Voici les 5 violations des #droitshumains que nous avons documentées au #Sénégal en juin 2023. pic.twitter.com/FaqAvWKxPt
— Amnesty West & Central Africa (@AmnestyWARO) June 8, 2023
Les manifestations ont été réprimées et les violations de l'espace civique ont augmenté ces derniers mois dans un contexte marqué par des tensions politiques accrues à l'approche des élections présidentielles, qui devraient se tenir en février 2024. Alors que le président sortant Macky Sall restait silencieux sur son éventuelle candidature à un troisième mandat — interdit par la Constitution —, les poursuites judiciaires et la condamnation du chef de l'opposition et maire de Zinguinchor, Ousmane Sonko, ont entraîné des manifestations, des violences et des affrontements au cours desquels des dizaines de personnes ont péri, notamment à cause d'un usage excessif de la force par les forces de sécurité. Dans ce contexte, l'accès à l'internet mobile et aux réseaux sociaux a été interrompu pendant les manifestations de juin, un média a été suspendu et un journaliste et des militants ont été arrêtés.
Le 4 juillet 2023, à la suite des manifestations meurtrières de juin, le président Macky Sall a annoncé qu'il ne briguerait pas un nouveau mandat.
Senegal: Violent Crackdown On Opposition, Dissent https://t.co/bqiXTT0CHv
— Human Rights Watch (@hrw) June 5, 2023
Liberté de réunion pacifique
CONDAMNATION DU LEADER DE L'OPPOSITION OUSMANE SONKO : DES DIZAINES DE PERSONNES TUÉES LORS DE MANIFESTATIONS ET D'AFFRONTEMENTS VIOLENTS
Le 1ᵉʳ juin 2023, des manifestations et des affrontements violents ont éclaté à Dakar et dans d'autres localités du pays lorsque la chambre criminelle du tribunal de Dakar a condamné Ousmane Sonko, par contumace, à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse ». Il a toutefois été acquitté des accusations de viol et de menaces de mort à l'encontre d'une ancienne employée d'un salon de massage. Les partisans de Sonko estiment que cette condamnation est motivée par des considérations politiques et qu'elle vise à empêcher sa candidature aux élections présidentielles sénégalaises de 2024.
À Dakar, les manifestants auraient érigé des barricades et jeté des pierres, tandis que les forces de sécurité auraient riposté par des tirs de gaz lacrymogènes. Des biens publics et privés ont été détruits et pillés, notamment les locaux de l'université Cheikh Anta Diop. Le 2 juin 2023, l'armée a été déployée dans certains secteurs de Dakar.
Dans un communiqué publié le 9 juin 2023, Amnesty International a signalé qu'au moins 23 personnes, dont trois enfants, ont été tuées à Dakar et à Zinguinchor lors des manifestations violentes du 1ᵉʳ et 2 juin 2023. Selon les chiffres fournis par la Croix-Rouge, au moins 390 personnes ont été blessées. Les autorités affirment que 16 personnes ont été tuées et qu'environ 500 ont été arrêtées.
Amnesty International a également documenté plusieurs violations des droits de l'homme : usage excessif de la force, y compris des balles réelles qui ont entraîné des morts, suspension de l'accès à l'internet mobile et aux réseaux sociaux, interruption du signal de Walf TV et présence d'hommes armés habillés en civil aux côtés des forces de sécurité. Ces derniers ont agressé violemment les manifestants, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Dans un premier temps, le directeur de la Sécurité publique, le commissaire divisionnaire Ibrahima Diop, a démenti cette information et a accusé des éléments de « forces occultes » venues de l'étranger d'avoir infiltré les manifestations. Le 14 juin 2023, lors d'une conférence de presse, le ministre de l'Intérieur a informé de l'ouverture d'une enquête sur ces hommes armés habillés en civil qui ont poursuivi des manifestants à bord de camionnettes, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
Arrêtés du Préfet de Dakar portant interdiction de rassemblements prévus les samedi 17 et dimanche 18 juin 2023. pic.twitter.com/ai7SoxTc4U
— Ministère de l'Intérieur du Sénégal (@Min_Interieur) June 16, 2023
Les appels du PASTEF, le parti de Sonko, et du FRAPP (Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine) à manifester de nouveau le 17 et le 18 juin 2023 se sont heurtés à une interdiction décrétée par le préfet de Dakar, qui a invoqué des risques de trouble à l'ordre public, de sabotage des biens publics et privés, et d'entrave à la libre circulation des personnes et des biens.
Comme nous l'avons indiqué sur le Monitor CIVICUS, plusieurs personnes ont perdu la vie dans le cadre des manifestations et des violences de mars 2021, après que Sonko a été accusé d'agression sexuelle et de menaces de mort. Amnesty International a recensé quatorze morts durant les manifestations spontanées de mars 2021.
MANIFESTATIONS DE L'OPPOSITION CONTRE LES POURSUITES JUDICIAIRES DE SONKO
Avant les manifestations du 1ᵉʳ, du 2 et du 3 juin 2023, plusieurs manifestations ont eu lieu dans le cadre des poursuites judiciaires engagées contre Ousmane Sonko, et certaines ont entraîné des affrontements. En voici quelques-unes :
- Le 29 mai 2023, des affrontements ont éclaté entre les partisans de Sonko et les forces de sécurité à proximité du domicile de Sonko dans le quartier de Keur Gorgui, à Dakar. La veille, des gendarmes avaient emmené de force Sonko de Ziguinchor à Dakar pour assister à son procès. Des jeunes partisans de Sonko auraient érigé des barricades, brûlé des pneus et jeté des pierres sur les forces de sécurité, tandis que ces dernières ont fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants et ont bloqué les principales rues menant au domicile de Sonko. Plus tard dans la journée, Sonko a affirmé sur les réseaux sociaux qu'il avait été « séquestré » par les forces de sécurité et a appelé la population à se mobiliser.
- Au moins trois personnes sont mortes le 16 mai 2023 dans le contexte de troubles, de manifestations et d'affrontements à Dakar et à Ziguinchor, à l'approche du procès de Sonko, qui a finalement été reporté.
- Les manifestations en soutien à Sonko et en faveur de la libération des prisonniers politiques ont commencé le 14 mars 2023. Le 16 mars 2023, la police a employé des gaz lacrymogènes contre des partisans de Sonko qui jetaient des pierres et l'accompagnaient jusqu'au tribunal de Dakar, où devait s'ouvrir son procès pour diffamation à la suite d'une plainte du ministre du Tourisme, Mame Mbaye Niang. Plus tard dans la journée, l'avocat de Sonko a expliqué que le chef de file de l'opposition avait dû consulter un médecin après avoir inhalé une substance qui avait altéré sa vision et sa respiration, et que, pour cette raison, le procès avait été renvoyé au 30 mars 2023. Amnesty International a indiqué que trois personnes ont perdu la vie et que plus de 130 manifestants ont été arrêtés entre le 14 et le 16 mars 2023.
- Des dizaines de personnes auraient été arrêtées le 30 mars 2023 lors de manifestations à Dakar. Plusieurs sources ont signalé que les manifestants ont jeté des pierres et brûlé des pneus, tandis que les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes. Ce jour-là, un tribunal a déclaré Sonko coupable de diffamation et l'a condamné à une peine de deux mois de prison avec sursis.
Sénégal: des milliers de manifestants à Dakar contre une éventuelle 3e candidature de Macky Sall https://t.co/uGtLClEdut pic.twitter.com/FcMtsaGJlg
— RFI Afrique (@RFIAfrique) May 12, 2023
DES MILLIERS DE MANIFESTANTS PROTESTENT CONTRE UN ÉVENTUEL TROISIÈME MANDAT DU PRÉSIDENT MACKY SALL
Le 12 mai 2023, des milliers de personnes ont manifesté à Dakar contre le refus du président Macky Sall d'abandonner la course pour un troisième mandat lors des prochaines élections présidentielles en février 2024. La manifestation avait été convoquée par la plateforme des forces vives de la nation F24 (en référence à la date des élections), une formation composée de plus d'une centaine de partis d'opposition, de syndicats et de groupes de défense des droits de l'homme et de la société civile. Elle avait été autorisée par les autorités locales. Les manifestants ont également exigé la libération de plus de 300 « détenus politiques ».
La Constitution sénégalaise autorise seulement l'exercice de deux mandats présidentiels consécutifs au maximum, donc un troisième mandat de Macky Sall serait inconstitutionnel. Cependant, les partisans du camp présidentiel défendent que la révision constitutionnelle de 2016 a remis les compteurs à zéro et que Macky Sall pourrait de ce fait briguer un nouveau mandat.
Violence during protests in the Ngor neighbourhood of the Senegalese capital, Dakar, has killed one teenager and wounded 30 people as young protesters took to the streets against an increasingly “repressive state”.#Senegal #Violance #HumanRights pic.twitter.com/yi7PM3cqE3
— World Times (@WorldTimesWT) May 10, 2023
UNE ADOLESCENTE TUÉE LORS D'UNE MANIFESTATION CONTRE LA CONSTRUCTION D'UNE CASERNE DANS LE QUARTIER DE NGOR
Une adolescente de quinze ans a été tuée et des dizaines de personnes ont été blessées lors d'une manifestation qui s'est tenue le soir du 8 mai 2023 et le lendemain dans le quartier de Ngor, à Dakar, contre l'aménagement d'un terrain de 6 300 mètres carrés. Les autorités ont l'intention d'y construire une caserne pour la Gendarmerie, ce à quoi les habitants issus de la communauté lébou s'opposent ; ils préfèrent qu'y soit bâti un lycée. Selon plusieurs sources, des gendarmes ont bouclé le quartier dans la matinée et ont empêché les journalistes et les résidents d'entrer et de sortir. De violents affrontements auraient éclaté et les forces de sécurité auraient employé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants.
Amnesty International a rappelé que les manifestations dans le quartier de Ngor se sont succédé depuis la mi-avril 2023 et que la gendarmerie a souvent recouru à une force excessive, notamment en faisant usage des balles réelles et des gaz lacrymogènes dans des espaces clos, comme le montrent des vidéos.
⚠️ Confirmed: Metrics show the restriction of social media and messaging platforms including Twitter, Facebook, WhatsApp, Instagram and YouTube in #Senegal; the incident comes amid protests over the sentencing of opposition figure Ousmane Sonko
— NetBlocks (@netblocks) June 1, 2023
📰 Report: https://t.co/2ckQPxJ5j3 pic.twitter.com/MuohanLeCP
Liberté d'expression
SUSPENSION DE L'ACCÈS À L'INTERNET MOBILE ET AUX RÉSEAUX SOCIAUX
Le 4 juin 2023, dans le contexte des manifestations généralisées et des affrontements violents qui ont suivi la condamnation de Sonko, les autorités ont coupé l'accès à l'internet mobile, qui est resté inaccessible jusqu'au 7 juin 2023. Dans un communiqué, le ministère de la Communication, des Télécommunications et de l'Économie numérique a déclaré que cela était dû à la diffusion de « messages subversifs dans un contexte de troubles à l'ordre public pendant certaines périodes ». L'accès aux réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter et WhatsApp avait déjà été restreint le 1ᵉʳ juin 2023.
Sénégal: la chaîne Walf TV suspendue pour un mois https://t.co/3w8xxWl600 pic.twitter.com/YaLA5MOMjn
— RFI Afrique (@RFIAfrique) June 10, 2023
SUSPENSION DE WALF TV POUR SA COUVERTURE DES MANIFESTATIONS EN SOUTIEN À SONKO
Le 9 juin 2023, la chaîne de télévision Walf TV a reçu une notification l'informant de la suspension de ses programmes pour une période de 30 jours à compter du 1ᵉʳ juin 2023. Ce jour, le signal de Walf TV a été coupé sans préavis durant 48 heures, apparemment sur ordre du ministre de la Communication, interrompant ainsi la couverture par la chaîne des manifestations et des violences qui ont suivi la condamnation du chef de l'opposition Ousmane Sonko.
Les autorités accusent Walf TV de « diffusion d’images de violences exposant des mineurs, accompagnées de propos subversifs et haineux portant atteinte à la stabilité de l’État » lors de sa couverture des manifestations. Sadibou Marong de Reporters sans frontières (RSF) commente :
Cette suspension constitue un dangereux abus de pouvoir qui pourrait être utilisé contre tout média dont la couverture déplairait aux autorités, mais qui, pourtant, ne fait que son travail. Le Sénégal doit redevenir un fleuron de la liberté de la presse en Afrique.
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La mesure a contraint le groupe de médias à mettre en chômage technique une centaine de salariés. Selon les médias, une cagnotte en soutien de Walf TV sur la plateforme en ligne Wave a été close à la demande des autorités, qui avaient sollicité la suspension des virements le 10 juin 2023.
Comme nous l'avons signalé sur le Monitor CIVICUS, Walf TV a été suspendue pour sept jours le 10 février 2023 pour avoir fait une « couverture irresponsable » des manifestations qui ont eu lieu à Mbacké. La chaîne avait déjà été suspendue durant 72 heures le 4 mars 2021 pour « trouble de l'ordre public », en raison de sa couverture des manifestations et des affrontements qui ont suivi l'arrestation du chef de l'opposition Ousmane Sonko.
La mise en garde à vue du Journaliste Serigne Saliou Gueye pour usurpation de fonction de journaliste est préoccupante pour la liberté d'expression et le journalisme. La liberté d'expression journalistique ne doit pas être injustement restreinte selon les principes de la CADHP. pic.twitter.com/YBBpoO4ERY
— ARTICLE 19 Sénégal (@article19wafric) May 24, 2023
UN JOURNALISTE ARRÊTÉ POUR AVOIR PUBLIÉ UN ARTICLE CRITIQUE
Le 24 mai 2023, Serigne Saliou Guèye, rédacteur en chef du quotidien Yoor Yoor, a été arrêté pour « outrage à magistrat » et « exercice illégal » de la fonction de journaliste, après avoir publié un article d'un magistrat anonyme sur le système judiciaire et le procès de Sonko. Bien qu'ayant travaillé comme journaliste pendant vingt ans, il ne posséderait pas de diplôme en journalisme ni de carte de presse. Guèye a été mis en liberté provisoire le 20 juin 2023 et reste sous contrôle judiciaire.
LIBÉRATION PROVISOIRE D'UN JOURNALISTE APRÈS PLUS DE TROIS MOIS EN PRISON
Le journaliste et chroniqueur judiciaire de Walf TV, Pape Ndiaye, a bénéficié d'une mise en liberté provisoire le 20 juin 2023, même s'il demeure sous contrôle judiciaire. Comme nous l'avons signalé sur le Monitor CIVICUS, Ndiaye a été arrêté le 3 mars 2023 pour « diffusion de fausses nouvelles » et « outrage à magistrat » en raison de déclarations qu'il a faites sur une affaire d'agression sexuelle présumée dans une émission en direct. L'audition judiciaire sur le fond du dossier a été reportée à deux reprises.
Liberté d'association
ARRESTATION ET INCULPATION D'UN MILITANT
Amnesty International a informé de l'arrestation de plusieurs militants avant les manifestations du 1ᵉʳ et du 3 juin 2023 ou dans le cadre de celles-ci. Aliou Sané a été arrêté à Dakar le 29 mai 2023, alors qu'il tentait de rendre visite à Ousmane Sonko à son domicile à Dakar puisque ce dernier ne pouvait pas quitter les lieux. Sané est le leader du mouvement social Y'en a marre et il est membre de la plateforme des forces vives de la nation F24, une formation regroupant plus de 130 partis d'opposition et organisations de la société civile qui luttent contre un éventuel troisième mandat de Macky Sall. Le 30 mai 2023, Sané a été conduit au bureau du procureur de la République et a été accusé de participation à une manifestation non déclarée et de trouble de l'ordre public, entre autres. En outre, deux membres du Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (FRAPP) ont été arrêtés : Bentaleb Sow a été arrêté le 31 mai 2023 à son domicile à Colobane et Moustapha Diop a été placé en garde à vue le lendemain, alors qu'il essayait de se renseigner sur la situation de détenus.