Liberté d'association
Le « projet de loi contre le séparatisme » adopté au Sénat et à l’Assemblée Nationale
Le projet de loi confortant le respect des principes de la République (communément appelé « projet de loi contre le séparatisme ») a obtenu l'approbation des deux chambres du Parlement français et sera soumis à un vote final dans les mois à venir. Ce projet de loi vise à lutter contre un prétendu endoctrinement et la constitution d'une « contre-société » islamique. Le 30 mars 2021, les sénateurs ont approuvé un amendement au projet de loi proposant d’interdire « tout signe religieux ostensible par les mineurs dans l’espace public et d’interdire le port de tout habit ou vêtement qui signifierait pour les mineurs l’infériorisation de la femme sur l’homme ». Ainsi, ce projet de loi interdit les signes religieux dans certains espaces et vise particulièrement le port du hijab par les femmes et les filles musulmanes. La proposition visant à interdire aux mineures le port du hijab (foulard des femmes musulmanes) a suscité une vive réaction qui a hissé le mot dièse #HandsOffMyHijab au rang des tendances sur les réseaux sociaux.
Age to consent to sex in France: 15
Age to consent to hijab: 18
Let that sink in. It isn't a law against the hijab. Its a law against Islam. #Handsoffmyhijab #FranceHijabBan— Manar منار (@RockThrowA) April 4, 2021
À la veille du vote sur le projet de loi au Sénat, plus de 25 OSC ont fait part de leurs préoccupations à ce propos.
« Nous tenons à réaffirmer auprès de vous notre totale opposition à cette loi fourre-tout, qui propose des mesures tantôt imprécises, tantôt disproportionnées, mais globalement dangereuses pour les libertés, notamment au regard d’un certain nombre de libertés fondamentales.De plus, cette loi jette une suspicion généralisée sur les personnes de confession musulmane ou supposées l’être. »
Cette législation intervient à un moment où les OSC qui défendent les droits des musulmans et luttent contre la discrimination ont été attaquées, entraînant ainsi la création d'un amalgame dangereux entre les mesures antiterroristes, la surveillance des musulmans et la criminalisation de ceux qui les défendent. Comme nous l'avons signalé dans notre précédente mise à jour sur le Monitor CIVICUS, la stigmatisation des défenseurs des droits a abouti à des menaces, à des attaques et à la fermeture de plusieurs OSC.
Le rapporteur général de l'Assemblée parlementaire contre le racisme et l'intolérance du Conseil de l'Europe Momodou Malcolm Jallow commente le projet de loi :
« En ciblant les musulmans, il les stigmatise intrinsèquement, ce qui accroît la suspicion et suggère indirectement un lien entre ce groupe et les menaces étrangères ou terroristes. Il limite l'espace et restreint potentiellement le travail des organisations de la société civile à l'aide de dispositions permettant la dissolution d'associations organisant des activités “ non mixtes ”, comme la création d'espaces sécurisés à destination exclusive des membres appartenant à des groupes racisés. »
Momodou Malcolm Jallow a également souligné son inquiétude concernant le fait que la législation porte une atteinte grave aux valeurs constitutionnelles, telles que la dignité humaine et l'égalité des sexes, sous prétexte d'une restriction excessive de la religion, en violation de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il signale que la loi servira, en fin de compte, à « légitimer davantage la marginalisation des femmes musulmanes et contribuera à instaurer un climat de haine, d'intolérance et finalement de violence à l'encontre des musulmans ».
« Dans le contexte européen actuel d'intolérance croissante, avec une islamophobie, une afrophobie, un antisémitisme et un antitsiganisme omniprésents au niveau structurel et institutionnel, faire d'un groupe minoritaire un bouc émissaire par le biais d'une législation nationale crée un dangereux précédent qu'il faut éviter à tout prix. »
#France • Projet de loi confortant le respect des principes de la République. Nous condamnons un texte discriminatoire et demandons le retrait des dispositions contraires au droit international.
Communiqué ➡️https://t.co/Egfhk2HwbI
— Amnesty France (@amnestyfrance) April 13, 2021
Le « contrat d'engagement républicain » menace le financement des OSC
Le projet de loi contre le séparatisme est particulièrement préoccupant en ce qui concerne le financement des OSC, car il propose de remplacer l'actuelle Charte des engagements réciproques par un « contrat d'engagement républicain » (CER), qui sera rédigé par le pouvoir exécutif et que toute association devra signer afin de recevoir un financement public. Dans les cas où les autorités estimeraient que le CER n'a pas été respecté, les subventions pourront leur être retirées, entraînant l'obligation de rembourser tous les montants perçus. Les OSC ont exprimé leurs inquiétudes à ce propos dans une lettre ouverte :
« En réalité, ce contrat d’engagement républicain se révèle être surtout “ un contrat de défiance ” envers les associations et, si elle était adoptée, cette disposition affaiblirait gravement la vie associative qui est dans notre pays un pilier de la citoyenneté. »
Les OSC ont souligné qu'elles n'ont pas été consultées au cours du processus de rédaction de la loi ni de son vote.
Liberté de réunion pacifique
L'Assemblée nationale adopte la loi controversée « sécurité globale »
Après des mois de controverses, de mobilisations et de renégociations, et malgré les vives critiques des rapporteurs spéciaux de l'ONU et des OSC, le Parlement français a adopté le 15 avril 2021 le projet controversé de loi « sécurité globale » lors d'un vote qui s'est soldé par 75 voix pour et 33 contre.
Les organisations de la société civile s'inquiètent des dispositions de la loi « sécurité globale », en particulier :
- l'usage de la vidéosurveillance à l'aide de drones ne nécessitera pas d'autorisation judiciaire préalable lors des manifestations et il n'y aura pas d'obligation d'informer « de manière claire et constante » les personnes qui sont en train d'être filmées (art. 22) ;
- la création d'un « délit de provocation à l'identification des forces de l'ordre », dont la définition reste vague et qui sanctionne des intentions et des éléments subjectifs sans offrir de critères ni de définitions claires (art. 24). Ce point est particulièrement préoccupant compte tenu de l'usage abusif qu'a fait la France par le passé de dispositions juridiques ambiguës pour s'attaquer aux journalistes, aux manifestants pacifiques, aux équipes de sauvetage ou aux observateurs des droits de l'homme ;
- une intégration et une dépendance accrues des sociétés de sécurité privées dans le « continuum de sécurité », comme l'ont fait remarquer d'anciens agents de police. Ceci risque d'avoir des répercussions dans la reddition des comptes et la responsabilité juridique dans les cas de violences et de fautes professionnelles de la police.
#StopLoiSécuritéGLobale | Nous nous opposons à ce texte en déposant une contribution extérieure commune demandant la censure @Conseil_constit : il porte une vision sécuritaire de la société permettant une extension de la surveillance de la population. https://t.co/iL15dLj1Rm https://t.co/hCFvVoRB3p
— LDH France (@LDH_Fr) April 29, 2021
Des organisations telles qu'Amnesty International France ont averti que la loi proposée porterait atteinte aux libertés publiques et créerait un état de surveillance généralisée qui menacerait la liberté d'informer, le droit à la vie privée et le droit de manifester. Cécile Coudriu, présidente d'Amnesty International France, précise :
« [...] entre les mains d’un gouvernement autoritaire, une telle loi deviendrait une dangereuse arme de surveillance et de répression de la population. »
La Ligue des droits de l'homme (LDH) et les organisations de journalistes en France et dans le monde ont souligné que ce projet de loi vise à restreindre de manière disproportionnée les droits des journalistes et la liberté de la presse. À ce propos, la LDH avait alerté :
« [Ce texte de loi] permettrait d’interpeller tout journaliste qui filme en direct une opération de police, de le placer en garde à vue et de l’envoyer devant un tribunal en saisissant son matériel professionnel. (...) Ce texte vise également à empêcher la révélation d’affaires de violences policières illégitimes souvent dissimulées par la hiérarchie des agents en cause. »
On vous le disait la semaine dernière.
Le Conseil constitutionnel est le dernier rempart contre la #LoiSécuritéGlobale
Nous venons de lui envoyer nos observations. Nos libertés fondamentales sont en jeu ! Voici nos recommandations 👇
— Amnesty France (@amnestyfrance) April 28, 2021
Ces derniers mois, des dizaines de milliers de personnes en France sont descendues dans la rue pour protester contre la législation sur la sécurité. La police a été accusée de recourir à des tactiques illégales et de procéder à des centaines d'arrestations arbitraires dans le but de réprimer les manifestations.
Soixante organisations ont uni leurs forces pour lancer la plateforme #StopLoiSecuriteGlobale. Le principal message de la plateforme est que l'intensification de la surveillance dans un contexte de rapports inquiétants sur le comportement de la police est susceptible de contribuer à un état d'impunité qui sapera la liberté de la presse, la liberté d'information et la liberté d'expression.
À ce stade, les organisations de la société civile sont en train de créer des coalitions contre la loi et de se mobiliser pour exiger une saisine citoyenne du Conseil constitutionnel. Si la loi est soumise au Conseil, il est probable que certaines dispositions de la loi « sécurité globale » soient pointées du doigt car elles portent atteinte à la séparation des pouvoirs et violent des droits fondamentaux protégés par la Constitution, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La résistance s’est également invitée au Parlement, où la députée Paula Forteza et 87 autres députés ont déposé un recours devant le Conseil constitutionnel, notamment en ce qui concerne les articles 20, 22 et 24.
Liberté d'expression
Règlement sur l'espace numérique
Le Parlement européen s'apprête à voter une proposition de règlement visant à empêcher la diffusion de contenus terroristes en ligne. Dans le but de donner aux gouvernements plus de pouvoir pour réagir rapidement et éliminer des contenus considérés comme incitant au terrorisme, cette proposition permettrait aux autorités de retirer des contenus de toute plateforme en ligne dans un délai d'une heure. Toutefois, dans une lettre ouverte les organisations de la société civile française ont exprimé leurs préoccupations quant au fait que ces pouvoirs supplémentaires octroyés à l'État risquent d'affaiblir les libertés et les droits fondamentaux, et pourraient être utilisés pour réprimer le militantisme des opposants politiques ou des mouvements sociaux sur Internet. Les OSC affirment que donner aux gouvernements le pouvoir de censurer des contenus en ligne en absence de tout contrôle judiciaire et sous la menace de sanctions importantes est une mesure disproportionnée et illégitime. Elles soulignent que le Conseil constitutionnel a approuvé cette interprétation concernant une loi similaire proposée par la députée Laetitia Avia, visant à lutter contre les discours haineux en ligne. Dans une décision rendue le 18 juin 2020, le juge du Conseil constitutionnel avait conclu que la proposition constituait une atteinte à la liberté d'expression et qu'elle ne respectait pas les critères d'adéquation, de proportionnalité ou de nécessité.
Une journaliste reçoit une menace de mort contenant des insultes sexistes et antimusulmanes
Le 8 avril 2021, la journaliste et fondatrice de la chaîne SpeakUp Nadiya Lazzouni a reçu à son domicile une lettre manuscrite anonyme contenant des menaces de mort et des menaces à caractère raciste et sexiste adressées contre elle et contre toute la communauté musulmane : « On va te déporter en bulldozer bande de p**** islamistes », « garde ton chiffon », « on visera mieux, effrontée ». « Il se remplira de ta cervelle de m**** », « certains appelleront leur mère avant de prendre une balle dans la nuque », « la France sera vierge de tout musulman et islamiste ».
Lazzouni affirme avoir déposé une plainte auprès du parquet de Paris le 9 avril 2021 et avoir demandé une protection policière. La journaliste s'est fait connaître en France il y a deux ans à la suite de ses apparitions dans des émissions de débat où elle a montré son opposition à une mesure gouvernementale interdisant le port du voile aux mères accompagnant les élèves lors de sorties scolaires.
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a demandé aux autorités d'enquêter rapidement sur ces menaces.
« Les autorités françaises doivent mener une enquête approfondie sur les menaces à l'encontre de la journaliste Nadiya Lazzouni et demander des comptes aux auteurs de ces menaces... Lazzouni a été prise pour cible en raison de sa religion et de ses opinions, et les autorités doivent veiller à ce qu'elle puisse poursuivre son travail sans crainte », défend Gulnoza Said, coordinatrice du programme Europe et Asie centrale du CPJ.
Un peu plus d'une semaine auparavant, la journaliste d'investigation Morgan Large avait découvert que sa voiture avait été sabotée, deux boulons ayant été retirés d'une roue. Cette action fait suite à une intrusion précédente dans les locaux de la station de radio où elle travaille en novembre 2020, à l'empoisonnement de son chien en janvier 2020, et à une série d'appels anonymes et de messages menaçants. Toutes ces attaques ont été signalées à la police.
La Fédération européenne des journalistes (FEJ) a condamné avec fermeté les menaces qui pèsent sur ces deux femmes journalistes et a exhorté le ministre français de l'Intérieur à « tout mettre en œuvre pour protéger immédiatement la vie de ces deux journalistes, deux jeunes femmes attaquées, menacées et violentées parce qu’elles n’ont rempli que leur mission d’informer ».
De même, la journaliste Claire Koç de France Télévisions a été confrontée à la haine, au harcèlement et à des menaces de mort depuis la publication de son livre en février 2021 intitulé Claire, le prénom de la honte. « Les extrémistes qui soutiennent Erdogan utilisent son livre comme prétexte pour des attaques coordonnées sur Internet », dénonce le Syndicat national des journalistes (SNJ) français.
Attaques violentes contre des journalistes
- Le 27 février 2021, le photographe du quotidien régional L'Union Christian Lantenois a été grièvement blessé alors qu'il couvrait les tensions dans le quartier de la Croix-Rouge à Reims. Le photographe a dû recevoir des soins intensifs après l'attaque, dont on ignore toujours les détails.Lantenois a repris connaissance le 30 mars 2021, mais il a cependant perdu une partie de sa mémoire. Deux hommes ont été arrêtés en lien avec l'attaque.
- Le 14 mars 2021, le blogueur azerbaïdjanais Mahammad Mirzali a été poignardé au moins seize fois et a ensuite été hospitalisé dans un état critique. Mirzali a fui l'Azerbaïdjan en 2016 pour échapper aux persécutions liées à son militantisme politique. On pense que l'attaque est une tentative visant à réduire au silence un blogueur qui traite de questions cruciales et dont la chaîne YouTube compte environ 265 000 abonnés.
Communiqué de l’intersyndicale @UnionArdennais 👇🏽
« Notre collègue Christian Lantenois est entre la vie et la mort. Il a été lâchement agressé par un ou des individus alors qu’il était en reportage dans le quartier Croix-Rouge de Reims, samedi après-midi. C’est révoltant. 1/5 pic.twitter.com/ay1epx4DdT
— SNJ-CGT (rejoignez-nous ! ✊🏽) (@SnjCgt) February 28, 2021
- Le 27 mars 2021, une journaliste de France 3 a été violemment agressée alors qu'elle s'apprêtait à réaliser une interview sur un marché des Vans (Ardèche), où devait se tenir une manifestation contre les mesures destinées à combattre la COVID-19. Les faits se sont produits lorsqu'un homme s'est approché et a crié : « Vous n'avez pas honte de leur répondre ? ». Ensuite il a commencé à taper la caméra. La journaliste a souffert de blessures au nez et au menton. La police a arrêté l'auteur de l'agression.