Week 13 of ‘Yellow Vest’ Protests in France pic.twitter.com/kFioyDXgAE
— Noel Pereira (@champcash1964) 10 de febrero de 2019
Liberté de réunion pacifique
Des organisations de défense des droits de l'homme ont reproché à la police française d'avoir utilisé une force excessive, des méthodes répressives et des tactiques anti-émeute lors des manifestations de masse des « gilets jaunes » qui se déroulent depuis la mi-novembre 2018 à Paris et dans d'autres grandes villes. Bien que l'usage de certaines tactiques policières puisse être justifié afin de dissuader les manifestants violents, la police a parfois eu recours à la force de manière « disproportionnée et injustifiée» contre des manifestants pacifiques, causant des lésions corporelles et des blessures graves à des centaines de manifestants pacifiques, notamment des étudiants et des journalistes (cf. liberté d’expression ci-dessous), selon les recherches de Human Rights Watch et d’Amnesty International.
Historique des manifestations des gilets jaunes
Le mouvement des « gilets jaunes » organise régulièrement des manifestations de masse dans tout le pays depuis le 17 novembre 2018. Il est né comme un mouvement social populaire mobilisé contre la politique fiscale du gouvernement et pour protester contre les inégalités socio-économiques, mais il a rapidement fait boule de neige et est devenu un mouvement plus large contre la classe politique dirigeante. D'ailleurs, certains de ses membres ont réclamé la démission du président Emmanuel Macron. (Voir le documentaire d'Euronews sur le mouvement français des « gilets jaunes »).
Bien que les manifestations aient été pacifiques pour la plupart, on a signalé l'implication de membres du mouvement des « gilets jaunes » dans des actes de violence, tels que des affrontements avec la police antiémeute, des incidents homophobes, ainsi que la destruction d'agences bancaires, de propriétés privées et publiques, et des incendies de voitures. En outre, de nombreuses menaces contre des députés attribuées à des membres des « gilets jaunes » ont été signalées, notamment des menaces de mort et d'agression sexuelle, des messages racistes et homophobes ciblant au moins 50 députés de La République en Marche (LREM), le parti du président Macron, d'après les médias et le président de LREM à l'Assemblée nationale.
L'usage excessif de la force inflige de graves blessures aux manifestants
Selon les chiffres officiels communiqués par les médias, au 30 janvier 2019 environ 1 900 manifestants et 1 200 membres de la police avaient été blessés depuis le début des manifestations il y a moins de trois mois. Parmi les blessés on trouve des enfants et des journalistes (voir ci-dessous). La Ligue des droits de l'homme (LDH) a affirmé que suite à la « violence policière » employée lors des manifestations des « gilets jaunes », un grand nombre des femmes et des hommes blessés étaient « handicapés à vie, éborgnés, ont les mains arrachées, des lésions au ventre ou sur le visage, avec des séquelles irrémédiables ». La LDH a accusé la police d'avoir eu recours à un usage excessif de la force et à des équipements démesurés, et d'avoir employé des gaz lacrymogènes et des matraques contre les manifestants.
« En continuant d’utiliser des armes particulièrement dangereuses lors des manifestations, causant des dommages irréversibles, l’État porte atteinte aux libertés fondamentales telles que le droit demanifester et le droit à la protection de la vie », ont déclaré dans un communiqué conjoint la Ligue française des droits de l'homme, le syndicat français CGT et son regroupement départemental parisien l'UD CGT.
Les blessures les plus graves ont été attribuées à l'utilisation inappropriée par la police d'armes non létales controversées telles que des balles en caoutchouc (lanceur de balles de défense ou LBD), également appelées flash balls ; de grenades lacrymogènes instantanées contenant une petite charge explosive (GLI-F4) ; et de grenades de désencerclement, comme en témoignent des organisations internationales de défense des droits de l'homme telles que Amnesty International, HRW, et les comptes et les vidéos des militants locaux et des victimes partagées sur les réseaux sociaux.
Depuis le 9 février 2019, environ 141 manifestants ont subi de graves blessures, notamment des fractures osseuses ou la perte totale ou partielle d'un membre, d'après le site militant Desarmons-les qui enregistre les cas de violence policière qui se sont produits pendant le mouvement des « gilets jaunes ». Selon ces informations, au moins une vingtaine de manifestants ont perdu la vue, cinq personnes ont eu les mains déchirées à cause des grenades GLI F4 et beaucoup d'autres ont été blessées à la tête. La plupart des blessures graves documentées (100 sur 141) auraient été causées par des armes anti-émeute connues sous le nom de « flash balls » (LBD40).
Les autorités ont contesté ces chiffres et le ministère de l'Intérieur n'aurait découvert que quatre cas de manifestants grièvement blessés aux yeux à la suite de 101 enquêtes internes. En outre, le ministre de l'Intérieur a rejeté les affirmations selon lesquelles la police aurait fait un usage disproportionné de la force.
Violence policière contre des lycéens manifestant
L'emploi de tactiques policières répressives a été condamné par HRW et par AI en raison de leur utilisation injustifiée et démesurée. Ces mêmes tactiques ont également été utilisées contre des lycéens prenant part à des manifestations à l'extérieur des lycées et sans lien avec celles des « gilets jaunes » au mois de décembre 2018. La plupart des manifestations étudiants ont été pacifiques, mais certaines ont été accompagnées de violences et de dégradations matérielles. La police anti-émeute a utilisé des gaz lacrymogènes et des projectiles en caoutchouc face à des manifestants réunis pacifiquement et ne présentant pas une menace immédiate pour la police ou le public, a signalé HRW.
- Un étudiant de 17 ans aurait été blessé au visage par un tir de flash ball ciblé devant le lycée Simone de Beauvoir à Garges-lès-Gonesse le 5 décembre 2018. Des enseignants ayant été témoins de l'incident ont déclaré à HRW qu'à ce moment l'élève ne faisait rien de mal et ne représentait pas une menace pour la police.
Parmi les autres violations commises contre les étudiants manifestant figurent les arrestations massives d'étudiants, leur détention dans des conditions pouvant constituer un traitement cruel et dégradant, ainsi que la violation de leur droit à un procès équitable.
- Le 6 décembre 2018, 163 mineurs, dont certains âgées de treize ans à peine, ont été arrêtés à la suite d'affrontements entre agents de police et étudiants du lycée Saint-Exupéry à Paris. Une séquence vidéo montre des étudiants obligés de s'agenouiller les mains derrière la tête ou menottés derrière le dos. L'avocat représentant plusieurs des mineurs a déclaré à Amnesty International que certains avaient été maintenus dans cette position jusqu'à quatre heures. Amnesty International a condamné l'action de la police et a déclaré que, si elle venait à se confirmer, « cela constituerait un traitement cruel, inhumain ou dégradant ».
- Certains des mineurs détenus n'ont pas reçu de nourriture et n'ont pas été vus par un médecin avant d'être interrogés et se sont vu refuser l'accès immédiat à un avocat, comme a pu le constater l'avocat d'Amnesty International.
D'autres images de l'interpellation de dizaines de lycéens, aujourd'hui à Mantes-la-Jolie. pic.twitter.com/ghv8K91e7l
— Violences Policières (@Obs_Violences) 6 de diciembre de 2018
La société civile demande l'interdiction des armes non létales dans le contrôle des rassemblements
Inquiètes du le nombre croissant de blessures graves infligées aux manifestants à cause de l'utilisation des flash balls (LBD40) par les forces de l'ordre au cours des manifestations, des organisations de défense des droits de l'homme et des médecins ont exigé l'interdiction immédiate de cette arme controversée, soutenant qu'elle n'est pas adaptée aux rassemblements. Les avocats des victimes ont également exhorté le gouvernement à interdire l'utilisation de grenades explosives GLI-F4 dans les missions de maintien de l'ordre, affirmant qu'elles avaient déjà causé plusieurs blessures graves, notamment « une main ou un pied arraché par l'effet de souffle ».
Le 1er février 2019, le Conseil d'État, la plus haute juridiction administrative de France, a rejeté une pétition déposée par la Ligue les droits de l'homme et le syndicat CGT demandant l'interdiction ou la suspension de l'usage des LBD dans les manifestations. Tout en reconnaissant les blessures graves causées par l'utilisation des LBD, le Conseil d'État a autorisé l'utilisation continue de ces armes dans les missions de maintien de l'ordre au cours des rassemblements. L'institution a déclaré que ces armes étaient « nécessaires et appropriées » pour la gestion de manifestations violentes et qu'elles étaient soumises au strict respect des conditions d'utilisation. Le 6 février 2019, la Ligue française des droits de l'homme a fait appel de la décision du Conseil d'État et a déposé une question prioritaire de constitutionnalité critiquant l'insuffisance et l'inadéquation du cadre juridique actuel régissant le recours aux armes telles que les LBD lors de manifestations par les forces de l'ordre.
En réponse aux critiques, le ministre de l'Intérieur a annoncé le 22 janvier 2019 que les agents de police anti-émeute utilisant des balles en caoutchouc (LBD) seraient équipés de caméras corporelles afin d'enregistrer l'utilisation de ces armes, une mesure jugée insuffisante.
La commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, après s'être rendue en France le 28 janvier 2019 pour discuter des préoccupations en matière de droits de l'homme liées aux manifestations des « gilets jaunes », a également exprimé sa profonde inquiétude face à la violence policière contre les manifestants, y compris les journalistes, et en particulier pour l'utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD).
The #flashball #LBD40 used by the police (cf #ViolencesPolicières) of #France, has caused coma, eyes losses, broken skulls, forefronts & hands, disfiguring with broken noses, jaws, chins, teeth & cheeks, body injuries, during the #GiletsJaunes movement. Let's BAN it immediately! pic.twitter.com/7jJajRqWFQ
— diane himpan (@diyanindia) 14 de enero de 2019
Arrestations préventives
Les organisations de défense des droits de l'homme ont reproché au gouvernement d'avoir pris des mesures répressives et aveugles contre les manifestants. Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes » en novembre 2018, plus de 5 500 manifestants ont été arrêtés, dont certains avant les rassemblements comme mesure préventive. D'autres « milliers » restent en garde à vue et plus d’un millier de « condamnations sévères » ont été constatées au 18 janvier 2019 selon la Ligue française des droits de l'homme. Le 12 février lors d'un débat parlementaire le premier ministre a confirmé qu'en ce qui concerne les manifestations des « gilets jaunes », 1 800 condamnations ont été prononcées et que 1 400 manifestants étaient encore en attente de jugement.
Des organisations de défense des droits de l'homme ont également signalé que la police avait pris d'autres mesures préventives, telles que des perquisitions aveugles, notamment contre des personnes qui ne présentaient pas forcément un risque de violence imminent. Amnesty International a constaté que lors de ces perquisitions non seulement ces personnes se sont fait confisquer leurs équipements de protection, mais en plus le simple fait qu'elles soient en possession de tels équipements a été utilisé comme prétexte pour les arrêter Par exemple, le ministère de l'Intérieur a confirmé que parmi les 1 700 personnes arrêtées dans tout le pays le 8 décembre 2018, certaines portaient des objets de protection tels que des masques et des casques, des équipement considérés comme non adaptés à des manifestations pacifistes selon les autorités.
Cependant, la ministre française de la Justice, Nicole Belloubet, a affirmé sur une chaîne de télévision qu'il n'y avait pas eu d'arrestations préventives pendant les manifestations.
Un projet de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations accroît les menaces contre la liberté de réunion pacifique
Le 5 février 2019, l'Assemblée nationale a approuvé un projet de loi anti-émeutes donnant plus de pouvoirs aux forces de l'ordre. Le projet de loi sera soumis au vote au Sénat le 12 mars.
Comme le souligne Amnesty International, ce projet de loi contient des dispositions inquiétantes qui imposeraient des restrictions arbitraires au droit de manifester pacifiquement:
- Il donne aux préfets le pouvoir d'interdire la participation aux manifestations à des personnes considérées comme dangereuses sans contrôle judiciaire ; d'ailleurs d'interdiction ne concerne pas un événement spécifique, mais peut être valable jusqu'à un mois. Ce projet de loi prévoit une peine de prison de six mois et une amende de 7 500 euros (8 500 dollars américains) pour les contrevenants.
La commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe a également fait part de son inquiétude concernant la proportionnalité des mesures proposées par ce projet de loi, affirmant qu'elles ne semblaient pas « nécessaires pour garantir efficacement la liberté de réunion et risquent d’être, au contraire, perçues comme une entrave à l’exercice de cette liberté ». La commissaire a appelé le législateur à « garantir le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales.»
Liberté d'expression
Agressions contre des journalistes couvrant les manifestations des « gilets jaunes »
Un certain nombre de journalistes a été blessé lors des manifestations des « gilets jaunes » et certains affirment avoir été délibérément pris pour cibles par la police. Les journalistes ont été attaqués par les deux camps. Ils ont été assénés à coups de balles en caoutchouc par la police et passés à tabac par les manifestants. Les journalistes ont toujours affirmé devant les organisations de défense des droits des médias avoir été visé par des tirs de balles en caoutchouc de la police anti-émeute, alors qu'ils étaient identifiés grâce à des stickers presse. Les syndicats de journalistes ont adressé aux autorités une plainte collective indiquant que de nombreux photographes de presse, clairement identifiés comme tels, se sont vu confisquer leur équipement de protection individuelle (casques, lunettes de protection et masque anti-gaz), parfois sous la menace d'une garde à vue. Cela a empêché certains journalistes de faire leur travail. Les journalistes ont également déclaré qu'ils ont été exposés à des dangers supplémentaires par la confiscation de leurs équipements de protection.
- Un journaliste portant un casque de presse a été frappé par une grenade de désencerclement dans le dos comme le montre une séquence vidéo partagée sur les réseaux sociaux.
Reporters sans frontières (RSF) a saisi le Défenseur des droits pour qu'il enquête sur des informations faisant état de violences policières ciblées contre des journalistes alors qu'ils couvraient les manifestations.
Le ministre de l'Intérieur a rejeté l’accusation selon laquelle des consignes auraient été transmises à la police dans le but de limiter l'exercice de la liberté de la presse et s'est engagé à enquêter sur les violations de droits commises contre des journalistes.
De même, les médias et Reporters sans frontières dénoncent que les manifestants ont également mené plusieurs attaques contre des journalistes, notamment des passages à tabac, du harcèlement et des menaces contre des journalistes.
Le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, a appelé les porte-parole des gilets jaunes à condamner l'augmentation de la violence à l'encontre des journalistes et a exhorté les autorités à réagir :
« Il s'agit d'un chantage antidémocratique de la part de personnes qui estiment pouvoir frapper des journalistes si elles ne sont pas d'accord avec la manière dont les événements sont couverts », a déclaré Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.
Le ministre de l'Intérieur a répondu sur Twitter que toute personne qui attaquerait des journalistes sera traduite en justice, en ajoutant : « Dans notre démocratie, la presse doit être libre (...) attaquer les journalistes, c'est attaquer le droit d'informer. »
Par ailleurs, dans la nuit du 13 au 14 septembre 2018, huit activistes de l'association AttacFrance ont été arrêtés et maintenus en garde à vue pour avoir collé des autocollants sur les vitres des banques afin de protester contre « les sociétés offshore créées par les banques visées par cette action ». Plus de trente officiers de police et deux magistrats ont été mobilisés dans le cadre d'une démarche que l'association décrit comme une tentative visant à décourager la mobilisation des citoyens en faveur de la justice fiscale.
We call on the spokespersons of the Yellow Vests to solemnly condemn increasing violences against journalists during demonstrations. Their silence would be a sort of justification of lynching, as it happened today in the city of Rouen. #PressFreedom https://t.co/TEnSNAeHED
— Christophe Deloire (@cdeloire) 12 de enero de 2019
Dans un autre domaine, en septembre 2018, l'Agence Nationale de sécurité du Médicament avait refusé de rendre publique l'autorisation de mise sur le marché de la nouvelle formule du Levothyrox, fabriqué par la compagnie pharmaceutique Merck et qui aurait causé plusieurs problèmes de santé. L'Agence Nationale de sécurité du Médicament a invoqué la « loi sur le secret des affaires » adoptée le 30 juillet 2018. Comme nous l'avions signalé sur le Monitor CIVICUS, les OSC, les universités et la plupart des syndicats de journalistes ont vivement critiqué cette loi qu'ils considèrent comme une violation du droit à la liberté d'expression et d'information. Le collectif des journalistes d'investigation Informer n'est pas un délit a déclaré qu'il s'agit d'une atteinte au droit d’être informé perpétrée par une agence publique.
« Cette atteinte au droit d’être informé ne vient pas d’un groupe privé. Elle est le fait d’une agence publique. C’est inacceptable ! », a déclaré Informer n'est pas un délit dans un communiqué du 28 septembre 2018.
Une pétition en ligne a été lancée contre l'application du secret des affaires aux problèmes de santé publique et a recueilli plus de 45 000 signatures.