Plusieurs violations de l'espace civique ont eu lieu à l'approche des élections législatives du 31 juillet 2022. Des journalistes ont été la cible de menaces et d'actes d'intimidation, et les manifestations de l'opposition ont été interdites demanière arbitraire par les autorités. Des dizaines de manifestants ont été arrêtés et au moins trois personnes ont été tuées le 17 juin 2022, lors d'une manifestation de l'opposition qui avait été interdite. Fait positif, la Cour de justice de la CEDEAO a ordonné à l'État sénégalais d'abroger un arrêté ministériel de 2011 qui interdit les manifestations politiques dans le centre-ville de Dakar.
Senegal: Protect journalist safety during parliamentary election https://t.co/GVFexTabOF [@GlobalFreeMedia]
— Steff Migot (@Penseuse) July 26, 2022
Liberté d'expression
Menaces et intimidations à l'encontre de journalistes à l'approche des législatives
Reporters sans frontières (RSF) a constaté « une escalade inquiétante des menaces verbales et physiques » contre les journalistes depuis mai 2022, dans les mois précédant les élections législatives sénégalaises du 31 juillet 2022. Dans un communiqué, l'International Press Institute (IPI) a également déclaré que les attaques contre les journalistes et les médias, tant numériques que traditionnels, perpétrées par des personnalités politiques, des partisans et les forces de sécurité sont devenues « flagrantes » à l'aube des législatives.
Par exemple, le 8 juin 2022, lors d’un rassemblement de l'opposition à Dakar, des partisans ont insulté une équipe de journalistes de Télévision Futur Média et l'ont empêchée de couvrir l'événement. Le 24 mai 2022, la journaliste de DakarBuzz, Ndeye Ngoné Diop, a été bousculée et agressée verbalement par des partisans de Benno Bokk Yakaar (BBY), la coalition présidentielle, après avoir posé une question lors d'une conférence de presse organisée par BBY. Cette réunion s’est tenue suite à la décision du Conseil constitutionnel d'autoriser la coalition politique d'opposition Yewwi Askan Wi à modifier sa liste de candidats aux élections législatives, après que la commission électorale nationale a rejeté sa demande. Aminata Touré, chef de file de BBY, a présenté ses excuses le lendemain, après le tollé qu'a suscité le traitement infligé à la journaliste.
Un autre incident a été rapporté par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) : Talla Sylla, membre du parti Convergence des jeunes républicains (COJER), a appelé à incendier les installations du groupe de presse Walfadjri et à attaquer ses journalistes lors d'une interview en direct sur Facebook pour Xibar24 le 21 juin 2022. À cette occasion, il a exprimé son mécontentement pour les reportages critiques envers le président Macky Sall émis par Walf TV, une filiale de Walfadjri. Il a affirmé :
« Dans d'autres pays, ils auraient brûlé Walfadjri. Walfadjri doit être brûlé. Il faut attaquer Walfadjri pour mettre fin à cette télévision. »
En réponse à ces déclarations, la Coordination des acteurs de la presse (CAP), une alliance d'organisations de journalistes, a appelé à une concertation nationale début juillet 2022.
J'exhorte le journaliste Pape Ndiaye de Walf TV à saisir la justice pour que tous ces énergumènes qui ont proféré des insultes et de graves menaces contre lui, et qui peuvent être facilement identifiés par leur numéro de téléphone, répondent de leurs actes. 1/2 pic.twitter.com/q2iy2aXqGW
— Seydi Gassama (@SeydiGassama) March 5, 2022
Des insultes et des menaces de mort contre un journaliste
Selon le Syndicat des professionnels de l'information et de la communication (SYNPICS), le 5 mars 2022, le journaliste et présentateur de Walf TV, Pape Ndiaye, a reçu des insultes et des menaces de mort par le biais de messages vocaux, d’appels téléphoniques et de messages WhatsApp à la suite de commentaires qu’il avait fait dans l'émission PetitDej de Walf TV. Ses propos concernaient l'agression sexuelle présumée d'une masseuse par le leader de l'opposition Ousmane Sonko du PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité).
Senegalese gendarme beat journalist Pape Malick Thiam, file charge of contempthttps://t.co/558gdMJXF6
— Committee to Protect Journalists (@pressfreedom) April 19, 2022
Arrestation et agression contre un journaliste
Le 14 avril 2022, Pape Malick Thiam, journaliste du média 7TV, a été arrêté et battu par des gendarmes devant un tribunal de Dakar, où il s’était rendu pour couvrir une audience dans l'affaire pour viol présumé d'Ousmane Sonko (voir ci-dessus). Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), qui s'est entretenu avec le directeur général de 7TV, Thiam a été arrêté au tribunal par un gendarme qui lui a reproché de filmer dans une zone interdite. Lorsqu'il a refusé de remettre son téléphone au gendarme, ce dernier l'a insulté et battu, et a fini par l'arrêter. Thiam a été libéré sans condition le lendemain, mais il a dû comparaître devant un tribunal le 20 avril pour des accusations de « rébellion » et d'« outrage à agent dans l'exercice de ses fonctions », des charges passibles d'une peine de trois mois de prison et jusqu'à 50 000 francs CFA (80 USD) d'amende selon les dispositions du Code pénal. Les médias sénégalais ont informé que le tribunal l'a déclaré coupable, mais l'a dispensé de sa peine. Sadibou Marong de Reporters sans frontières (RSF) commente :
« Aussi sensible soit-elle, cette affaire ne peut plus être un prétexte pour les pires attaques contre les médias et les journalistes enregistrées au Sénégal ces dernières années. Il est primordial de privilégier le dialogue si le Sénégal veut continuer à jouir d'une presse libre et indépendante, dont les acteurs ne craignent ni pour leur intégrité physique ni pour leur liberté. »
Un journaliste se fait insulter et battre par des gardiens d'un hôpital
Ousmane Kane, journaliste à la radiotélévision publique RTS, a été insulté et agressé physiquement par des gardiens de l'hôpital El Hadji Amadou Sakhir Mbaye le 15 avril 2022 à Louga, dans le nord-ouest du pays. Il faisait un reportage à la maternité de l'hôpital, où une femme est récemment décédée suite à une négligence médicale présumée, alors qu'elle était sur le point d'accoucher. D'après RSF, qui s'est entretenu avec le journaliste, Kane a été insulté et malmené alors qu’il interviewait une sage-femme à l'hôpital. Ses deux téléphones et ses lunettes ont été cassés pendant l'altercation et les agresseurs auraient emporté son équipement.
Sénégal: la chaîne de télévision Sen TV et la radio Zik FM suspendues pour 72 heures https://t.co/Zh37wuz46d pic.twitter.com/Xi8FO67X6e
— RFI (@RFI) March 31, 2022
Suspension de deux médias durant 72 heures
Le 31 mars 2022, le Conseil national de régulation de l'audiovisuel (CNRA), a ordonné la suspension des émissions de Zik FM et de Sen TV durant 72 heures. L'organisme a expliqué que cette mesure a été imposée en raison des « manquements répétés à l'éthique » qui ont enfreint « les principes d'objectivité, de neutralité, d'équité et d'équilibre » lors de séquences diffusées à l'antenne où Ahmed Aïdara, opposant appartenant à la coalition Yewwi Askan Wi et maire de Guédiawaye depuis janvier 2022, avait commenté des nouvelles sur l'actualité. Auparavant, le 14 mars 2022, le CNRA avait adressé une mise en demeure à D-Média, le groupe propriétaire des deux radiodiffuseurs, pour l'avertir de la violation de la réglementation en vigueur par Aïdara, qui, selon le régulateur, continuait de faire la promotion de sa personne et de son bord politique, et de dénigrer ses opposants et des citoyens.
🇸🇳 #Sénégal : 3 morts dans une manifestation en réponse à l’invalidation des listes électorales de l’opposition
— Libération (@libe) June 18, 2022
💬 «Le régime du tyran Macky Sall est injuste jusqu’à la moelle» https://t.co/7gIWDqb0Gq
Liberté de réunion pacifique
Manifestations de l'opposition : trois morts, interdiction de manifester, arrestations et poursuite de manifestants
Au moins trois personnes ont été tuées à Dakar, Bignona et Ziguinchor le 17 juin 2022 lors des manifestations de la coalition d'opposition Yewwi Aksan Wi contre l'invalidation de sa liste électorale par le Conseil constitutionnel. Le préfet de Dakar avait interdit la mobilisation deux jours plus tôt en invoquant des menaces de trouble à l'ordre public et de violation du Code électoral, qui interdit toute propagande électorale déguisée durant les trente jours précédant l’ouverture officielle de la campagne. Malgré cela, des manifestants se sont rassemblés à Dakar, Bignona et Ziguinchor. Des affrontements entre policiers et manifestants ont été signalés à Dakar lorsque ces derniers ont tenté d'accéder à la Place de la Nation, barricadée par les forces de sécurité. Selon les médias, des violences et des affrontements ont également eu lieu à Ziguinchor. Des policiers auraient encerclé le domicile du leader de l'opposition Ousmane Sonko pour l'empêcher de braver l'interdiction de manifester.
Des dizaines de personnes — plus de deux cents selon la coalition Yewwi Aksan Wi — ont été arrêtées de manière arbitraire, notamment les députés de l'opposition Mame Diarra Fam, Dethié Fall et Ahmed Aïdara, maire de Guédiawaye. D'après Amnesty International Sénégal, le 27 juin 2022, un tribunal a condamné Aïdara à un mois de prison avec sursis et à une amende de 50 000 francs CFA (80 USD) pour « participation à un attroupement non armé ». Dethié Fall a été déclaré coupable de « participation à une manifestation non autorisée » et a été condamné à six mois de prison avec sursis. À Dakar, Mame Diarra Fam et 82 personnes poursuivies par les mêmes accusations ont été acquittés.
Le 18 juin 2022, le militant Guy Marius Sagna, candidat de l'opposition pour le département de Ziguinchor, a été arrêté de manière arbitraire quand il s'est présenté à la gendarmerie de Ziguinchor pour rendre visite à 33 manifestants détenus depuis la veille. Le 29 juin 2022, il a été condamné à un mois de prison avec sursis et à une amende de 80 000 francs CFA (132 USD) pour « participation à une manifestation non autorisée ».
D'autres manifestations de la coalition Yewwi Aksan Wi prévues le 29 juin 2022 ont été interdites par les autorités administratives locales ; de ce fait, les organisateurs ont dû les reporter. RFI a informé que les préfets de plusieurs localités ont invoqué « des menaces de trouble à l'ordre public, des risques d'infiltration par des individus mal intentionnés et la violation du Code électoral » pour interdire les manifestations de l'opposition.
La Cour de justice de la CEDEAO ordonne l'abrogation de l'interdiction des manifestations politiques dans le centre-ville de Dakar
Le 31 mars 2022, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a jugé que l'arrêté ministériel 7580 du 20 juillet 2011, également connu sous le nom d'arrêté Ousmane Ngom, qui interdit les manifestations « à caractère politique » dans le centre-ville de la capitale, viole la liberté d'expression et de réunion pacifique, et doit donc être abrogée. Les autorités avaient invoqué la sécurité nationale et la protection des biens privées pour justifier l'arrêté ministériel, ce à quoi la Cour de justice a rétorqué :
« La référence à la menace pour la sécurité nationale n’est pas une baguette magique pour détourner une allégation de violation d’un droit de l’homme sans préciser la question de la sécurité nationale protégée ou que l’on cherche à protéger. »
Pour justifier sa décision, la Cour a également affirmé que l'arrêté ministériel est « indûment large et vague » et « a pris un caractère indéfini ».