Contexte
Disparition d'un militant politique
D'après Human Rights Watch (HRW), les autorités ont appréhendé et fait disparaître de force l'activiste politique et critique du gouvernement Yérima Djoubaïrou Tchéboa le 24 décembre 2024, alors qu'il se trouvait à N'Gaoundéré, dans la région l'Adamaoua, au nord du pays. Des témoins interrogés par l'organisation affirment avoir vu au moins deux hommes qui l'ont emmené. Le 21 janvier 2025, plusieurs semaines après sa disparition, les autorités ont publié un document daté du 6 janvier 2025 dans lequel elles ont signalé qu'il était en détention et que la police le soupçonnait d'avoir planifié d'incendier des isoloirs.
Enlèvement d'un magistrat
D'après les informations transmises par l'OSC Conscience africaine à l'AFP, le 29 décembre 2024, des hommes armés non identifiés ont enlevé à son domicile Nchang Augustinwa Amongwa, magistrat de Bamenda, dans la région anglophone du Nord-Ouest. Le même jour, des hommes armés ont enlevé des civils et les ont emmenés vers une destination inconnue. Conscience africaine a rappelé que trois personnes avaient été enlevées et assassinées en décembre parce que leurs familles n'avaient pas pu payer les rançons demandées.
Heureux d’avoir reçu ce mardi, 28 janvier 2025, les membres de la Commission Mixte Franco-Camerounaise, venus présenter le rapport sur le rôle et l’engagement de la France contre les mouvements indépendantistes et d’opposition du Cameroun de 1945 à 1971.#PaulBiya#Cameroun pic.twitter.com/AgwUKNiTye
— President Paul BIYA (@PR_Paul_BIYA) January 28, 2025
Rapport sur la colonisation française au Cameroun
Un rapport sur le rôle de la France dans la répression des mouvements indépendantistes au Cameroun a été rendu public le 28 janvier 2025. Il a été remis au président français Emmanuel Macron et au président camerounais Paul Biya. Dans ce document officiel, quatorze historiens soutiennent que la France a mené une guerre marquée par une « violence extrême » durant le combat pour l'indépendance du Cameroun à la fin des années cinquante. Malgré le progrès que représente la publication de ce rapport, les chercheurs déplorent ne pas avoir pu accéder aux archives nationales camerounaises postérieures à 1964, ce qui illustre la difficulté de faire la lumière sur cette période.
#Cameroon: Minister Suspends Prominent Human Rights Group REDHAC.
— ilaria allegrozzi (@ilariallegro) December 17, 2024
“The decision is outrageous. Instead of harassing rights groups, gvt should fulfill its obligations to provide them with an environment in which to operate freely," @hrwhttps://t.co/sKymaKUJhN
Liberté d'association
Des associations suspendues
Le 6 décembre 2024, le ministre de l'Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a pris un arrêté ordonnant la suspension du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC), de Reach Out Cameroon, de Nanje Foundation INC et de l'Association charitable Socioculturelle (ACS). Ces quatre organisations sont accusées de pratiques financières douteuses, telles que l'emploi de montages financiers illégaux, d'opacité sur l'origine et l'utilisation des fonds, ainsi que de défaut d'autorisation administrative nécessaire à l'exercice de leurs activités sur le territoire camerounais. Ces suspensions valident le classement de l'espace civique du Cameroun comme réprimé et ont amené CIVICUS à publier un communiqué appelant les autorités camerounaises à revenir immédiatement sur leur décision.
Le ministre affirme que, d'après les rapports de l'Agence nationale d'investigation financière datant de 2021 et 2024, les quatre OSC camerounaises ont reçu 16 milliards de francs CFA de l'étranger, mais ont dépensé et investi moins de 400 millions de francs CFA. Toutefois, il ne leur a pas donné l'occasion de fournir des preuves pour appuyer leur défense. Le REDHAC a dénoncé l'absence d'éléments probants à l'origine de ces accusations. De son côté, le Réseau panafricain des défenseurs des droits humains a également dénoncé la mesure : « Au Cameroun, l’érosion de l’espace civique a atteint des niveaux alarmants et les mesures répressives ainsi que les décisions administratives illégales sont en train de se banaliser de manière inquiétante », a prévenu Hassan Shire, président de l'organisation.
Les activités du REDHAC, de Reach Out Cameroon, dont le siège est à Buea, et de l'ACS ont été suspendues pour une durée de trois mois et toutes leurs activités et réunions sont interdites sur l'ensemble du territoire camerounais. L'organisation L. M. Nanje Foundation a été suspendue pour défaut d'autorisation et activités de nature à porter atteinte à l’intégrité du système financier national.
Le 9 décembre 2024, le sous-préfet de la commune de Douala 1ᵉʳ a fait apposer des scellés sur les locaux du REDHAC qui ont empêché le personnel d'y accéder. Alice Nkom, présidente du conseil d'administration du REDHAC, avocate au barreau du Cameroun et défenseure de longue date des droits des personnes LGBTQI+, les a brisé car elle estime que leur pose était illégale, puisque les procédures pour la suspension d'une organisation, établies par la loi de 1990, n’avaient pas été respectées.
Le même jour, les avocats du REDHAC ont déposé un recours administratif dans lequel ils affirment que la publication de l'arrêté constitue un « abus de pouvoir » et viole, entre autres, la loi de 1990 sur la liberté d'association et le règlement d'avril 2016 de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC) sur le Règlement portant prévention et répression du blanchiment de capitaux, du financement du terrorisme et de la prolifération en Afrique centrale. Cette norme prévoit que seules l'Agence nationale d'investigation financière (ANIF) et les autorités financières et judiciaires sont habilitées à engager des poursuites à l'encontre des contrevenants.
À ce sujet, Illaria Allegrozi de HRW commente :
Si veiller à ce que les associations fonctionnent de manière transparente est un objectif légitime, il est injustifié que les autorités camerounaises restreignent des droits protégés par la constitution et la loi, et contournent le système judiciaire.
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#Cameroun : la justice rejette la demande de suspension des arrêtés du Minat contre le Redhachttps://t.co/kLlQlbetnR
— Journal du Cameroun (@JDC_Fr) January 8, 2025
Selon des informations parues dans la presse, le 27 décembre 2024, le Tribunal administratif de la région du Littoral, siégeant à Douala, n'a pas admis le recours déposé par les coprésidents du conseil d'administration du REDHAC, le Pr. Lumbu Remy Ngoy et Me Alice Nkom. Le juge a émis une première ordonnance dans laquelle il a déclaré que les deux coprésidents n'avaient pas la qualité pour agir au nom du REDHAC. Dans une autre ordonnance datée du même jour, il a affirmé que la demande était irrecevable pour défaut de personnalité, d’existence légale et de capacité juridique du REDHAC, dont Maximilienne Ngo Mbe était la directrice exécutive.
Arrêter MINAT 1/2 pic.twitter.com/yOn4Kzkdpo
— MINAT DIVCOM (@MinatDivcom) December 7, 2024
Harcèlement judiciaire
La présidente du conseil d'administration du REDHAC, Alice Nkom, sa directrice exécutive, Maximilienne Ngo Mbe, ainsi que cinq membres, ont été convoqués au Commissariat central n° 1 de la ville de Douala à la suite de la publication de l'arrêté de suspension de l'organisation. Alice Nkom avait été convoquée une première fois par le préfet du département du Wouri le 10 décembre 2024, mais elle a demandé à comparaître en janvier afin d'assurer la présence de son avocat lors de l'interrogatoire. Elle a reçu une deuxième convocation le 16 décembre 2024 pour s'expliquer sur la rupture des scellés.
Amnesty International a signalé qu'Alice Nkom avait également été convoquée par le chef du Service central des recherches judiciaires de la Gendarmerie nationale les 10 et 14 janvier 2025 dans le cadre de l'enquête à son encontre pour « atteinte à la sûreté de l'État » et « financement du terrorisme ». Ces accusations dérivent d'une plainte déposée le 18 décembre 2024 auprès du Tribunal militaire de Douala par l'ONG camerounaise Observatoire du développement sociétal (ODS), qui l'accuse de collecter des fonds pour s'opposer aux autorités en place et pour soutenir des groupes armés dans les régions anglophones. Ces charges s'appuient sur la participation d'Alice Nkom, cinq ans plus tôt, à un forum sur la paix et la transition organisé à Munich par une organisation de la diaspora camerounaise. Les avocats camerounais Kah Walla et Emmanuel Simh, qui ont également assisté à l'événement, ont cosigné une lettre adressée au commissaire du gouvernement du Tribunal militaire de Yaoundé dans laquelle ils dénoncent ces accusations, qu'ils jugent graves et infondées. Amnesty International a appelé les autorités camerounaises à cesser de harceler la défenseure des droits humains Alice Nkom et les organisations de la société civile.
Barrister Tamfu Richard has filed a complaint with the prosecutor of the Douala Military Court against gendarme officers who brutalised him weeks ago. This comes a few days after the Cameroon Bar Council rejected the findings of an investigation carried out by the gendarmerie.… pic.twitter.com/NjzQOP7Zm7
— Mimi Mefo Info (@MimiMefoInfo) December 12, 2024
Attaque contre un avocat
Le 27 novembre 2024, Me Richard Tamfu, avocat au barreau du Cameroun et membre du conseil juridique du REDHAC et de la Plateforme pour l'État de droit au Cameroun, a été jeté à l'arrière d'un pick-up et a été piétiné par des gendarmes devant une foule, d'après une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux.
Ce jour-là, alors qu'il assistait un client qui était sur le point d'être arrêté au quartier Bonaberi de Douala, des gendarmes les ont emmenés tous les deux au siège de la Gendarmerie territoriale de Douala, où l'avocat a été victime de violences et a subi des blessures. Il a été libéré peu après et a été conduit à l'hôpital de Laquintinie.
Le 28 novembre 2024, le secrétaire d'État à la Défense chargé de la Gendarmerie nationale a ordonné l'ouverture d'une enquête sur l'incident, dont les résultats ont été publiés le 6 décembre 2024, et qui a abouti à la mise en cause de l'avocat pour violences sur des fonctionnaires, rébellion, destruction d'effets militaires, entrave à la justice et injures à l'encontre de quatre gendarmes. Tamfu a rejeté les conclusions de l'enquête et a signalé qu'elle n'avait pas été conduite de manière impartiale, car elle avait été menée par ses agresseurs. Dans une lettre datée du 9 décembre 2024, Me Mbah Éric Mbah, bâtonnier de l'Ordre des avocats du Cameroun, a critiqué le fait que les actes de torture mis en évidence dans la vidéo devenue virale n'aient pas été pris en compte lors de l'enquête. Il a dénoncé une « injustice flagrante et une partialité manifeste ». Le barreau du Cameroun a demandé qu'un organe impartial ou une équipe mixte entame une nouvelle enquête.
Le 29 novembre 2024, Richard Tamfu a porté plainte contre le chef de la Gendarmerie régionale du Littoral pour « complicité de torture ».
Une OSC de défense des droits humains se fait cambrioler
Les locaux de l'OSC Nouveaux droits de l'homme à Yaoundé ont été cambriolés dans la nuit du 18 au 19 janvier 2025. Les auteurs ont volé tout le matériel nécessaire au travail, tels que les ordinateurs, ainsi que plusieurs documents et la plupart des dispositifs de stockage de données. Cyrille Rolande Bechon, directeur de l'organisation, estime qu'il ne s'agit pas d'un simple cambriolage, car il a constaté depuis plusieurs mois une recrudescence des menaces et des intimidations à l'encontre des organisations qui dénoncent la dégradation des libertés au Cameroun. « Ce cambriolage, dont l'objectif est clair, empêcher les NDH de poursuivre leur travail, est un nouvel acte de violence et de harcèlement à l'encontre des défenseurs des droits de l'homme au Cameroun », avait affirmé l'organisation dans un communiqué.
Il y a deux ans jour pour jour, le 22 janvier 2023 au #Cameroun, le corps sans vie de l’animateur Martinez Zogo était découvert sur un terrain vague à la périphérie de Yaoundé. Deux ans plus tard, alors que la justice piétine, l’émotion reste vive chez ses collègues. pic.twitter.com/ydh7uelMuX
— Le journal Afrique TV5MONDE (@JTAtv5monde) January 22, 2025
Liberté d'expression
Toujours pas de justice pour le journaliste Martinez Zogo
Deux ans après l'enlèvement, suivi de tortures et meurtre, du directeur d'Amplitude FM, Arsène Salomon Mbani Zogo, plus connu sous le nom de Martinez Zogo, le procès s'enlise dans des questions de procédure. Dix-sept personnes, dont de hauts responsables d'agences de sécurité de l'État et un homme d'affaires influent, ont été arrêtées dans le cadre de cette affaire et sont jugées par le tribunal militaire de Yaoundé depuis mars 2023. Le procès a été marqué par plusieurs controverses, notamment la destitution de deux juges et la libération provisoire de deux des principaux suspects. Jusqu'à présent, aucun des témoins n'aurait été entendu au cours de ce procès pour meurtre.
Un journaliste arrêté et agressé alors qu'il couvrait une manifestation
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a dénoncé que des gendarmes de Buea, dans la région du Sud-Ouest, ont arrêté Nsoyuka Guy-Bruno Maimo, journaliste au quotidien Volcanic Times, alors qu'il couvrait une manifestation organisée le 24 octobre 2024 par un groupe local de femmes devant les locaux de la Gendarmerie à Buea. Maimo est resté en détention durant cinq jours et n'aurait pas pu communiquer avec son avocat ni avec sa famille jusqu'à sa libération sans condition le 29 octobre 2024. De plus, peu avant sa mise en liberté, des gendarmes l'ont frappé, notamment avec une ceinture, l'ont insulté, menacé et forcé à nettoyer les toilettes. En déclarations au CPJ, il a relaté qu'on l'avait accusé de s'immiscer dans le travail de la Gendarmerie et qu'il soupçonnait les gendarmes d'avoir accédé à son téléphone portable durant sa détention.
Liberté de réunion pacifique
Grève dans l'enseignement supérieur
Le 6 janvier 2025, les professeurs d'universités publiques ont entamé une grève sous la direction du Syndicat national des enseignants du supérieur, qui exigeait le paiement intégral des arrières dues par le gouvernent. Le mouvement social était toujours en cours au 14 janvier.
Interdiction d'une manifestation et propos sévères envers les personnes LGBTQI+
Le 14 décembre 2024, à Doula, le préfet du département du Wouri, Sylyac Marie Mvogo, a pris un arrêté interdisant une manifestation des membres du REDHAC et de ses sympathisants. Baptisé « Lundi en noir », l’acte de protestation devait se tenir le 16 décembre 2024 à Douala. Dans le document, le préfet a prévenu qu'aucun rassemblement, expression de mécontentement ou manifestation publique non autorisée ne serait toléré dans le département du Wouri du 15 au 17 décembre, qu'il y aurait des fouilles systématiques des véhicules et des personnes et que tous les contrevenants seraient sanctionnés. Anticipant que la manifestation porterait des messages de solidarité envers la communauté LGBTQI+, il a également appelé les citoyens à « se désolidariser de la défense de cette cause ignoble ».