Contexte
Les élections présidentielles et législatives se sont tenues dans un climat politique tendu, marqué par les violations de l'espace civique
Le président sortant Andry Rajoelina a été réélu pour un nouveau mandat dès le premier tour de l'élection présidentielle du 16 novembre 2023, lors d'un scrutin contesté, marqué par la faible participation et le boycott de l'opposition. Dix des treize candidats autorisés à se présenter à l'élection ont appelé les électeurs à boycotter le vote. Durant les semaines précédant les élections, le Collectif des 10, qui regroupe les dix candidats de l'opposition ayant décidé de boycotter l'élection, a organisé des manifestations non autorisées presque quotidiennement à Antananarivo, dont plusieurs ont été réprimées au moyen de gaz lacrymogènes, de matraques et d'arrestations arbitraires de manifestants et passants.
L'opposition affirme qu'Andry Rajoelina n'est pas éligible à la présidence, car il a acquis la nationalité française en 2014, ce qui le priverait automatiquement de la nationalité malgache et créerait des conditions électorales inéquitables.
En amont de la campagne électorale, les autorités ont restreint l'espace civique, notamment le droit à la liberté de réunion pacifique. Le 1ᵉʳ avril 2023, elles avaient déjà annoncé l'interdiction de toutes les manifestations politiques dans les lieux publics ; seul celles dans des « endroits clos » seraient autorisées.
Bien que le taux de participation ait été historiquement bas — 43,8 % — les 5 000 observateurs électoraux de l'OSC Observatoire SAFIDY déployés dans les 23 régions du pays ont constaté une « prolifération de mauvaises pratiques électorales à l’échelle nationale », avant et pendant le scrutin présidentiel, particulièrement l'achat de voix, une affirmation démentie par les autorités. Le 29 novembre 2023, lors d'une conférence de presse à Antananarivo, les responsables de l'Emmo – Nat, l'entité qui regroupe les forces de sécurité malgaches — Armée, Gendarmerie et Police — a averti qu'elle ne tolérerait « aucune déstabilisation » avant l'annonce des résultats officiels de l'élection présidentielle.
Le 29 mai 2024, Madagascar a organisé des élections législatives pour élire 163 députés. Avant l'annonce des résultats officiels, les forces de sécurité auraient de nouveau mis en garde contre toute perturbation motivée par les résultats électoraux, un avertissement condamné par la plateforme de la société civile Rohy.
Les élections législatives ont également été entachées de violations. Par exemple, le 31 mai 2024, sans mandat d'arrêt ou de perquisition, des dizaines de policiers ont emmené de force la députée Marie Jeanne d'Arc Masy Goulamaly depuis son domicile dans le district de Tsihombe, dans le sud de l'île. Ils l'ont conduite à Ambovombe, où elle a été assignée arbitrairement à résidence. La députée a été accusée d'avoir orchestré des manifestations. Auparavant, elle avait dénoncé des irrégularités électorales dans la circonscription de Tsihombe. Des manifestations ont éclaté le 31 mai 2024, peu après que Marie Jeanne d'Arc Masy Goulamaly et le candidat Vontsoa Christian ont déposé une plainte auprès des autorités compétentes.
Représailles et intimidations à l'encontre des candidats de l'opposition
Dans une déclaration publiée le 20 juin 2024, le porte-parole du Bureau des Nations Unies aux droits de l'homme, Thameen Al-Kheetan, a dénoncé que des membres de l'opposition et des candidats indépendants qui avaient mis en question le déroulement des élections législatives auraient fait l'objet de représailles, de menaces et d'autres actes d'intimidation. Des membres et des dirigeants de l'opposition ont déclaré avoir reçu des appels téléphoniques menaçants avant et après les législatives. Deux candidats indépendants qui avaient déposé des plaintes pour irrégularités électorales ont été accusés d'« incendie volontaire » et d'« atteinte à la sûreté de l'État ». Avant d'être inculpés, ils auraient été assignés à résidence pendant 17 jours.
Présidentielle à Madagascar: un nouveau rassemblement du collectif des 10 réprimé à Antananarivo https://t.co/GPXgtEr645 pic.twitter.com/bKmEwB8S1H
— RFI Afrique (@RFIAfrique) November 11, 2023
Liberté de réunion pacifique
Arrestations, recours excessif à la force lors des manifestations de l'opposition pendant les élections et poursuites à l'encontre de manifestants
Le Collectif des 10 a organisé plusieurs manifestations à l'approche des élections présidentielles pour dénoncer ce qu'il appelle « un coup d'État institutionnel » et pour exiger des élections libres et équitables. Au cours des semaines précédant les élections, la formation, qui regroupe les dix candidats de l'opposition ayant décidé de boycotter les élections, a organisé des manifestations non autorisées presque quotidiennement à Antananarivo, dont plusieurs ont été réprimées au moyen de gaz lacrymogènes, de matraques et d'arrestations arbitraires de manifestants et de passants.
Par exemple, le 11 novembre 2024, à Antananarivo, les forces de sécurité auraient employé des gaz lacrymogènes et des manifestants auraient érigé des barricades et lancé des pierres sur les forces de sécurité lors d'une manifestation de la formation de l'opposition, le Collectif des 10, pour demander le report de l'élection présidentielle. Onze manifestants auraient été arrêtés et quatre membres des forces de sécurité auraient été blessés, d'après la gendarmerie. Le 6 novembre 2023, les forces de sécurité ont dispersé des manifestants qui tentaient de se rassembler et de protester sur l'emblématique place du 13-Mai, à Antananarivo, malgré l'interdiction des manifestations sur ce lieu émise par le préfet de la ville en octobre 2023. Le candidat de l'opposition à la présidence, Jean-Jacques Ratsietison, a été brièvement détenu. Deux jours plus tôt, le 4 novembre 2023, les forces de sécurité avaient déjà utilisé des gaz lacrymogènes contre des manifestants qui tentaient de rejoindre la place du 13-Mai. Onze personnes auraient été arrêtées.
Le 8 novembre 2023, le député Fetra Ralambozafimbololona ainsi que dix autres personnes ont été arrêtés lors d'une manifestation du Collectif des 10. L’homme politique est accusé d'incitation et de participation à une manifestation non autorisée. Il a été mis en liberté provisoire et placé sous contrôle judiciaire le 17 novembre 2023. L'affaire a été déférée à la Haute Cour constitutionnelle en février 2024. Les dix autres personnes arrêtées ce jour-là ont été condamnées le 6 février 2024 à une peine de dix mois de prison avec sursis et à une amende avec sursis de 500 000 ariarys (environ 110 USD) pour « attroupement illicite » et « violence à l’encontre des forces de l’ordre ».
En octobre 2023, le porte-parole du bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Seif Magango, avait déjà exprimé ses préoccupations quant à l'emploi d'une « force inutile et disproportionnée » par les forces de sécurité contre des manifestants pacifiques en amont des élections. En outre, il a signalé que les démarches nécessaires au maintien de l’ordre public, comme les demandes d'autorisation pour l’organisation d'une manifestation pacifique, ne doivent pas être utilisées pour empêcher ou décourager les rassemblements pacifiques.
Manifestation contre une longue coupure d'électricité à Tamatave
Le 14 mars 2024, des habitants de Tamatave se sont rassemblés pour protester contre une longue panne d'électricité. Les manifestants auraient brûlé des pneus et jeté des pierres et des morceaux de bois sur les forces de sécurité, qui auraient fait usage de gaz lacrymogènes à leur tour. Quatre personnes auraient été arrêtées.
En février, j'ai écrit au gouvernement de #Madagascar à propos des menaces, intimidations & poursuites pénales à l’encontre de défenseurs des droits humains, lanceurs d’alerte & observateurs électoraux. Je n'ai pas reçu de réponse du gouvt @diplomatieMg https://t.co/Ls5QvTCAfG
— Mary Lawlor UN Special Rapporteur HRDs (@MaryLawlorhrds) June 18, 2024
Liberté d'association
Un défenseur des droits humains en rapport avec l'environnement détenu pour avoir protesté contre un projet minier dangereux
Le 27 août 2024, les forces de sécurité ont arrêté le militant de la société civile Solonarivo Tsiazonaly pour « manifestation sans autorisation et troubles à l'ordre public ». Tsiazonaly avait participé à l'organisation d'une manifestation à Tuléar contre l'éventuel redémarrage de l'exploitation minière Base Toliara, récemment racheté par une multinationale minière américaine. Les opposants affirment que la reprise des activités aurait des conséquences désastreuses sur l'écosystème, sur l'environnement et sur la santé des habitants de la région.
Les organisateurs avaient demandé l'autorisation de manifester quelques jours avant la mobilisation, mais, finalement, la manifestation a été interdite par le préfet de Toliara. Cependant, l'interdiction n'a été notifiée que la veille de la manifestation, or des manifestants de la région étaient déjà sur place. Le 27 août 2024, des forces de sécurité auraient été déployées au point de départ de la manifestation et auraient empêché les manifestants de se rassembler. Solonarivo Tsiazonaly a été arrêté et n'aurait été libéré qu'après avoir signé sous contrainte un document dans lequel il s'engageait à ne plus prendre part à des « grèves » contre le projet Base Toliara.
Plusieurs OSC, dont le Réseau des jeunes pour le développement durable et Femmes en action rurale de Madagascar, ont publié un communiqué dans lequel elles ont condamné les actes d'intimidation et de harcèlement contre des défenseurs des droits humains, ainsi que la violation du droit fondamental de manifester pacifiquement.
Des lanceurs d'alerte et des défenseurs des droits humains condamnés à des peines de prison
Le 29 avril 2024, un tribunal d'Antalaha a condamné la défenseure des droits humains et lanceuse d'alerte Marie Natassa Razafiarisoa à une peine de trois ans et deux mois de prison, dont vingt mois avec sursis, et à une amende de 200 000 ariarys (environ 44 USD) pour « menace de mort verbale », « destruction de clôture et complicité de destruction de clôture » et « outrage à agent de l’État ». Razafiarisoa est présidente de Tanora Tia Fivoarana SAVA, une OSC qui promeut les droits humains et l'émancipation des jeunes à Sambava. Elle a été placée en garde à vue le 22 novembre 2023, après avoir été interrogée à la brigade de la gendarmerie de Sambava, à la suite d'une plainte déposée par le propriétaire d'un terrain à Moratsiazo, à Sambava, qui fait l’objet d’un litige foncier et dans lequel avait été érigé un mur qui barrait l’accès à certains habitants du terrain. Le 7 novembre 2023, deux semaines avant sa détention, Razafiarisoa avait rendu visite à huit jeunes placés en détention préventive à la prison d'Antalaha afin de leur proposer une représentation légale. Ils étaient accusés de destruction de clôture pour avoir démoli partiellement un mur érigé dans ledit terrain.
Le 23 novembre 2023, un juge d'instruction a accusé Razafiarisoa de « complicité de destruction de clôture » et l'a mise en liberté provisoire sous contrôle judiciaire pendant six mois. La date de son procès a été fixé au 26 janvier 2024. Malgré cela, le 13 décembre 2023, la gendarmerie de Sambava l'a convoquée et l'a placée de nouveau en garde à vue en raison d'une publication sur Facebook dans laquelle elle dénonçait les injustices commises à l'encontre des habitants de Moratsiazo et l'inaction de la police locale. Deux jours plus tard, elle a été traduite devant un tribunal d'Antalaha, où elle a été accusée d'avoir « proféré des menaces de mort et insulté un agent des forces de l'ordre ». Par la suite, elle a été emmenée à la prison d'Antalaha.
Le 21 novembre 2023, un tribunal pénal d'Antananarivo a condamné le défenseur des droits humains Thomas Razafindremaka à deux ans de prison et à une amende de 100 000 ariarys (environ 22 USD) pour fraude et usurpation de titre. Les organisations de défense des droits humains considèrent qu'il s'agit d'un acte de représailles pour son travail en faveur des droits humains. La condamnation ferait suite à une plainte contre Razafindremaka pour s'être « immiscé dans des fonctions dévolues aux huissiers de justice et aux avocats », ainsi que pour avoir « employé des manœuvres frauduleuses pour persuader et escroquer la fortune d'autrui ».
Razafindremaka est le président de l'association Gny To tsy mba Zainy (GTZ) et se bat contre la corruption et l'accaparement des terres des petites exploitations agricoles dans la région d'Ihorombe. En déclarations à RFI, Lalaina Rakotonirina, directrice générale de l'OSC Ilontsera, explique :
« Ce cas-là, ça empêche et ça intimide les lanceurs d'alerte et les membres de la société civile. Parce que avec toutes ces poursuites, il y a une certaine peur qui s'installe. Et en ce moment, plus que d'habitude, comme on peut le voir dans les informations, ceux qui ne correspondent pas au discours officiel du pouvoir en place sont convoqués ou bien poursuivis. »
- Lalaina Rakotonirina, directrice générale de l'OSC Ilontsera.
Thomas Razafindremaka avait déjà été arrêté en février 2020 pour des motifs similaires, après avoir déposé une plainte pour corruption contre le président de la Commission électorale du district et le candidat adjoint d'Ihosy dans le cadre des élections législatives de mai 2019. Malgré la condamnation de Thomas Razafindremaka en novembre 2023, sa détention n'a pas encore été ordonnée. Son avocat a annoncé qu'il avait fait appel de la décision.
Le 21 février 2024, la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et des défenseuses des droits humains, Mary Lawlor, et des représentants des procédures spéciales des Nations Unies ont envoyé un communiqué officiel au gouvernement de Madagascar dans lequel ils ont exprimé leurs préoccupations concernant les actes de harcèlement, les détentions et les poursuites contre des défenseurs des droits humains. Toutefois, les autorités malgaches n'ont pas répondu à la missive dans le délai de soixante jours prévus à cet effet.
Depuis des années, la société civile malgache réclame une loi sur la protection des lanceurs d'alerte et des défenseurs des droits humains.
Les observateurs électoraux font l'objet d'actes d'intimidation et de menaces
Depuis le début de la campagne électorale, des membres de l'Observatoire SAFIDY, surtout au niveau régional, auraient fait l'objet d'actes d'intimidation, de menaces et de représailles en lien avec leur travail de surveillance et d'observation du processus électoral. L'Observatoire SAFIDY avait été agréé pour participer à l’observation des élections.
À Ambovombe, dans la région d'Androy, des autorités locales auraient averti l'observateur de SAFIDY, Sorotombake Mbale, de ne pas divulguer des informations concernant des irrégularités électorales. Il a été convoqué au Bureau anti-corruption à Antananarivo le 18 novembre 2023, soit deux jours après avoir alerté l'Observatoire SAFIDY des irrégularités. Mbale aurait été auditionné le 24 novembre 2023, puis placé en détention préventive à la prison d’Antanimora, à Antananarivo, pour fabrication et usage de faux en écriture publique et pour réception de pots-de-vin. Il a été libéré en attendant son procès, prévu fin novembre 2024.
#Madagascar 🇲🇬 RSF condamne les attaques qui ont blessé près d'une dizaine de journalistes lors de manifestations politiques. A deux jours de l'élection présidentielle, les autorités malgaches doivent tout mettre en oeuvre pour protéger les journalistes.👇https://t.co/jILw90GdXr pic.twitter.com/XAImtUhlpR
— RSF (@RSF_inter) November 14, 2023
Liberté d'expression
Attaques contre des journalistes
Dans les semaines précédant l'élection présidentielle du 16 novembre 2023, une douzaine de journalistes ont été agressés par des agents de police et des partisans du président sortant Andry Rajoelina. Reporters sans frontières (RSF) a signalé que neuf journalistes ont été blessés le 4 novembre 2024, lorsqu'un gendarme a projeté des grenades lacrymogènes et assourdissantes aux pieds des reporters qui couvraient une manifestation de l'opposition à Antananarivo. Les journalistes reporters d'images Leonardjo Andriamparany de Real TV et Doph Rakotoniaina de Dream'in ont été blessés aux jambes et aux hanches par l'explosion d'une grenade assourdissante. La journaliste de Fréquence Plus, Finoana Razafijaonimanana, a été légèrement blessée à la jambe par les éclats d'une grenade de désencerclement. RSF a également précisé que des images vidéo montraient que le gendarme avait délibérément lancé la grenade en direction des journalistes.
Quelques semaines auparavant, le 13 octobre 2024, des partisans présumés du président sortant Andry Rajoelina ont agressé verbalement le journaliste de Kolo TV, Gaëtan Andriatsilavohery, et le reporter de Real TV, Mickaella Andrianjaka. Par ailleurs, le journaliste Takinirina Rafalimanana s'est fait arracher des mains son portable alors qu'il couvrait un rassemblement en soutien à Rajoelina le même jour.
Un journaliste convoqué
Le 11 décembre 2023, la section de recherches criminelles de la Gendarmerie a convoqué et interrogé le journaliste Fenosoa Gascar et l'homme politique Christian Tabera au sujet d'une émission. Selon des informations parues dans les médias, Tabera est accusé d'avoir incité les forces de sécurité à une mutinerie militaire lors d'une interview sur Real TV le 4 décembre 2023. Les gendarmes auraient informé les deux hommes que leur dossier serait transmis au parquet.