
Contexte
La transition est prolongée de cinq ans
En mai 2024, à l'issue d'un dialogue national, les autorités ont annoncé une prolongation de la transition vers un régime civil de soixante mois supplémentaires, soit cinq ans, à compter du 2 juillet 2024. Après cette période, Ibrahim Traoré, l'actuel président de la transition, pourra se présenter aux élections.
Le Burkina Faso quitte la CEDEAO et crée l'Alliance des États du Sahel (AES) avec le Mali et le Niger
Le 28 janvier 2024, les juntes militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont communiqué leur retrait du bloc économique et politique de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et ont par la suite annoncé officiellement leur décision à l'organisme. Dans une déclaration conjointe, les autorités militaires de la transition des trois États ont accusé la CEDEAO d'être « sous l'influence de puissances étrangères », de trahir leurs principes fondateurs, et de ne pas soutenir leur lutte contre « le terrorisme et l'insécurité », tout en imposant des « sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables » à la suite des coups d'État militaires dans ces pays.
La CEDEAO avait exhorté les juntes militaires à revenir à un régime civil et avait imposé des sanctions.
Les trois pays ont formalisé leur alliance avec la signature d'un traité confédéral lors d'un sommet à Niamey le 6 juillet 2024.
🔴🇧🇫 Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine putschiste Ibrahim Traoré, en octobre 2022, le Burkina Faso vit au rythme des enlèvements et des enrôlements forcés de ses opposants, civils comme militaires.
— Jeune Afrique (@jeune_afrique) July 11, 2024
Une enquête à lire en intégralité sur notre site pic.twitter.com/Yzrfb4MM7c
Liberté d'association
Des DDH, des opposants, des journalistes et d'autres dissidents sont réduits au silence par des enlèvements et des conscriptions forcées
Les autorités de la transition ont de plus en plus recours à des enlèvements, à des disparitions forcées et à l'enrôlement militaire obligatoire pour réduire au silence leurs détracteurs, les membres de l'opposition et les défenseurs des droits humains (DDH). Elles utilisent le décret de mobilisation générale d'avril 2023, qui permet d'enrôler des civils au sein des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), un groupe d'autodéfense armé auxiliaire qui soutient l'armée dans la lutte contre des formations djihadistes.
Le 21 février 2024, des individus habillés en civil se présentant comme des agents de la sûreté de l’État ont enlevé le militant Bassirou Badjo, du mouvement social prodémocratie Balai citoyen, en poste à la Direction générale de la solidarité nationale et de l'assistance humanitaire (DGSAH), son lieu de travail, et l'ont emmené vers une destination inconnue. La veille, le 20 février 2024, des individus armés non identifiés avaient également enlevé le militant Rasmané Zinaba, organisateur de Balai citoyen, à son domicile à Ouagadougou, et l’avaient conduit vers un lieu inconnu.
En novembre 2023, une douzaine de journalistes, d'opposants et de militants, dont Bassirou Badjo et Rasmané Zinaba, ont été informés qu'ils avaient été enrôlés pour combattre des groupes djihadistes. Reporters sans frontières (RSF) a signalé que le journaliste Issaka Lingani, commentateur de 64 ans d'une émission d'analyse politique sur la chaîne de télévision BF1, et le journaliste d'investigation Yacouba Ladji Bama, du média en ligne Bam Yinga, ont également reçu un ordre de conscription.
Le 1ᵉʳ décembre 2023, à Ouagadougou, des agents de sécurité ont enlevé Daouda Diallo, militant de la société civile et secrétaire général du Collectif contre l'impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), et l'ont conduit vers une destination inconnue. Selon Amnesty International, une photo de Diallo en treillis militaire a été relayée sur les réseaux sociaux le 4 décembre 2023. Il a finalement été libéré le 7 mars 2024.
Le 6 décembre 2023, le Tribunal administratif de Ouagadougou a jugé que les ordres de conscription étaient illégaux et a ordonné leur suspension. En dépit de cette décision, les autorités continuent d'utiliser les enrôlements ciblés pour réprimer les détracteurs et harceler les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile.
#BURKINAFASO 🇧🇫 - @hrw reports that military authorities are abusing an emergency law to unlawfully conscript prosecutors and judges. One of the judges conscripted, handled case of junta supporter implicated in illegal mining activities: https://t.co/IudZ1DPF9e
— IFEX (@IFEX) August 23, 2024
Le 6 décembre 2023, le Tribunal administratif de Ouagadougou a jugé que les ordres de conscription étaient illégaux et a ordonné leur suspension. En dépit de cette décision, les autorités continuent d'utiliser les enrôlements ciblés pour réprimer les détracteurs et harceler les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile.
Human Rights Watch (HRW) a dénoncé que les magistrats — juges et procureurs — qui ont engagé des poursuites à l'encontre des partisans de la junte militaire ont également reçu des ordres de conscription. Du 9 au 12 août 2024, les forces de sécurité ont transmis à au moins sept magistrats leur ordre de conscription pour participer aux opérations de sécurité contre les groupes armés islamistes à Kaya du 14 août au 13 novembre 2024. HRW a précisé que six d'entre eux se sont présentés à une base militaire à Ouagadougou le 14 août 2024 et sont portés disparus depuis. Parmi les personnes visées figurent le procureur du Tribunal de grande instance de Ouaga 1, qui aurait donné des instructions à la police judiciaire pour enquêter sur des disparitions forcées, et un juge du Tribunal de grande instance de Ziniaré, dans la province d’Oubritenga, qui instruit une procédure contre un partisan de la junte impliqué dans des activités minières illégales qui ont entraîné un glissement de terrain. Ce dernier a provoqué la mort d'une soixantaine de personnes.
Le 13 août 2024, un tribunal de Bobo-Dioulasso a statué que les ordres de conscription de deux des sept magistrats de cette ville étaient « manifestement illégaux » et a ordonné aux autorités de ne pas les exécuter.
🚨#HumanRightsViolations Alert
— WADEMOS Network (@WADEMOSnetwork) May 28, 2024
The Administrative Court of Ouagadougou decreed the immediate release of Guy-Hervé Kam on March 7. However, Maître Guy Hervé Kam remains in state custody to date, and his family and lawyers have been denied access to him. #FreeGuyHerveKamNow pic.twitter.com/69xy7xFFtM
Un militant de la société civile arrêté et poursuivi
Dans la nuit du 24 janvier 2024, des agents présumés de la Direction de la sûreté de l'État (DSE) ont arrêté l'avocat défenseur des droits humains, Guy Hervé Kam, à l'aéroport de Ouagadougou, alors qu'il s'apprêtait à prendre un vol pour Bobo-Dioulasso, et l'ont mis au secret. Kam est également coordinateur du mouvement Servir et non se servir (SENS), cofondateur du mouvement Balai citoyen, et a publiquement critiqué les autorités militaires de la transition. En mars et avril 2024, plusieurs tribunaux de la capitale ont ordonné sa mise en liberté. Il a finalement été libéré et déposé près de son domicile le 29 mai 2024. Aussitôt, un groupe d'hommes armés l'a emmené vers une destination inconnue. Le 1ᵉʳ juin 2024, Kam a comparu devant un tribunal militaire et a été accusé d'« atteinte à la sûreté de l'État ». Il a été libéré sous contrôle judiciaire le 10 juillet 2024, mais a de nouveau été placé en détention le 2 août 2024 après avoir été entendu par un procureur militaire.
En juin 2024, des avocats avaient entamé une grève pour protester contre son maintien en détention. Auparavant, les autorités avaient annulé un sit-in organisé par SENS, qui devait se tenir le 12 avril 2024 devant la Direction de la sûreté nationale pour demander la libération de Kam. Elles ont justifié leur décision en invoquant la suspension des activités politiques et le lieu choisi par SENS pour le rassemblement. Depuis la publication du Communiqué n° 3 du 30 septembre 2022, le jour du coup d'État militaire, les activités politiques des organisations de la société civile et des partis politiques ont été suspendues.
Burkina Faso’s media regulator suspends @BBCAfrica and @VOANews.
— Samuel Baker BYANSI (@SamuelBaker_B) April 27, 2024
“The Burkinabe authorities must immediately lift the suspension of #BBCAfrica and Voice of America and refrain from censoring local journalists and media outlets,” said @angelaquintal, head of @CPJAfrica’s program,… pic.twitter.com/IqafiLl5kg
Liberté d'expression
Des médias sont suspendus, victimes de la censure grandissante
Durant l'année écoulée, le Conseil supérieur de la communication (CSC), le régulateur national des médias, a suspendu plusieurs médias ou programmes en représailles pour leur travail. Voici un récapitulatif.
- Le 7 octobre 2024, le CSC a publié un communiqué dans lequel il a annoncé l'interdiction de la rediffusion de programmes étrangers jusqu'à nouvel ordre et la suspension de Voice of America (VOA) pendant trois mois. Il accuse le média de démoraliser les troupes burkinabés et d'avoir fait « l'apologie du terrorisme » durant une émission diffusée le 19 septembre 2024 et rediffusée par la chaîne locale Omega FM/TV.
- Le 20 juin 2024, le CSC a suspendu l'émission 7 Infos, diffusée sur BF1, durant deux semaines en raison des déclarations « diffamatoires » du commentateur Kalifara Séré, qui, selon elle, constituent un manquement à la déontologie. Séré a été porté disparu le 19 juin 2024 et ses confrères journalistes de BF1, Serge Oulon et Adama Bayala, ont été enlevés dans les neuf jours suivants. En outre, le 25 juin 2024, des partisans de la junte militaire ont organisé un sit-in dans la cour de BF1 pour demander à la chaîne de changer sa ligne éditoriale. En réponse à ces incidents, BF1 a décidé de cesser la diffusion de tous les programmes d'opinion et de débat, ainsi que certaines émissions en direct.
- Le 19 juin 2024, le CSC a ordonné la suspension du journal L'Événement, y compris de ses comptes sur les réseaux sociaux, durant un mois en raison de la publication d'un article sur le détournement présumé de fonds destinés aux VDP, des groupes auxiliaires civils de l'armée. Quelques jours plus tard, le 24 juin 2024, Serge Atiana Oulon, directeur de publication du média, a été enlevé (voir ci-dessous).
- Le 18 juin 2024, le CSC a suspendu la chaîne française TV5 Monde durant six mois pour avoir diffusé une interview du journaliste en exil Newton Ahmed Barry concernant la situation sécuritaire au Burkina Faso. D'après le régulateur, des « propos tendancieux frisant la désinformation » ont été relayés par le média. TV5 Monde a également été condamnée à une amende de 50 millions de francs CFA (environ 80 300 USD).
- Le 25 avril 2024, le CSC a suspendu Voice of America (VOA) et BBC Africa durant deux semaines. Le régulateur a déclaré qu'il s'agissait de « mesures conservatoires ». Les deux médias ont publié un rapport de Human Rights Watch (HRW) selon lequel l'armée aurait tué 223 civils, en février, à Nodin et Soro, dans le nord du pays. Le 27 avril 2024, le CSC a suspendu les médias internationaux TV5 Monde, Deutsche Welle, Ouest-France, Le Monde, ApaNews, The Guardian et l'Agence Ecofin, certains pour une durée indéterminée, pour avoir, eux aussi, rendu compte du rapport de HRW.
Auparavant, le 25 septembre 2023, les autorités de transition avaient suspendu par décret le média Jeune Afrique jusqu'à nouvel ordre, en raison de la publication de deux articles sur des tensions au sein de l'armée. En août 2023, elles avaient également suspendu jusqu'à nouvel ordre Radio Oméga pour avoir interviewé des opposants au coup d'État militaire au Niger. La sanction a finalement été levée le 11 septembre 2023.
Des journalistes sont victimes d'enlèvements et de disparitions et conscriptions forcées
Le 24 octobre 2024, la délégation burkinabé à la 81ᵉ session ordinaire de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), qui s'est tenue à Banjul, a confirmé publiquement que trois journalistes, disparus depuis juin 2024, n'avaient pas été victimes de disparitions forcées, mais avaient été enrôlés en vertu du décret de mobilisation générale d'avril 2023. Du 19 au 28 juin 2024, les journalistes de BF1 Serge Oulon, Adama Bayala et Kalifara Séré ont été portés disparus et on ignore à présent où ils se trouvent (voir ci-dessus).
En novembre 2023, les journalistes Issaka Lingani, commentateur âgé de 64 ans d'une émission d'analyse politique sur la chaîne de télévision BF1, et Yacouba Ladji Bama avaient déjà été enrôlés de force.
Le 13 juillet 2024, des individus qui se sont présentés comme des agents de l'Agence nationale de renseignement (ANR) ont enlevé de son domicile le journaliste d'Oméga Media, Alain Traoré. On ignore toujours où il se trouve.
Burkina Faso : manifestation contre l’ONU à Ouagadougou https://t.co/GxMJOg5sd5 pic.twitter.com/0rctUsDLPD
— Anadolu Français (@aa_french) June 7, 2024
Liberté de réunion pacifique
Des manifestants exigent que l'ONU se rétracte et présente des excuses pour un communiqué
Le 7 juin 2024, des centaines de manifestants se sont rassemblés devant les bureaux des Nations Unies, à Ouagadougou, à l'appel de la Coordination nationale des associations de veille citoyenne (CNAVC), un groupe de partisans de la junte militaire. Ils exigeaient que le haut commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Volker Türk, s'excuse publiquement et se rétracte de ses propos sur les exécutions extrajudiciaires de citoyens au Burkina Faso. « [...] je suis aussi profondément troublé par le fait que les forces de sécurité et de défense et leurs auxiliaires, les Volontaires pour la défense de la patrie, auraient pu commettre des meurtres gratuits, y compris des exécutions sommaires », s'était-il inquiété dans un communiqué de presse. Les manifestants ont également lancé un ultimatum à la France et l'ont avertie que des « mesures fortes et irrévocables » seraient prises si elle ne parvenait pas à déplacer son ambassade dans un délai d'un mois. Ils estiment que l'emplacement de l'ambassade, à proximité de la résidence du président, constitue un risque pour la sécurité des autorités.
Des manifestants critiques avec l'ambassade de France dispersés
Le 28 juin 2024, la CNAVC a organisé une nouvelle manifestation à quelques mètres de l'ambassade de France pour demander son déplacement. Les manifestants qui marchaient en direction de la délégation ont été arrêtés par la garde républicaine, qui a barré leur route, et ont été dispersés au moyen de gaz lacrymogènes lorsqu'ils ont tenté de forcer le passage.
Manifestation contre l'insécurité
Des milliers de personnes auraient manifesté le 20 juillet 2024 à Djibo, dans le nord du pays, contre l'insécurité croissante et le blocus imposé à leur ville par des groupes armés islamistes depuis deux ans. Le réseau de téléphonie mobile ne serait pas disponible non plus, car ces groupes auraient détruit les infrastructures. De plus, les habitants sont confrontés à une flambée des prix des produits de première nécessité due à l'isolement de la localité.
Le 19 novembre de la même année, des habitants de Sebba, dans la province de Yagha, au nord-est du pays, ont manifesté pour exiger le « renforcement de la sécurité et du ravitaillement » de Sebba et Solhan, deux communes soumises, elles aussi, à un blocus des groupes djihadistes.