Contexte
L'état de siège prolongé en dépit des critiques
Le 19 septembre 2024, l'état de siège a été prolongé pour la 82ᵉ fois dans deux régions frontalières. Le décret instaurant l'état de siège dans les régions du Nord-Kivu et de l'Ituri avait été adopté en 2021 principalement pour endiguer la violence. Il habilite les autorités militaires provinciales de ces deux régions à perquisitionner des domiciles de jour comme de nuit, à interdire les réunions et les publications qu'elles jugent susceptibles d’exciter ou de porter atteinte à l'ordre public, et à arrêter toute personne impliquée dans des troubles de la paix et de l'ordre public, entre autres. Il transfère également la compétence pénale des juridictions civiles aux tribunaux militaires. La prolongation de l'état de siège a été votée sans débat. Tigere Chagutah, directeur régional d'Amnesty International, explique que les multiples prolongations de l'état de siège ne sont pas conformes à la Constitution de la RDC et à ses obligations internationales en matière de droits de l'homme. Avocats sans frontières a documenté les graves conséquences de l'état de siège sur l'accès de la population à la justice et sur la capacité des fonctionnaires de la justice à lutter contre l'impunité des crimes relevant du droit international.
Les acteurs de la société civile et les citoyens appellent à la fin de l'état de siège et soulignent qu'il ne garantit pas la sécurité de manière durable. La mesure s'est avérée inefficace. Selon le Baromètre sécuritaire du Kivu, 5458 personnes ont perdu la vie au cours des deux premières années qui ont suivi la promulgation de l'état de siège. Jean-Bosco Lalo, président du bureau national du Conseil de l'apostolat des laïcs catholiques du Congo (CALCC) et porte-parole des Forces vives de la RDC, souhaite également la levée de l'état de siège, qu'il qualifie d'« arnaque ». Pour le journaliste et défenseur des droits Socrate Nsimba, il est grand temps de mettre fin à l'état de siège et d'adopter une approche fondée sur le respect des droits de l'homme pour rétablir la sécurité.
Alors que la communauté internationale commençait à exprimer des réserves quant à l'absence de résultats tangibles et au coût humanitaire élevé, la mobilisation citoyenne contre l'état de siège a pris de l'ampleur avec des manifestations pacifiques, des sit-in et des campagnes sur les réseaux sociaux. Malheureusement, la société civile est réprimée sur la base même du décret établissant l’état de siège, qui accorde aux autorités militaires le pouvoir d’interdire des réunions considérées comme « de nature à porter atteinte à l’ordre public », d’arrêter toute personne accusée de « troubles à l’ordre public » et de juger des civils devant des tribunaux militaires.
Les 7 et 8 octobre 2024, les habitants et commerçants de Béni sont restés chez eux pour protester contre l'état de siège en vigueur.
Shabani Loswire, du groupe Synergie des mouvements citoyens et groupes de pression, souligne que « depuis l’avènement de l'état de siège, il y a restriction de l'espace civique et il suffit de critiquer un peu la gestion des militaires pour être arrêté ou bien être associé à un malfaiteur. Des citoyens se voient ainsi brutalement arrêtés et détenus sans procès. C'est pourquoi nous nous sommes dits, encore une fois, qu'il fallait que l’on manifeste localement à Béni pour que Kinshasa puisse prendre des mesures adéquates ».
Une révision de la Constitution à venir ?
Democratic Republic of Congo President Felix Tshisekedi, during a recent speech, proposed steps to change the country’s constitution, including floating the idea of a change to presidential term limits. Tshisekedi’s call raises rights concerns.
— Human Rights Watch (@hrw) November 4, 2024
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Le 23 octobre 2023, lors d'un discours adressé à ses partisans en lingala, le président Félix Tshisekedi a dénoncé que la Constitution avait été « rédigée à l'étranger par des étrangers », qu'elle comporte des « faiblesses » et n'est pas adaptée aux réalités du pays. Il a réaffirmé son intention de créer, par décret, une commission interdisciplinaire d'experts chargée d'étudier la possibilité de rédiger une nouvelle Constitution dès 2025. Dans une circulaire adressée aux cadres locaux de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir), les dirigeants du parti ont été invités à « mobiliser et sensibiliser pour imprégner aux militants le bien-fondé de la mise en œuvre du processus de révision de la Constitution ». Toutefois, l'opposition estime qu'il s'agit avant tout d'une tentative pour contourner l'interdiction constitutionnelle qui limite à deux le nombre de mandats que peut exercer le président.
L'activiste Jean-Claude Katende, de l'Association africaine pour la défense des droits de l'homme (Asadho), se demande pourquoi il faudrait modifier la Constitution pour permettre à des personnes qui n'ont toujours pas réussi à convaincre après plus de cinq ans au pouvoir, de continuer à gouverner de nombreuses années
Pour Prince Epenge, porte-parole de la plateforme d'opposition Lamuka, la primauté qu'accorde le président à ce sujet se fait au détriment des questions vraiment prioritaires, comme la guerre qui déchire l'est du pays ou l'extrême pauvreté qui étouffe des millions de Congolais.
Liberté d'expression
Deux journalistes arrêtés
Les journalistes Patrick Lokala et Érasme Kasongo Kalenga ont été arrêtés le 7 octobre 2024. Quatre agents de la police judiciaire ont fait irruption dans le domicile de Lokala, journaliste du site d'information privé Télé News RDC, à Kinshasa. Des hommes armés ont lancé des gaz lacrymogènes qui ont provoqué l'évanouissement de son fils cadet, qui a dû être transporté d'urgence à l'hôpital. Lokala a été placé en état d'arrestation provisoire après deux heures d'interrogatoire pour outrage à magistrat, faux et propagation de faux bruits pour ses critiques du système judiciaire congolais. Le CPJ a signalé que le ministre de la Justice Constant Mutamba a ordonné l'arrestation des agents impliqués après la diffusion sur Twitter d'une vidéo montrant le dur traitement infligé à Lokala par un agent de police.
En déclarations au CPJ, les journalistes locaux Paul Sampwe et Augustin Lumbu ont expliqué qu'Érasme Kasongo avait été arrêté par trois policiers qui l'ont emmené en prison à Kipushi, une ville dans la province du Haut-Katanga. Il a été arrêté pour délit de diffamation, pour avoir lu à l'antenne un communiqué de presse sur le détournement présumé de redevances minières par la chefferie Kyona Ngoie. Le 7 octobre 2024, la section de Katanga de l'Union nationale de la presse congolaise (UNPC-KATANGA) a exigé sa libération immédiate. Il a été remis en liberté le lendemain.
Deux journalistes tués au Nord-Kivu
Le 27 septembre 2024, le journaliste Edmond Bahati, coordinateur de Radio Maria, une station de radio catholique située à Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, a été abattu de plusieurs balles alors qu'il empruntait la route qui mène à son domicile. Le 30 septembre 2024, les services de renseignement militaire ont présenté à la presse deux meurtriers présumés. Dieme Bauma, chauffeur de tricycle dans la ville de Goma, a avoué qu'il avait agi de concert avec Elisha Hemedi, alias Mamadou, en raison d’un conflit impliquant le défunt Bahati. Le lieutenant-colonel Guillaume Njike Kaiko, porte-parole de la 34ᵉ région militaire, a assuré que les autorités chargées de la gestion de la province du Nord-Kivu sous l'état de siège se sont engagées à ne pas laisser ce crime impuni.
A Catholic journalist in the Democratic Republic of Congo (DRC) is being remembered as a man of peace after he was murdered on Sept. 27 in the Ndosho district of Goma. Edmond Bahati Mbarushimana was shot at close range on his way home from work. https://t.co/jdREBJ9yFh
— Catholic World Report (@cworldreport) October 4, 2024
Le 29 octobre 2024, les rebelles du M23 ont pillé le siège de la radio communautaire de Mpety, à 180 km à l'ouest de la ville de Goma, dans le Nord-Kivu. Barthélémy Bakangana, directeur de la station, a pu s'enfuir, mais le journaliste de la radio Yoshua Kambere Machozi a été arrêté par des membres du M23. Il a été retrouvé mort huit jours plus tard, selon les informations recueillies par Reporters sans frontières.
#DRC: RSF is outraged by the murder of Yoshua Kambere Machozi, host of the Mpety community radio station, who was found dead on 6/11, 8 days after his arrest by the M23. The authorities must protect journalists in #NorthKivu.👇https://t.co/QpGtoFOj47 pic.twitter.com/KYWdDHZy2L
— RSF (@RSF_inter) November 13, 2024
Liberté de réunion pacifique
Grève d’enseignants au Nord-Kivu
Au 16 septembre 2024, l'année scolaire n'avait toujours pas commencé au Nord-Kivu, dans l'est du pays, en raison d'une grève des enseignants des écoles primaires publiques.
Manifestation de l'opposition contre la détention des prisonniers politiques
Alors que la République démocratique du Congo tente d'obtenir un siège au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, des centaines d'opposants politiques et de militants d'ONG ont manifesté mercredi 25 septembre 2024, à Kinshasa, pour exiger la libération de ceux qu’ils considèrent comme des « prisonniers politiques et d’opinion » et dénoncer le rétrécissement de l’espace démocratique dans le pays.
#Kinshasa: avec d'autres forces socio-politiques acquises au changement, nous nous sommes regroupés devant le palais du peuple pour exiger la libération des prisonniers politiques, dont notre camarade @MwamisyoNdungo, detenu à Goma depuis 2022 pour avoir critiqué l'état de siège pic.twitter.com/C1Z5N1Tlcv
— LUCHA 🇨🇩 (@luchaRDC) September 25, 2024