d'un rassemblement à Saskatoon, explique : « Les enfants méritent un espace dans lequel ils se sentent en sécurité, pris en compte et acceptés ».
LE PROJET D'AUGMENTATION DES FRAIS DE SCOLARITÉ PROVOQUE DES MANIFESTATIONS D'ÉTUDIANTS AU QUÉBEC
Le 30 octobre, des centaines d'étudiants universitaires ont manifesté pacifiquement à Montréal pour protester contre la hausse des frais de scolarité proposée par le gouvernement québécois. La mesure multipliera par deux le montant que devront débourser les étudiants d'autres provinces inscrits dans les universités anglophones du Québec à partir de l'automne 2024. Le projet avait été annoncé quelques semaines plus tôt et le gouvernement provincial l'avait justifié par la nécessité de promouvoir la langue française au Québec et de mieux soutenir les universités francophones. Durant la manifestation, les étudiants ont scandé : « L'éducation est un droit, pas que pour les riches et les blancs ». Parmi eux, beaucoup ont le sentiment d'être chassés de la province.
Liberté d'association
AU QUÉBEC, LA DEUXIÈME PROVINCE LA PLUS PEUPLÉE, UN DEMI-MILLION DE TRAVAILLEURS DU SECTEUR PUBLIC FONT GRÈVE APRÈS PLUS D'UN AN DE NÉGOCIATIONS
Les travailleurs de nombreux syndicats se sont mis en grève en novembre et décembre 2023 pour réclamer des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Plus d'un demi-million de travailleurs — environ 6 % de la population du Québec — ont participé à des grèves dans toute la province, principalement à Montréal.
La première grève a eu lieu le 6 novembre, lorsque 420 000 travailleurs du secteur public ont arrêté le travail dans tout le Québec dans le cadre de la négociation de leurs contrats. Les salariés, rassemblés au sein d'un « front commun de syndicats du secteur public » représentant les travailleurs de la santé, des services sociaux et de l'éducation, ont appelé à une résolution rapide du conflit qui prenne en compte leurs revendications.
Les dirigeants syndicaux ont rejeté l'offre faite par le gouvernement fin octobre, qui prévoyait une augmentation moyenne des salaires de 10,3 % sur cinq ans. Au lieu de cela, ils demandent une augmentation de 20 % sur trois ans, ce qui, d’après eux, correspond au taux d'inflation. « Le gouvernement n'a montré aucune volonté de faire avancer les choses et n'a pas fait d'offre raisonnable », déplore François Lukawecki, professeur de musique. « Il savait que nous serions contraints de faire grève et il nous a poussés à en arriver là ; je trouve cela honteux ».
Après l'échec de l'accord, les travailleurs ont prolongé leur grève de trois jours jusqu’au 26 novembre. Les dirigeants syndicaux ont avancé qu'ils prévoyaient de nouvelles grèves en décembre jusqu'à la signature d'un nouvel accord.
La Fédération interprofessionnelle de la Santé du Québec (FIQ), le plus grand syndicat d'infirmières de la province, qui représente 80 000 infirmières du Québec, s'est joint à la grève lancée par les syndicats du front commun en novembre. La FIQ s'est mise en grève les 8 et 9 novembre, puis les 23 et 24 novembre. Les grévistes se sont rassemblés principalement à Montréal. Outre l'augmentation des salaires des infirmières, la FIQ cherche à obtenir de meilleures protections pour le maintien de ratios patient/infirmières salutaires et pour davantage de stabilité dans les affectations. De nombreuses infirmières se plaignent du fait que le gouvernement veut avoir le droit de transférer des infirmières entre différents centres médicaux quand cela est jugé nécessaire.
Malgré la grève des infirmières et d'autres travailleurs de la santé, les hôpitaux du Québec ont assuré le maintien de services essentiels tels que les urgences. La FIQ a menacé de faire une grève illimitée si un accord avec les autorités québécoises n'est pas trouvé avant Noël.
Les professionnelles en soins de la Mauricie Centre-du-Québec se mobilisent, depuis février, pour dénoncer les conditions de travail imposées par leur employeur. En + des journées de #grève nat, elles ont voté un mandat local pour une journée de grève additionnelle! #manifencours pic.twitter.com/eszbZvFDhf
— FIQ Santé (@FIQSante) November 25, 2023
Par ailleurs, le 23 novembre, 65 000 enseignants du primaire et du secondaire représentés par la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) ont lancé une grève illimitée. Les enseignants en grève ont manifesté à Montréal, tandis que des milliers de leurs collègues ont déserté leur poste, provoquant ainsi la fermeture de nombreuses écoles publiques dans toute la province. La FAE mène des négociations avec le gouvernement du Québec en marge du front commun des syndicats.
Beaucoup d'enseignants se sont mis en grève pour obtenir de meilleurs salaires, mais aussi à cause du grand nombre d'élèves par classe et du manque de ressources, en particulier pour les élèves ayant des besoins particuliers. « Nous n'avons que très peu d'aide, voire aucune », se lamente Zsolt Szaktilla, enseignant à Montréal. Près de 1,2 million d'élèves se trouvent coincés à domicile en raison des fermetures d'écoles résultant des grèves des enseignants de la FAE et du front commun de syndicats.
Les négociations entre les syndicats et le gouvernement québécois se poursuivent. Le premier ministre du Québec, François Legault, s'est dit prêt à augmenter le montant de l'offre du gouvernement en échange de davantage de « flexibilité » de la part des syndicats sur les conditions de travail, notamment sur le manque de personnel. Toutefois, en déclarations à la chaîne de télévision CBC, de nombreux travailleurs ont assuré que les augmentations de salaire étaient secondaires par rapport à l'amélioration des conditions de travail. En effet, enseignants et infirmières souhaitent désespérément des charges de travail plus gérables, des classes plus petites et moins de patients.
DES TRAVAILLEURS ACCUSENT LEUR ANCIEN EMPLOYEUR DE LES AVOIR LICENCIÉS POUR TENTER DE FORMER UN SYNDICAT
Le 7 novembre, d'anciens salariés de Keywords Studios ont manifesté à Edmonton pour réclamer de meilleures conditions de travail dans l'industrie du jeu vidéo. Ils ont été licenciés par Keywords Studios en septembre 2023, durant les négociations d'une première convention collective. À présent, les anciens employés affirment que leurs contrats ont été résiliés en raison de leurs efforts pour se syndiquer et réclament de meilleures conditions de travail et plus d'avantages.
Chris O'Halloran, directeur général de United Food and Commercial Workers, le syndicat qui représente les anciens employés, précise : « Keywords a choisi de briser les syndicats et de licencier tous les travailleurs en les disant “Nous n'avons plus de travail pour vous”, alors que des centaines d'offres d'emploi sont actuellement affichées sur son site web ». Les anciens travailleurs de Keywords Studios qui ont rejoint les United Food and Commercial Workers sont les premiers travailleurs de l'industrie du jeu vidéo canadienne à se syndiquer. Ils ont récemment contesté leur licenciement au moyen d’une plainte pour « pratique déloyale de travail » déposée auprès de la Commission des relations du travail de l'Alberta.
We're visiting the #Bioware / Keywords @ufcw401 at noon today at the to show solidarity at their picket line at the Epcor Tower at noon! #ablabour #ufcw
— Alberta Federation of Labour (@ABFedLabour) November 7, 2023
ICYMI, here's what happened last time we were there: pic.twitter.com/YWm0iCH62f
LES CHAUFFEURS DE BUS DE HAMILTON EN GRÈVE
Le 9 novembre, les chauffeurs de bus de la ville d'Hamilton, dans l'Ontario, ont entamé une grève d'une semaine pour réclamer des augmentations de salaire et de meilleures conditions de travail. Durant la mobilisation, ils ont évoqué les difficultés financières auxquelles ils sont confrontés et ont revendiqué des améliorations, notamment des pauses plus fréquentes pour aller aux toilettes. Selon le syndicat Amalgamated Transit Union (ATU), ses membres ont entamé des négociations avec leur employeur dès début 2023 et ils étaient sans contrat depuis décembre 2022.
Une semaine plus tard, l'ATU a ratifié une entente de principe avec la ville d'Hamilton.
Congrats to our Local 107-Hamilton, ON, on reaching a tentative agreement. #ATUStrongerTogether #canlab @OFLabour pic.twitter.com/iVGXjfqxED
— ATU, Transit Union (@ATUComm) November 16, 2023
LE LÉGISLATEUR INTERDIT LE REMPLACEMENT DE TRAVAILLEURS EN GRÈVE
Le 9 novembre, la Chambre des communes a présenté le projet de loi C-58, qui interdira le remplacement de travailleurs pendant les grèves et les lock-out sur les lieux de travail sous réglementation fédérale. De même, il apportera des modifications au Code canadien du travail et aux règlements du Conseil canadien des relations industrielles de 2012, notamment :
- Il étendra le champ d'application de l'interdiction d'embaucher des travailleurs de remplacement en supprimant l'obligation de démontrer que ces embauches portent atteinte à la capacité de représentation d'un syndicat, en précisant les personnes dont les services ne doivent pas être utilisés pendant les grèves et les lock-out légaux, et en prévoyant certaines exceptions.
- Il interdira aux employeurs de recourir aux services d'un salarié qui fait partie d'une unité de négociation durant une grève légale ou un lock-out destiné à entraîner la cessation du travail de tous les salariés, sous réserve de certaines exceptions.
- Il érigera en délit la violation de ces interdictions par les employeurs et les rendra passibles d'une amende pouvant aller jusqu'à 100 000 $ par jour.
- Il autorisera le gouverneur en conseil à prendre des décrets établissant un régime de sanctions administratives pécuniaires afin d'assurer le respect de ces interdictions.
- Il modifiera la procédure de maintien des activités pour encourager les employeurs et les syndicats à conclure plus tôt des accords sur les activités à maintenir en cas d'une grève légale ou d'un lock-out, pour favoriser une prise de décision plus rapide par le Conseil canadien des relations industrielles lorsque les parties ne parviennent pas à s'entendre, et pour réduire les cas de figure dans lesquels le ministre du Travail doit saisir ledit conseil.
De nombreux syndicats estiment que le recours aux travailleurs remplaçants, également connus comme « briseurs de grève », est une tactique qui fragilise le pouvoir de négociation collective des salariés en permettant aux entreprises de pallier les perturbations causées par les grèves. De leur côté, les entreprises affirment que les remplaçants sont nécessaires, puisque autrement les syndicats ne seraient pas incités à s'asseoir à la table des négociations.
Des législateurs tels que Jagmeet Singh, issu du National Democratic Party (NPD), qui a été le promoteur du projet de loi, considèrent que c'est une victoire importante pour la protection des travailleurs. « Après des décennies de luttes et de combats, nous avons réussi à forcer le gouvernement à élaborer un projet de loi qui interdira les briseurs de grève dans notre pays ».
CRIMINALISATION ET SURVEILLANCE ILLÉGALE DES DÉFENSEURS DES TERRES DE LA NATION WET'SUWET'EN
Le 11 décembre, Amnesty International a publié un rapport sur les violences et les persécutions subies depuis des années par les défenseurs des terres du peuple Wet'suwet'en. Comme l'avons signalé en 2020 et 2023, ils s'opposent à la construction du gazoduc de gaz naturel liquéfié Coastal GasLink (CGL) en Colombie-Britannique, qui traversera leur territoire ancestral exproprié sans leur consentement préalable, libre et éclairé.
Le rapport intitulé « Chassé·e·s de nos terres pour les avoir défendues : criminalisation, intimidation et harcèlement des défenseur·e·s du droit à la terre wet’suwet’en » examine les violations des droits humains perpétrées à l'encontre des membres de la Première Nation Wet'suwet'en et des défenseurs de l'environnement par les autorités canadiennes et de la Colombie-Britannique, et par les entreprises chargées de la construction du gazoduc et de la société de sécurité privée mandatée à cet effet.
Le document fait état de la détention arbitraire des défenseurs de ces terres pour avoir exercé leurs droits ancestraux et leur droit à la liberté de réunion pacifique :
- Sous prétexte de faire respecter une décision de justice, le Canada et la Colombie-Britannique, par l'intermédiaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), ont harcelé, intimidé, surveillé illégalement et criminalisé les défenseurs des terres des Wet'suwet'en et leurs sympathisants, et continuent de le faire.
- Ces actions s'inscrivent dans le cadre d'un effort concerté de l'État pour expulser les défenseurs des terres Wet'suwet'en de leur territoire afin de faciliter la construction du gazoduc. Ces actions ont également entraîné des violations constantes des droits des défenseurs des terres Wet'suwet'en et de leurs sympathisants, notamment le droit à la vie, à la sécurité de la personne, à la liberté, à la vie privée, à la non-discrimination, aux droits culturels et aux droits des autochtones.
- Des violations du droit de ne pas subir de discriminations ni de violences pour motif de race ou de sexe ont été signalées. Cela s’explique par le fait que les défenseurs des terres Wet'suwet'en pris pour cible sont des indigènes et des femmes.
- Des entreprises privées ont participé à la surveillance illégale, l'intimidation et le harcèlement des défenseurs des terres Wet'suwet'en, et n'ont donc pas respecté les droits humains.
Land defenders protecting Wet’suwet’en territory face criminal charges after defending the land from the construction of a pipeline they did not consent to. In our new report, we urge BC Attorney General @NikiSharma2 to drop the charges ⬇️ @Gidimten https://t.co/LPz0we60fX
— Amnesty International (@amnesty) December 11, 2023