Un espace civique menacé : répression des manifestations et des militants opposés au projet de remplacement de la Constitution de 2010
En septembre 2019, le gouvernement a organisé des « consultations nationales » destinées à demander l'avis des parties prenantes de l'opposition, de la société civile et des syndicats sur deux questions, à savoir, une modification de la Constitution et l'organisation d'élections législatives qui devaient se dérouler en septembre/octobre 2018 mais qui ont été reportées à plusieurs reprises. Ces consultations ont été boycottées par la plupart des partis d'opposition et par une grande partie de la société civile qui accusent le gouvernement de tenter de légitimer l’ambition perceptible du président Condé de rester au pouvoir au-delà du délai établi par la Constitution, soit octobre 2020.
En réponse, le Front national de la défense de la Constitution (FNDC), une plate-forme de partis d'opposition, d'organisations de la société civile et de syndicats formée en avril 2019, s'est engagé à utiliser « tous les moyens légaux » pour s'opposer à toute modification de la Constitution pouvant entraîner la suppression de la limite de deux mandats pour les présidents et permettant ainsi au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat. Les manifestations convoquées dans tout le pays par la FNDC ont été réprimées, entraînant la mort d'au moins neuf personnes, alors que les membres de la FNDC ayant organisé ces manifestations ont été arrêtés dans les jours précédents.
Le 17 octobre 2019, la Guinée a été inscrite sur la liste de surveillance du Monitor CIVICUS en raison des menaces immédiates et urgentes contre l'espace civique.
Guinea: End Crackdown on Opponents to New Constitution https://t.co/mOPvsVFz40
— Human Rights Watch (@hrw) 18 de octubre de 2019
Réunion pacifique
Au moins neuf personnes ont été tuées lors des manifestations des 14, 15 et 16 octobre 2019 à Conakry et dans d'autres villes du pays, les forces de sécurité ayant eu recours à une force excessive pour disperser les manifestants. Les manifestations, convoquées par le FNDC, ont été précédées par l'arrestation arbitraire de plusieurs leaders membres du FNDC (voir Liberté d'association). Des affrontements entre manifestants et forces de l'ordre ont été signalés sur les réseaux sociaux et des vidéos d'agents de police battant et humiliant des manifestants ont été publiées. Selon le FNDC, dix manifestants ont été tués, 70 personnes ont été blessées et environ 200 ont été arrêtées.
Les autorités ont déclaré que les manifestations étaient illégales, les organisateurs n'ayant pas informé les autorités. Cependant, dans la pratique, les autorités ont interdit les manifestations depuis plus d'un an invoquant des menaces pour la sécurité publique, affirme Human Rights Watch. Selon l'organisation de défense des droits de l'homme, au moins vingt manifestations, politiques et d'autre nature, ont été interdites par les autorités locales depuis juillet 2019.
François Patuel d'Amnesty International commente :
« Le recours à la force meurtrière contre des manifestants et des passants et l’arrestation des organisateurs des rassemblements sont une tentative honteuse des autorités guinéennes d’étouffer la dissidence par tous les moyens. »
#Communique #Guinee L'arrestation d'acteurs de la société civile engagés contre le projet de nouvelle constitution, nouveau tournant autoritaire en Guinée #Amoulanfe #Kibaro pic.twitter.com/AojRVsbYZv
— Tournons la Page (@TournonsLaPage) 15 de octubre de 2019
Association
Selon Amnesty International au moins quatorze personnes ont été arrêtées dans les jours qui ont précédé la manifestation du 14 octobre. Le 12 octobre 2019, la police a arrêté au moins huit personnes, membres du FNDC et agents de la société civile, lors d'une réunion qui s'est tenue dans la résidence du coordinateur national du FNDC, Abdourahamane Sanoh. Abdoulaye Oumou Sowh de l'Association des blogueurs de Guinée (ABLOGUI), Sekou Koundono de Balai Citoyen, Mamadou Baïlo Barry de l'OSC Destin en Main et Ibrahima Diallo de Tournons la Page. Un jour plus tard, le 13 octobre, sept autres personnes ont été arrêtées, dont Badara Koné, secrétaire général de la Jeunesse du parti d'opposition Union des Forces Républicaines (UFR).
Les 16 et 18 octobre 2019, les membres de la FNDC arrêtés le 12 octobre ont comparu devant le tribunal de Dixinn où ils ont été accusés d'avoir fait des déclarations « de nature à troubler l'ordre public ». Le procureur a requis cinq ans de prison et une amende de deux millions de francs guinéens (215 USD) pour sept des huit leaders des manifestations. Le 22 octobre 2019, le tribunal a condamné Abdourahamane Sanoh à une peine d'un an d'emprisonnement et quatre autres personnes – Sekou Koundono, Mamadou Baïlo Barry, Ibrahima Diallo et Alpha Soumah – à une peine de six mois.
Owner of Lynx FM in Guinea, Diallo Soulemane and presenter Aboubacar Algassimou Diallo facing prosecution following phone interview with outspoken critic of government based in the US reports @TheMFWA: https://t.co/wq9vK4LZy4 @IPCng
— IFEX (@IFEX) 27 de agosto de 2019
Expression
Harcèlement judiciaire des journalistes
Un présentateur de l'émission radiophonique Oeil de Lynx, Boubacar Algassimou Diallo, et le propriétaire de la radio Lynx FM, Souleymane Diallo, ont été placés sous contrôle judiciaire dans l'attente de leur procès, après leur convocation par la direction de la Police judiciaire le 19 août 2019. La convocation faisait suite à la diffusion de l'émission Oeil de Lynx du 31 juillet 2019 comprenant une interview du détracteur gouvernemental, Sanoh Dossou Conde, qui accusait le ministre guinéen de la Défense d'irrégularités financières. Les deux hommes ont été accusés de « complicité dans la production de diffamation, de diffusion de données de nature à troubler la sécurité publique ou a porter atteinte à la dignité humaine » en vertu de la loi de 2016 sur la cybersécurité. Le 29 août 2019, le contrôle judiciaire de Souleyemane Diallo a été levé. Selon les médias, la cour d'appel de Conakry a ordonné la clôture des poursuites judiciaires à l'encontre des deux journalistes le 20 septembre 2019.
#Guinée Deux journalistes de @LeLynxGN placés sous contrôle judiciaire. @RSF_inter dénonce un harcèlement judiciaire et réclame l'abandon des poursuites https://t.co/edkDsvBlpl #Team224 #PressFreedom pic.twitter.com/yuOiYqKRbr
— RSF en français (@RSF_fr) 21 de agosto de 2019
Les journalistes protestent contre les violations de la liberté de la presse
Pour dénoncer les violations de la liberté de la presse en Guinée, des stations de radio privées ont organisé une émission de protestation synchronisée en direct d'une durée de deux heures, diffusée sur tous les sites d'informations et les stations de radio privées le 29 août 2019. Ils ont notamment dénoncé l'utilisation de la loi sur la cybersécurité au lieu de la loi sur la liberté de la presse qui a décriminalisé les délits de presse. Amadou Tam Camara de l' Association guinéenne de la presse en ligne (AGUIPEL) s'est plaint :
« Aujourd’hui, la presse guinéenne traverse une période très difficile car les journalistes sont victimes de harcèlement et de persécutions judiciaires parce que les juges ou les procureurs ont décidé d’utiliser la Loi 002 sur la cybersécurité au lieu de la Loi 003 sur la liberté de la presse, chaque fois qu’une infraction est commise. »
Cette émission faisait suite à un sit-in organisé par des journalistes et des organisations de médias devant les bureaux du régulateur national des médias, la Haute autorité de la communication (HAC), quelques jours plus tôt, le 26 août 2019. Les journalistes ont protesté contre le harcèlement judiciaire et l'intimidation de journalistes portant une banderole avec le slogan : « Marche de colère des médias, plus de journaliste en prison ». La manifestation était organisée par le Syndicat des professionnels de la presse privée de Guinée en collaboration avec d'autres organisations de médias.