Contexte
Au Mali, la transition vers un régime civil est dans l'impasse. Le processus a connu un revers important le 29 avril 2025, lorsqu'une consultation nationale, boycottée par la majeure partie de la classe politique, a recommandé de nommer Assimi Goïta, le chef de la junte militaire, président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable jusqu'en 2030, ce qui, dans les faits, lui permettrait de contourner les élections. La détermination de Assimi Goïta à rester au pouvoir est en contradiction avec son engagement d'organiser des élections et de rétablir une gouvernance multipartite après son dernier coup d'État en 2021. L'adoption de lois qui suspendent les activités des partis et des associations apparentées dans tout le pays a suscité des protestations, aggravé la situation et fortement affecté l'espace civique.
La suspension des activités des partis a coïncidé avec une augmentation alarmante des cas signalés de disparitions forcées de militants politiques. Human Rights Watch (HRW) a informé que le 8 mai 2025, Abba Alhassane, âgé de 68 ans, secrétaire général du parti d'opposition Convergence pour le développement du Mali (CODEM), et Bachir Thiam, dirigeant du parti Le changement (YELEMA), ont été enlevés par des individus non identifiés. D'après HRW, ces dirigeants ont été pris pour cible en raison de leur opposition à la décision prise en avril par le régime militaire de suspendre les partis politiques et de prolonger le mandat du général Assimi Goïta. L'enlèvement d'El Bachir serait lié à ses critiques ouvertes du régime militaire et à ses revendications en faveur du retour à la démocratie et à l'ordre constitutionnel. Le régime militaire serait à l'origine de la plupart de ces kidnappings, ce qui compromet encore davantage les perspectives de gouvernance démocratique au Mali.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
LA JUNTE SUSPEND LES PARTIS POLITIQUES
Le 30 avril 2025 à Bamako, le Conseil national de transition (CNT), présidé par Assimi Goïta, chef de la junte au pouvoir, a adopté un projet de loi qui abolit le multipartisme dans tout le pays. Le 7 mai 2025, Assimi Goïta a signé le décret n° 2025-0318/PT-RM, qui suspend les activités de tous les partis politiques jusqu'à nouvel ordre. Le régime militaire a expliqué que le décret s'appliquerait à tous les partis politiques du pays ainsi qu'aux activités des associations apparentées. Le gouvernement a justifié la mesure en affirmant qu'elle contribuera à prévenir des activités déstabilisantes et à maintenir l'ordre public, conformément aux lois en vigueur. Le 12 mai 2025, le CNT, réuni sous la direction du général Malick Diaw, a abrogé la Charte des partis politiques (CPP) et le statut juridique de l'opposition politique. La CPP, codifiée dans la loi 05-047 du 18 août 2005, précise les procédures de création d'un parti, les normes éthiques auxquelles les partis doivent se conformer, ainsi que les paramètres réglementaires régissant leur fonctionnement et leur fiscalité.
Le 13 mai 2025, Assimi Goïta a entériné le décret présidentiel 2025-0339 PTRM, qui dissout environ 300 partis politiques, interdit toutes les réunions et activités des partis dissous, et prévoit des sanctions en cas d'infraction. Les tribunaux maliens ont rejeté les recours des partis politiques contre leur dissolution par décret, confirmant ainsi la décision de la junte, en dépit des dénonciations de violations des libertés et des droits.
Le 14 mai 2025, à la suite de la suspension des activités des partis politiques et des institutions apparentées, Mamani Nassiré, ministre délégué chargé des réformes politiques, a annoncé lors d'un point de presse l'élaboration d'une nouvelle loi sur la création et le fonctionnement des futurs partis politiques. Selon certaines informations, la future loi prévoirait une réduction significative du nombre de partis politiques et la fin du nomadisme politique entre deux grands partis.
La liberté d'association est devenue la cible d'attaques constantes sous le régime militaire. Par exemple, en décembre 2022 déjà, le régime militaire avait suspendu les activités des organisations de la société civile (OSC) financées ou soutenues par la France et avait adopté de nouvelles réglementations prévoyant un contrôle rigoureux de leurs activités. De plus, en décembre 2023, les autorités militaires ont menacé de dissoudre un parti d'opposition après que son dirigeant a été accusé d'être hostile au régime de transition. En outre, comme nous l'avons déjà signalé, de février à avril 2024, la junte a dissous plusieurs OSC pour des raisons d'ordre public et a suspendu les activités des partis politiques et des associations. Toutefois, le 10 juillet 2024, le régime militaire a de nouveau autorisé les partis politiques et les associations à reprendre leurs activités.
Des organisations internationales ont condamné la décision du régime militaire de dissoudre les partis politiques et les associations apparentées, et de proscrire les activités de nature politique. Le 8 mai 2025, un groupe d'experts indépendants des Nations Unies, dont la rapporteuse spéciale sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association Gina Romero, a publié une déclaration conjointe dans laquelle il a condamné le projet de loi qui abolit le multipartisme et le décret qui suspend les activités de tous les partis politiques. Les experts ont appelé à l'abrogation des deux textes.
ENLÈVEMENT D'UN MILITANT DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
Le 14 mars 2025, à Bamako, des individus non identifiés ont enlevé le leader de la société civile Aliou Badra Sacko, président du Front touche pas à mon argent et coordinateur de l'Appel du 20 février, en raison de son opposition à la nouvelle taxe sur l'argent mobile. Il participait à une réunion consacrée à l'élaboration de stratégies pour contrer les nouvelles taxes sur les télécommunications et l'argent mobile lorsqu'il a été enlevé par des individus non identifiés qui semblaient être des agents de la sécurité de l'État. Il a ensuite été mis en détention dans une prison secrète de la Sécurité de l'État. Il a été libéré deux mois plus tard.
UN DIRIGEANT DE L'OPPOSITION POLITIQUE DÉTENU POUR AVOIR CRITIQUÉ LE RÉGIME MILITAIRE
Le 24 avril 2025, à Bamako, les forces de l'ordre ont arrêté Mamadou Traoré, leader de l'opposition et chef du parti Alternative pour le Mali, à son domicile. Cette arrestation fait suite à des allégations du Pôle de lutte contre la cybercriminalité selon lesquelles il aurait délibérément diffusé de fausses informations et perturbé l'ordre public. Ces accusations découlent d'une interview controversée mise en ligne le 22 avril 2025 dans laquelle Traoré remettait en question la légitimité du référendum de 2023 et critiquait les membres du CNT, nommés par la junte, pour s'être prétendument enrichis aux dépens de la population. Il a été incarcéré à la prison de Dioïla le 25 avril 2025, en attendant son procès, prévu le 12 juin 2025. En réaction à l'arrestation et à la détention de Traoré, la plateforme Espérance nouvelle-Jigiya Kura, une coalition politique au sein de laquelle Mamadou Traoré exerce une influence significative, a condamné son arrestation et exigé sa libération immédiate.
Liberté de réunion pacifique
DES MANIFESTATIONS CONTRE LA JUNTE À LA SUITE DE L'INTERDICTION DES PARTIS POLITIQUES
Du 3 au 9 mai 2025, les manifestations contre la junte se sont multipliées à Bamako, où des centaines de personnes sont descendues dans la rue pour réclamer la fin du régime militaire d'Assimi Goïta et exiger des changements démocratiques. Ces rassemblements ont été déclenchés par le décret du 30 avril 2025 prévoyant la dissolution de tous les partis politiques et la prolongation du mandat d'Assimi Goïta jusqu'en 2030. Les 3 et 4 mai 2025, des milliers de personnes se sont rassemblées pour protester contre la nouvelle norme. La police aurait dispersé les manifestants au moyen de gaz lacrymogènes. Le 5 mai 2025, des acteurs de la société civile et des leaders de l'opposition ont tenu une conférence de presse pour appeler au « un retour rapide et crédible à l'ordre constitutionnel par l'organisation d'élections transparentes, inclusives et pacifiques ». Les manifestations convoquées le 9 mai 2025 par les partis politiques et les organisations de la société civile ont été reportées à cause des craintes de représailles potentielles du régime militaire.
MANIFESTATION CONTRE L'ABATTAGE PRÉSUMÉ D'UN DRONE PAR L'ALGÉRIE
Le 8 avril 2025 à Bamako, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant l'ambassade d'Algérie pour protester contre « l'agression d'Alger » et exprimer leur mécontentement pour l'abattage présumé d'un drone de reconnaissance malien près de la frontière par les forces algériennes. Cet incident a provoqué des frictions diplomatiques entre les deux pays, qui ont rappelé leurs ambassadeurs. Aucun incident majeur n'a été signalé.
Des manifestants arrêtés lors d'un rassemblement pacifique pour célébrer le retour de Mahmoud Dicko
Le 14 février 2025, à Bamako, les forces de l'ordre auraient arrêté et détenu une dizaine de partisans de l'imam Mahmoud Dicko, dont un homme âgé. Les faits se sont produits lors des préparatifs pour accueillir l’imam, figure renommée de l’opposition au régime militaire en place, à son retour d'exil. Parmi les personnes arrêtées, certaines ont été appréhendées à leur domicile, d'autres sur le lieu du rassemblement public. L'homme âgé a été libéré sans charges, mais les autres sont restés en détention. Le 5 février 2025, avant le retour de Dicko, Daouda Magassa, un de ses proches alliés, a été enlevé par des individus non identifiés, puis libéré le 11 mars 2025. Finalement, le retour de l'imam Dicko a été reporté en raison de la forte présence des forces de sécurité à Bamako et des craintes de violences potentielles lors de son arrivée. L'imam est le chef du Haut Conseil islamique du Mali, une organisation connue pour son opposition à la junte au pouvoir.
Manifestations contre les exécutions extrajudiciaires présumées de l'armée malienne
Les 13 et 14 mai 2025, dans la localité de Diafarabé, dans la région de Mopti, plusieurs dizaines de personnes, dont des femmes et des enfants, ont organisé une manifestation pacifique de deux jours devant la base militaire de Diafarabé pour dénoncer l'exécution extrajudiciaire présumée d'au moins une vingtaine de civils par l'armée malienne le 12 mai. Au même moment, d'autres manifestants se sont rendus à la mairie de Diafarabé pour exiger des informations sur le sort des hommes arrêtés. L'armée malienne aurait arrêté les vingt civils exécutés lors d'une opération militaire dans la localité, et les aurait emmenés vers une destination inconnue. Les Nations Unies ont demandé au gouvernement malien d'enquêter sur ces allégations et l'armée malienne aurait déjà ouvert des investigations.
Liberté d'expression
UN IMAM EMPRISONNÉ POUR AVOIR EXPRIMÉ SON DÉSACCORD AVEC LES PRATIQUES DE L'ARMÉE LORS DU RAMADAN
Le 24 janvier 2025 à Bamako, des agents du Pôle nationale de lutte contre la cybercriminalité ont arrêté l'imam Dr. Sekou Sidibé et l'ont placé en détention à la prison centrale de Bamako pour incitation à la violence, trouble à l'ordre public et tentative de démoralisation des forces armées. Cette arrestation fait suite à la diffusion sur les réseaux sociaux d'une vidéo du sermon de Sidibé du 17 janvier 2025, dans laquelle il tient des propos incendiaires à l'encontre des formateurs et des chefs militaires qui organisent des entraînements de recrues pendant le ramadan, arguant que cela empêchait les jeunes musulmans de jeûner. Le 3 avril 2025, un tribunal chargé de la cybercriminalité l'a condamné à une peine de deux ans de prison et à une amende de 1,5 million de FCFA (environ 2 600 USD).
SUSPENSION DES MÉDIAS
Le 9 mai 2025, à Bamako, la Haute Autorité de la Communication (HAC) a suspendu la chaîne de télévision internationale TV5-Monde et ordonné qu'elle soit retirée des bouquets de tous les distributeurs de services audiovisuels autorisés sur le territoire malien. Elle avait accusé TV5 Monde de ne pas respecter les principes d'impartialité et de neutralité dans la diffusion d'informations concernant la situation dans le pays à la suite de la suspension des partis politiques et de leurs activités par les autorités militaires. Le régulateur des médias avait critiqué spécifiquement TV5 Monde pour s'être concentrée uniquement sur les opinions des citoyens et les manifestations publiques, et pour avoir omis des informations équivalentes permettant de clarifier le point de vue du gouvernement sur les événements en cours à ce moment.
Le 10 novembre 2024, à Bamako, la HAC a suspendu la chaîne de télévision privée locale JOLIBA TV News pour une durée de six mois, à la suite d'une plainte déposée auprès de la HAC par les autorités burkinabées. Le 12 novembre 2024, le Conseil supérieur de la communication (CSC) du Burkina Faso a déposé une plainte contre JOLIBA TV pour les remarques offensantes qui auraient été faites par l'homme politique malien de renom et chef de file de l'opposition Issa Kaou N'Djim, qui avait décrié le régime militaire au pouvoir au Burkina Faso durant une émission télévisée le 10 novembre 2024. Le 14 novembre 2024, la HAC a convoqué l'animateur de l'émission et le directeur de la chaîne pour une audition qui s'est conclue par des accusations de diffusion de fausses informations. Elle a retiré à JOLIBA TV sa licence le 26 novembre 2024. En réponse, la direction de JOLIBA TV News a déposé un recours auprès de la HAC. Le 23 novembre 2024, la Maison de la presse et d'autres organisations professionnelles des médias ont exhorté à la HAC à reconsidérer sa décision. Il convient de noter que JOLIBA TV avait déjà été suspendue en novembre 2022, comme nous l'avions signalé.
UN JOURNALISTE ARRÊTÉ ET INCULPÉ POUR REMETTRE EN QUESTION DES DONNÉES GOUVERNEMENTALES
Le 9 avril 2025, à Bamako, le procureur du Pôle de lutte contre la cybercriminalité a ordonné l'arrestation et le placement en détention d'Alfousseini Togo, directeur de publication de l'hebdomadaire privé Le Canard de la Venise, à la suite de la publication, le 8 avril 2025, d'un article dans lequel il avait critiqué le ministère de la Justice. Dans l'article intitulé « La justice malienne ou le mal du siècle : la bourde du ministre Mamoudou Kassogué », Togo conteste la validité d'un sondage cité par le ministre de la Justice Mahamadou Kassogué, selon lequel la confiance de la population dans le système judiciaire malien serait passée « de 30 à 72 % en 2024 ». Le Pôle de lutte contre la cybercriminalité accuse Togo de diffamation, trouble à l’ordre public et atteinte au crédit de la justice.Toutefois, il a été libéré sous caution le 12 mai 2025 et son procès est prévu le 12 juin 2025.
UN JOURNALISTE ARRÊTÉ ET POURSUIVI POUR AVOIR CRITIQUÉ UN DIRIGEANT ÉTRANGER
Le 25 mai 2025, à Bamako, le Pôle de lutte contre la cybercriminalité a arrêté le journaliste Seydou Oumar Traoré, quelques heures après son retour d'une visite officielle à Kidal, où il accompagnait une délégation du ministre de la Défense dans le cadre d'une mission de couverture journalistique des activités militaires dans le nord du pays. Il a été accusé d'avoir insulté le président par intérim de la Guinée, le général Mamady Doumbouya, pour avoir affirmé qu'il avait « trahi l'AES [l'Alliance des États du Sahel] en composant avec les pays de l'Occident pour héberger les bases des terroristes sur le sol guinéen ». Plus tard, il a publié une vidéo dans laquelle il présentait ses excuses au président guinéen en langue dioula. Son procès est prévu le 10 juillet 2025. Dans un communiqué publié le 27 mai 2025, Yao Noel, président de l'Union des journalistes de la presse libre africaine(UJPLA), a demandé la libération immédiate de Seydou Oumar.
LA HAUSSE DES REDEVANCES MENACE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE
Le 31 décembre 2024, à Bamako, la Haute Autorité de la Communication (HAC), le régulateur des médias, a promulgué deux nouveaux décrets concernant les redevances annuelles et les modalités de paiement pour l'exploitation de services privés de communication audiovisuelle, ainsi que les frais de délivrance des licences pour l’établissement, l’exploitation et le changement de type de ces services. Les décrets n° 4473 et 4474 fixent des montants allant de 1 à 20 millions de francs CFA, soit de 1 à 34 160 USD environ, en fonction du statut juridique du média. Le 8 février 2025, les organisations professionnelles de la presse audiovisuelle et numérique ont demandé la suspension des décrets et dénoncé le manque de concertation ainsi que le caractère unilatéral de la mesure. Le même jour, l'Union nationale des jeunes éditeurs de presse (UNAJEP) a publié un communiqué de presse dans lequel elle a adressé son soutien à l'organisation faîtière de la presse audiovisuelle et numérique qui conteste les deux décrets.