Disparitions forcées et arrestations d’opposants avant un scrutin contesté en #Guinée https://t.co/sUIFcxpKbC
— Amnesty West & Central Africa (@AmnestyWARO) March 21, 2020
Le 22 mars 2020 se sont tenues en Guinée des élections législatives et le référendum controversé sur une nouvelle constitution dans un contexte marqué par la violence, les affrontements avec les forces de sécurité et l'interruption de l'accès à Internet et aux réseaux sociaux.
Le référendum constitutionnel controversé, initialement prévu pour février 2020 mais reporté à plusieurs reprises, s'est déroulé dans un climat de violence et a fait plusieurs morts. Selon le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une plate-forme de partis d'opposition, d'organisations de la société civile et de syndicats créée en avril 2019, au moins dix personnes ont été tuées le 22 mars et quatre autres ont perdu la vie à Nzérékoré. Cependant le gouvernement affirme que seulement deux personnes sont mortes dans ces violences et que sept agents de police ont été grièvement blessés. Les violences se sont poursuivies les jours qui ont suivi la tenue du référendum, notamment à Nzérékoré, où des affrontements meurtriers ont été signalés entre les communautés ainsi que des attaques contre des églises et des mosquées.
Depuis le 25 février 2020 l'armée guinéenne a été « mise en alerte » et déployée dans l'ensemble du pays. D'ailleurs, elle aurait également participé à la répression des manifestations et des manifestants, déplore la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
Selon des informations parues dans la presse, des bureaux de vote ont été attaqués, du matériel électoral a été incendié et des heurts ont éclaté entre forces de l’ordre et opposants. Avant le référendum, l'Union africaine, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont retiré leurs délégations de soutien et d'observation en raison des inquiétudes concernant la crédibilité et la transparence du vote, notamment des irrégularités sur les listes électorales. Un audit des listes électorales conduit par l'OIF, les Nations Unies et l'Union européenne en 2018 avait révélé que 2,5 millions d'électeurs inscrits sur les listes électorales ne disposent pas de documents permettant leur identification sur 7,7 millions d'inscrits dans tout le pays. Depuis, la commission électorale nationale affirme avoir purgé ses listes, or ceci n'a pas été vérifié par un expert ou une organisation indépendante.
Comme nous l'avons signalé précédemment sur le Monitor, les manifestations et l'action des militants contre le remplacement de l'actuelle Constitution de 2010 ont été réprimées par un usage excessif de la force, par l'assassinat de dizaines de manifestants et par des arrestations et des poursuites arbitraires de défenseurs des droits de l'homme et de manifestants. La Constitution de 2010 limite les nombre de mandats présidentiels à deux mandats de cinq ans, consécutifs ou pas, empêchant ainsi que le président sortant, Alpha Condé, se présente pour un troisième mandat cette année. Le FNDC a été en première ligne des manifestations, des campagnes contre les modifications de la Constitution et d'un éventuel troisième mandat du président Alpha Condé.
Dans un communiqué publié par Amnesty International avant le référendum constitutionnel, le groupe de défense des droits de l'homme a déclaré que les autorités avaient mené des rafles aveugles dans des quartiers de Conakry connus pour leur opposition à la modification de la Constitution et qu'elles ont détenu arbitrairement des jeunes ayant disparu depuis. Amnesty International souligne que ces pratiques constituent des disparitions forcées au regard du droit international. De même, dans un communiqué de presse plusieurs organisations de défense des droits de l'homme, notamment l'OSC Avocats sans Frontières de Guinée, ont condamné les violations des droits de l' homme commises dans le pays, en particulier les « enlèvements » de personnes soupçonnées de s'opposer au changement de constitution :
« A ce jour, nos organisations ont recensé près de quarante morts, de nombreux blessés, beaucoup d’arrestations et de détentions arbitraires, ainsi que des dégâts matériels considérables au cours des manifestations du FNDC. Pire, depuis un certain temps un phénomène nouveau s’est invité dans le mode opératoire des forces de l’ordre. Il s’agit d'enlèvements, assimilables à des kidnappings, dont sont victimes des personnes supposées hostiles au projet de nouvelle constitution en violation de toutes les règles de droit en matière d’arrestation. »
Le 27 2020 Mars, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a annoncé les résultats provisoires du référendum : 91,59 % des voix en faveur d'une nouvelle constitution et un taux de participation estimé à 61 %. Le FNDC et l'opposition guinéenne, qui ont boycotté le référendum et les élections législatives, et ont rejeté ces résultats, les qualifiant de « mascarade ». Les conditions dans lesquelles s'est déroulé le vote ont été critiquées par les États-Unis, l'Union européenne et la France.
La Guinée a été placée sur notre liste de surveillance le 17 octobre 2019 et elle y reste en raison de son rapide déclin de l'espace civique.
#Guinée #Kibaro #Amoulanfe Nous exigeons la liberation immédiate de @DialloIbrem et @KoundounoSekou arrêtés hier soir pour avoir tenu une conférence de presse lors de laquelle ils ont dénoncé les arrestations arbitraires dont sont victimes les partisans du @FNDC_Gn. pic.twitter.com/TfSsE7n98o
— Tournons la Page (@TournonsLaPage) March 7, 2020
Association
Arrestation et poursuite de militants prodémocratie
Les militants prodémocratie et leaders du FNDC Ibrahima Diallo et Sékou Koundouno ont été arrêtés le 6 mars 2020 à Conakry par des officiers de la Brigade de recherche et d'interpellation (BRI) à la suite d'une conférence de presse au cours de laquelle ils auraient dénoncé des enlèvements et des arrestations arbitraires. De même, ils auraient accusé le directeur de la Direction centrale de la police judiciaire d’avoir procédé à des écoutes téléphoniques, à des actes de torture et à d'autres mauvais traitements. Quelques jours plus tard, le 9 mars 2020, les deux hommes ont été mis en examen pour plusieurs chefs d'accusation, à savoir : agression, outrage à un fonctionnaire public et production et diffusion de données menaçant l'ordre public et la sécurité. Ils ont été remis en liberté provisoire le 12 mars 2020 et placés sous contrôle judiciaire.
Diallo, qui est aussi le coordinateur de Tournons la Page Guinée, et Koundouno, du mouvement social Balai Citoyen Guinée, ont déjà été poursuivis pour leur militantisme. Comme nous l'avons signalé précédemment sur le Monitor, les deux hommes avaient été arrêtés avant les manifestations du FNDC du 14, 15 et 16 octobre 2019 et ils ont été condamnés à six mois de prison le 22 octobre 2019. Le 28 décembre 2019 la cour d'appel de Conakry les a remis en liberté provisoire.
Le 9 mars 2020 le tribunal de première instance de Mafanco a condamné trois militantes du FNDC — Nene Camara, Yarie Camara et Mariam Diallo — à une peine de six mois de prison avec sursis pour « provocation directe à un attroupement », a signalé Media Foundation for West Africa (MFWA). Les trois militantes ont été arrêtées lors d'une manifestation le 19 février 2020 à Bonfi, dans la banlieue de Conakry, et sont restées dix-neuf jours en prison.
Le 5 février 2020 le tribunal de première instance de Kaloum a condamné le membre du FNDC et militant de la société civile Abdourahmane Bella Bah à une peine de prison avec sursis d'un an et à une amende de vingt millions de francs guinéens (environ 2100 USD), selon les médias locaux. Bella Bah, présidente de la plate-forme Esprit citoyen, aurait été arrêtée le 25 janvier 2020 lors d'une commémoration et accusée de « diffusion et mise à disposition d'autrui de données de nature à troubler l'ordre public par le biais d'un système informatique » en vertu de la Loi de 2016 sur la cybercriminalité. Maître Béavogui, le représentant légal de Bella Bah, a déclaré qu'il ferait appel de la peine et a commenté auprès du média numérique Guineematin.com :
« Depuis cinq mois maintenant nous tournons dans les juridictions pour défendre les citoyens membres du FNDC qui expriment leur opposition à l’idée d’une nouvelle constitution. Mais c’est curieux, ceux qui expriment leur volonté d'une nouvelle constitution et qui font des déclarations fracassantes ne sont jamais poursuivis. Donc, il y a toujours du deux poids, deux mesures. »
Intimidation et attaques contre la société civile le jour du référendum
Selon la Fédération internationale des droits humains (FIDH), des agents de l'Unité spéciale de sécurisation des élections législatives ont tenté de pénétrer de force dans les bureaux de l'OSC Association des Victimes, Parents et Amis du 28 septembre 2009 (AVIPA) le 22 mars 2020, jour du référendum constitutionnel et des élections législatives. Toutefois, le personnel a réussi à fermer les portes avant l'entrée des forces armées. Au moins deux membres du personnel de l'organisation ont été victimes d'actes d'intimidation. L'organisation a également reçu des appels téléphoniques anonymes.
L'AVIPA cherche à obtenir justice pour les victimes du massacre du 28 septembre 2009. Ce jour-là, les forces de sécurité avaient ouvert le feu, tué plus de 150 personnes et violé plus de 100 femmes lors d'une manifestation contre la candidature aux élections présidentielles du chef de la junte militaire, Moussa Dadis Camara, issu du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), dans un stade à Conakry.
Le même jour, un groupe de jeunes soutenus par des agents de sécurité a attaqué le domicile du défenseur des droits de l'homme, Mamadou Baïlo Barry, brisant le portail et jetant des pierres sur sa maison et sa voiture. Baïlo Barry est membre du FNDC et de l'OSC Destin en main. Il avait été arrêtée le 12 octobre 2019 à la veille des manifestations de masse du FNDC et condamnée à six mois de prison.
En #Guinée, le président Alpha Condé a interdit une marche pacifique réclamant son départ. J’ai filmé un manifestant passé à tabac et les forces de l’ordre n’ont pas beaucoup apprécié. Menaces de mort. Coups à l’épaule pour m’arracher mon téléphone. Armes braquées sur moi. pic.twitter.com/abW7R7AWHL
— THOMAS DIETRICH (@thomasdietrich0) March 5, 2020
Expression
Agression, détention et expulsion d'un journaliste étranger
Le journaliste et correspondant français pour le site Le Média, Thomas Dietrich, a été agressé et menacé par les forces de sécurité : elles l'avaient repéré alors qu'il les filmait en train de battre un manifestant le 5 mars 2020. Dans un tweet le journaliste affirme que les forces de l'ordre l'ont menacé de mort et lui donné des coups à l’épaule pour l'arracher son portable. Un jour plus tard il a été arrêté et expulsé vers la France à la suite du retrait de son accréditation par le régulateur national des médias de Guinée, la Haute Autorité de la Communication (HAC). Dietrich s'était montré critique dans ses reportages sur la Guinée. Auparavant, le 12 février 2020, le journaliste avait reçu une menace de mort verbale de la part d'un gendarme après avoir filmé l'arrestation d'enfants de dix à douze ans à Coyah, une banlieue de Conakry. Le gendarme a brièvement confisqué le téléphone et l'accréditation de Dietrich.
⚠️ Alert: Social media has been blocked by #Guinea's leading internet providers Orange and MTN on the eve of legislative elections; real-time network data confirm Twitter, Facebook, Instagram now cut and WhatsApp restricted; incident ongoing 🇬🇳 #Guinee
— NetBlocks.org (@netblocks) March 21, 2020
📰 https://t.co/Gm064C8yDD pic.twitter.com/8YrLTVQKqG
Perturbation de l'accès à Internet et aux réseaux sociaux la veille et le jour du vote
Des réseaux sociaux comme Twitter, Facebook et Instagram ont été bloquées et l'accès à WhatsApp a été partiellement restreint le 21 mars, selon les données recueillies par NetBlocks, un réseau d'OSC pour la liberté sur Internet. Les restrictions se sont poursuivies le 22 mars 2020, jour du référendum. Selon cette OSC, « cette perturbation coïncide avec les techniques utilisées pour restreindre des contenus en ligne proche de la couche de l'application, donc sans rapport avec les travaux de maintenance ou avec les pannes de la couche physique ». Le 20 mars 2020, la veille des perturbations, s'est produite une coupure généralisée et presque totale d'Internet pendant deux heures.
Réunion pacifique
Manifestations contre le référendum constitutionnel
Des affrontements ont éclaté à Ratoma, un quartier de Conakry, le 29 février 2020 suite à l'annonce du report des élections législatives et du référendum. Selon des informations parues dans les médias, des barricades ont été érigées et de jeunes manifestants ont brûlé des pneus et jeté des pierres, tandis que les forces de sécurité ont riposté avec des gaz lacrymogènes.
Le FNDC a appelé à intensifier les manifestations à partir du 5 mars pour exiger le départ du président Alpha Condé. Le 4 mars 2020 les autorités locales de Conakry ont refusé l'autorisation pour les manifestations du 5 mars invoquant les préparatifs de la Journée internationale de la femme et la présence d'une délégation de la CEDEAO. Malgré l'interdiction le FNDC a encouragé la population à poursuivre les manifestations. Des affrontements ont éclaté entre manifestants et forces de sécurité au cours desquels deux personnes auraient perdu la vie, selon le FNDC. Ce dernier a également indiqué que le domicile du coordinateur du FNDC, Abdourahmane Sano, avait été encerclé par la police pendant une partie de la journée.
Un mort lors de manifestations étudiantes
Le 17 février 2020 un étudiant a été tué et plusieurs autres ont été blessés lors d'affrontements avec les forces de sécurité dans la ville de Lola, près de la frontière avec le Libéria. Les étudiants participaient à une manifestation. Selon la Media Foundation for West Africa (MFWA), ils protestaient contre l'absence d'enseignants, en grève depuis des semaines.