Contexte
En France, la fin de l'année 2022 a été marquée par des manifestations en faveur des droits des femmes et contre la violence sexiste, et par des affrontements avec la police suite à une attaque contre des membres de la communauté kurde à Paris.
En 2023, la vie politique et l'espace civil français ont connu un début d'année mouvementé. En plus de s'opposer aux projets de loi sur l'immigration et sur les dispositifs de surveillance assistés par intelligence artificielle, la société civile, les militants et les syndicats ont manifesté contre la nouvelle réforme des retraites promue par le président français.
En France, les restrictions de l'espace civique se poursuivent en 2023 et les associations civiles sont toujours confrontées à des obstacles financiers ou administratifs du fait de la loi contre le séparatisme.
Liberté d'association
L'espace civique poursuit son déclin un an après la loi contre le séparatisme
Plus d'un an s'est écoulé depuis l'entrée en vigueur, en janvier 2022, du controversé projet de loi « pour renforcer les valeurs républicaines », également connue sous le nom de « contrat d'engagement républicain » (CER). Cette législation a été adoptée en dépit des vives inquiétudes exprimées par des organisations de la société civile, des mouvements populaires et des médias quant à la possibilité qu’elle limite les droits à la liberté d'association et à la liberté religieuse de la communauté musulmane.
Ce projet de loi a été principalement utilisé pour limiter la liberté d'expression et pour instiller des soupçons sur les associations. En outre, il a renforcé les pouvoirs de sanction accordés aux autorités administratives pour contrôler les activités des associations et pour les dissoudre au cas où elles agiraient à l'encontre des principes de la République. Bien que certains avertissements adressés à des organisations par les autorités n'aient pas entraîné la suspension de leur financement ou leur dissolution (voir la mise à jour précédente), ils ont des coûts matériels et symboliques importants : ils ont terni la réputation de ces formations et ont provoqué des actes d'intimidation, entre autres préjudices. De même, ces avertissements obligent les organisations à détourner des moyens et des ressources qui devraient servir à leur mission afin de se défendre devant les tribunaux et dans l'espace public. Ces procédés peuvent également dissuader d'autres associations et militants de poursuivre leurs activités normales par crainte de la répression.
Un an plus tard, les OSC réclament toujours l'abrogation de la loi.
📣💥📰 Jeudi 26 janvier, au #pointpresseCER, dans une salle pleine et avec plusieurs médias présents, les #associations et leurs partenaires ont demandé au @gouvernementFR l'abrogation du #CER #contratengagementrépublicain ⤵️
— Le Mouvement associatif (@lemouvementasso) February 1, 2023
https://t.co/54teJOWMh5
Comme l'explique Le Mouvement Associatif, la plus grande organisation de la société civile en France, les organisations civiles et les associations doivent se conformer aux dispositions du contrat républicain et respecter les principes républicains d'égalité, liberté et laïcité, et s'abstenir de « toute action portant atteinte à l'ordre public ». En particulier, on a constaté que cette loi a eu un impact plus important sur le fonctionnement des associations écologistes et féministes et leurs mouvements. C'est ce qui est arrivé à Poitiers en 2022, lorsque le mouvement Alternatiba a été accusé de rompre le contrat républicain après avoir organisé des ateliers de désobéissance civile (voir la mise à jour précédente). Plus récemment, des OSC de Lille et de Creil se sont retrouvées dans la même situation.
En octobre 2022, la Maison régionale de l'environnement et de la solidarité (MRES) a loué une salle à l'organisation NADA (Non à l'agrandissement de l'aéroport de Lille-Lesquin), et, pour cette raison, elle a été accusée d'accueillir une organisation ayant des antécédents de désobéissance civile et prônant des méthodes de contestation perturbatrices. En décembre 2022, la préfecture du Nord a interpellé la MRES puisqu'elle considère que les actes de désobéissance civile violent le Contrat d'engagement républicain (CER).
Xavier Galand, directeur de la MRES, a fait part de ses inquiétudes quant à l'emploi du CER comme outil de contrôle des OSC et estime que cela aura un impact sur l'avenir de son organisation :
75 % de notre budget vient de financements publics. Autant de ressources qui pourraient être remises en cause si l’administration considère que l’association ne respecte pas le contrat d’engagement républicain. On est en train de déposer des dossiers de financement pour 2023, on verra comment ils seront instruits. Cela nous incite à une forme d’autocensure, on se demande “peut-on faire ceci, ou cela ?”. La fonction répressive du contrat d’engagement républicain apparaît au grand jour.
- Xavier Galand, directeur de la MRES.
Le nombre de cas directement répressifs n’est pas extrêmement nombreux, pourtant, ces affaires ont mis le monde associatif en émoi. Alternatiba et la MRES sont loin d’être les associations écologistes les plus radicales, elles ne prônent ni le sabotage ni les actions violentes. En choisissant de s’attaquer à des acteurs mainstream, les autorités envoient un message extrêmement puissant à l’ensemble du secteur écolo.
- Julien Talpin, Observatoire Des Libertés Associatives.
Des associations féministes ont également été accusées de ne pas respecter les principes républicains ou le CER parce que certaines de leurs représentantes portent des tenues religieuses.
Valeurs républicaines et liberté religieuse
À Creil, dans l'Oise, l'association Femmes sans frontières aide depuis de nombreuses années les femmes victimes de violences conjugales et les personnes migrantes à la recherche d’un soutien social, linguistique ou administratif. Cependant, ces dernières années, l'association a été confrontée à des difficultés importantes qui ont eu un impact considérable sur son fonctionnement et sa continuité.
Elle a été accusée de « ne pas respecter les valeurs de la République » parce que sa directrice, Faïza Boudchar, porte le voile. Depuis 2021, la préfecture de l'Oise a fait part de ses doutes quant au respect des valeurs républicaines par Femmes sans frontières et a depuis retiré ses financements. Plus précisément, l'association a été privée des subventions accordées par l'État, la région et le département pour différents projets et, à présent, elle ne bénéficie que du soutien financier de la mairie de Creil.
L'organisation devait fêter son 39ᵉ anniversaire en 2023. Au lieu de cela, elle craint de devoir fermer ses portes à cause du caractère strict de la loi contre le séparatisme, qui cible de manière disproportionnée les OSC dont les représentants affichent leur appartenance religieuse. Ce n'est pas un cas isolé.
Début février 2022, l'organisation Planning familial 71 a organisé un rassemblement pacifique pour les droits des femmes à Châlons-sur-Saône, dont la promotion a été assurée par une campagne de communication mettant en scène une femme voilée. Le maire de cette ville a déclaré que cela était contraire au CER et a retiré ses subventions à l'organisation. Par la suite, l'organisation a fait appel de cette décision devant le tribunal administratif de Dijon et le Conseil d'État ; ce dernier lui a donné la raison, car le CER n'avait pas été violé, et a annulé le retrait de subventions.
Cependant, même si le cas du Planning familial a connu un dénouement positif, le CER pose des difficultés à de nombreuses associations féministes et écologistes. L'article 1 de la loi contre le séparatisme défend une version stricte de la laïcité et établit que toute organisation fournissant des services publics en vertu d'une loi ou d'un règlement doit veiller à ce que ses salariés « s'abstiennent d'exprimer leurs opinions, notamment religieuses, lorsqu'ils participent à l'exécution du service public ». Il s'agit d'une interprétation qui met en péril l'expression de la liberté et de l'identité religieuses. Toutefois, l'application du principe de laïcité a été perçue comme un moyen d'entraver principalement la pratique de l'islam et sa représentation, ce qui montre que la CER constitue bien une menace pour les OSC et pour des composantes essentielles de l'espace civique telles que la liberté de pensée, de religion, d'association et le droit à la non-discrimination.
Liberté de Réunion Pacifique
La société civile et les syndicats manifestent contre la réforme des retraites
En janvier 2023, la première ministre Élisabeth Borne a dévoilé un nouveau régime de pensions et de retraites, une des promesses de campagne électorale d'Emmanuel Macron en 2022.
Voici ce que propose la reforme :
- L'augmentation de l'âge minimale de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Le nouveau seuil sera mis en place de manière progressive et sera relevé de trois mois chaque année à partir de septembre jusqu’à 2030.
- Le rallongement des périodes de cotisation : à partir de 2027, les travailleurs devront avoir travaillé 43 ans, au lieu des 42 ans actuels, pour bénéficier d'une pension à taux plein.
- Une pension minimale garantie pour les nouveaux retraités qui correspondra au moins au 85 % du salaire minimum net, soit environ 1 200 euros par mois à présent.
- L’indexation sur l’inflation des pensions des bénéficiaires du revenu minimum après la première année de retraite.
Avec ce plan, le gouvernement français vise à :
- Relever le taux d'emploi des 60-64 ans.
- Porter les cotisations annuelles aux régimes de retraite à 17,7 milliards d'euros par an d'ici à 2030.
- Augmenter de 2,5 % à 5 % les pensions des 30 % des retraités les plus pauvres.
En réponse, les principaux syndicats et OSC ont organisé des journées de grève nationales, alors que la population dénonce que cette réforme perpétuera les injustices et les inégalités sociales, car elle aura un impact disproportionné sur la classe ouvrière, les femmes et les travailleurs ayant des problèmes de santé. Plus précisément, elle pénalisera les travailleurs qui ont des emplois exigeants physiquement, puisqu'il sera plus difficile pour eux de travailler plus longtemps, ainsi que les femmes qui ont interrompu leur carrière ou qui ont des emplois à temps partiel pour s'occuper de leurs enfants.
Dans l'état actuel des choses, les pensions des femmes sont inférieures de 40 % à celles des hommes. Les femmes qui protestent contre les réformes des retraites réclament également des pensions équitables et équivalentes.
Le 19 janvier 2023, les premières manifestations nationales ont rassemblé 1,12 million de manifestants dans toute la France. Les écoles, les transports publics et les services aériens ont été perturbés par les travailleurs qui ont rejoint la grève, ce qui a entraîné l'annulation de déplacements au niveau local et régional. Bien que les manifestations aient été pour la plupart pacifiques, selon Le Monde, des manifestants radicaux ont lancé des bouteilles et des grenades fumigènes sur les forces de police, qui ont répondu au moyen de gaz lacrymogènes. Une trentaine de personnes ont été arrêtées ce jour-là.
Le 31 janvier 2023, une deuxième vague de manifestations a déferlé sur le pays. Les manifestants se sont de nouveau heurtés aux forces de police, qui ont employé de gaz lacrymogènes pour disperser la foule et ont arrêté une trentaine de manifestants.
D'autres manifestations ont eu lieu après l'adoption par le gouvernement de la réforme controversée des retraites le 20 mars 2023. La première ministre Élisabeth Borne a invoqué l'article 49.3 de la Constitution, qui accorde au gouvernement le privilège exécutif d'adopter un projet de loi sans passer par le Parlement, mais laisse à l'opposition la possibilité de riposter avec le vote d'une motion de censure.
Finalement, le gouvernement d'Emmanuel Macron a survécu de justesse à la motion de censure, l'initiative n'ayant recueilli que 278 voix sur les 287 nécessaires pour être adoptée à l'Assemblée nationale. Malgré cela, des acteurs civiques, des manifestants et des syndicats ont exprimé leur indignation face à la décision du gouvernement de faire passer cette loi. Cela a provoqué de nouvelles manifestations antigouvernementales dans tout le pays qui se sont soldées par 101 arrestations suite aux affrontements avec la police.
La Ligue des droits de l'homme s'est inquiétée du « recours disproportionné et dangereux à la force publique » en réponse aux manifestations. De même, Amnesty France a mis en évidence plusieurs cas d’un usage excessif de la force, notamment l'emploi de matraques pour blesser des manifestants. Human Rights Watch a demandé l'ouverture d'enquêtes sur les abus commis par la police.
Depuis janvier 2023, des manifestations ont lieu partout en France dans le cadre du mouvement social d’opposition au projet de réforme des retraites du gouvernement.
— Amnesty International France (@amnestyfrance) March 21, 2023
Nous alertons sur le recours excessif à la force et aux arrestations abusives, signalé dans plusieurs médias.👇
Dans un tweet, Clément Voulé, rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, a appelé la police à faciliter les manifestations pacifiques et à éviter l'usage excessif de la force. Il a également demandé aux autorités d'« ouvrir des négociations avec les manifestants pour éviter toute détérioration ».
J’appelle les autorités à ouvrir des négociations avec les manifestants pour éviter toute détérioration. @EmmanuelMacron
— UN Special Rapporteur Freedom of Association (@cvoule) March 20, 2023
Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović, a appelé au respect de la liberté d'expression et de réunion pacifique.
Il appartient aux autorités de permettre l’exercice effectif de ces libertés, en protégeant les manifestants pacifiques et les journalistes couvrant ces manifestations contre les violences policières et contre les individus violents agissant dans ou en marge des cortèges. Des incidents violents ont eu lieu, parmi lesquels certains ont visé les forces de l'ordre. Mais, les actes de violence sporadiques de certains manifestants ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres personnes durant une manifestation ne sauraient pas justifier l'usage excessif de la force par les agents de l'État. Ces actes ne suffisent pas non plus à priver les manifestants pacifiques de la jouissance du droit à la liberté de réunion.
- Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatović.
Affrontements lors de manifestations de soutien à la communauté kurde
Le 23 décembre 2022, trois membres de la communauté kurde ont perdu la vie lors d'une attaque armée contre le centre culturel Ahmet Kaya à Paris.
En réponse à cet événement, des groupes de la société civile et des manifestants se sont mobilisés pour exprimer leur soutien aux victimes et dénoncer les attaques contre les minorités dans le pays. Ce même jour au soir, des centaines de personnes se sont rassemblées pacifiquement sur la place de la République pour rendre hommage aux victimes. Très vite, les forces de police ont commencé à surveiller le rassemblement pour des raisons de sécurité. Cependant, des affrontements entre les manifestants et les forces de police ont éclaté lorsque les agents ont utilisé des gaz lacrymogènes contre des manifestants qui tentaient de franchir un cordon de sécurité. On ignore ce qui a déclenché les heurts.
De nouvelles violences entre manifestants et forces de police ont eu lieu le lendemain. Des voitures ont été retournées et brûlées, des vitrines ont été endommagées et la police a continué d'employer des gaz lacrymogènes qui ont fait de nombreux blessés. Onze manifestants ont été arrêtés.
L'auteur présumé de l'attaque a été arrêté par la police et a été accusé d'avoir agi pour des motifs racistes. Par le passé, il avait déjà perpétré d'autres d'attaques contre des migrants et des populations musulmanes en France. La Ligue des droits de l'homme (LDH) a dénoncé les faits et souligné que les discours et les idéologies extrémistes de l'extrême droite ont des répercutions sur les droits fondamentaux des communautés minoritaires en France et constituent un danger pour les valeurs de la République française, l'état de droit et la démocratie.
Plusieurs manifestations pacifiques ont été organisées le 7 janvier 2023 à Paris. Des milliers de Kurdes, des acteurs de la société civile et des militants défenseurs des droits de l'homme se sont rassemblés pour exprimer leur soutien à la communauté kurde et pour commémorer le 10ᵉ anniversaire de l'assassinat de trois femmes kurdes à Paris en 2013.
Manifestations pour l'égalité des sexes
Le 19 novembre 2022, des OSC, des défenseurs des droits de l'homme et des militants ont manifesté contre l'augmentation du nombre de féminicides en France (près d'une centaine en 2022).
Un rapport du Haut Conseil à l'égalité a soulevé de profondes inquiétudes concernant la fréquence croissante des violences sexistes et des féminicides. Dans son rapport de 2023, le Haut Conseil affirme que chez les femmes âgées de 18 à 24 ans, une sur cinq a été victime d'un viol ou d'une agression sexuelle. Le Haut Conseil, ainsi que les associations féministes, dont SOS Homophobie, sont des acteurs majeurs dans la concertation avec la société civile et l'animation des débats publics sur les droits des femmes, l'égalité, le sexisme et l'homophobie.
La manifestation du 19 novembre cherchait à sensibiliser aux violences que subissent les femmes dans les espaces publics et au sein du couple. Les manifestantes ont également demandé deux milliards d'euros par an au gouvernement pour la création d’unités de police et de tribunaux spécialisés, et pour améliorer les politiques et les dispositifs de soutien afin d'encourager les survivantes à s'exprimer.
La nouvelle politique d'asile et d'immigration suscite des inquiétudes
Le 1ᵉʳ février 2023, le gouvernement a présenté un nouveau projet de loi sur l'asile et l'immigration au Conseil des ministres.
Ce projet législatif a été présenté par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et le ministre du Travail Olivier Dussopt. Il vise à « faciliter la procédure de régularisation des travailleurs sans papiers, tout en élargissant le cadre pour les expulsions, notamment des étrangers ayant commis des délits ». Le texte prévoit d'accorder des permis de séjour aux personnes sans-papiers qui travaillent dans les secteurs en manque de main-d'œuvre.
La LDH s'est opposée à la nouvelle loi sur l'asile et l'immigration, et a affirmé qu'en réalité elle cherche à instaurer des pratiques répressives, en particulier la systématisation des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et des interdictions de retour sur le territoire français (IRTF).
La LDH s'est inquiétée des droits des personnes migrantes si ce projet de loi, dit « loi Darmanin », venait à être adopté, car il entraînerait la « négation radicale des droits fondamentaux des migrants » et leur déshumanisation. Mise en œuvre, elle deviendrait la loi sur l'immigration la plus restrictive jamais adoptée en France.
L'intégralité du projet de loi a fuité dans la presse et a révélé des plans visant à « [augmenter] les expulsions avec une répression plus forte aux frontières et un durcissement de l'accès aux titres de séjour ».
La #LDH appelle à se mobiliser contre l'immigration jetable & pour une politique migratoire d'accueil. Alors que les droits des personnes étrangères sont de plus en plus bafoués, y compris ceux des enfants, il est de notre responsabilité de réagir !https://t.co/b1GjcKYaql pic.twitter.com/GxI810Uhvu
— LDH France (@LDH_Fr) February 19, 2023
Des OSC, des syndicats et des associations de migrants ont réagi en organisant des manifestations dans plusieurs villes.
Liberté d'expression
Intimidations et détentions : les journalistes dans une situation difficile
Dans un rapport, Reporters sans frontières (RSF) indique qu'il existe en France des cadres légaux et réglementaires favorables à la liberté et l'indépendance de la presse. Toutefois, il y a eu de nombreux cas d'intimidation, de harcèlement, d'agressions physiques et de détentions de journalistes perpétrés par la police, des sociétés multinationales et des particuliers.
La plateforme Mapping Media Freedom du Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (CEPLM) a recensé plusieurs de ces cas, en voici quelques-uns :
- Le 17 novembre 2022, un journaliste de La Montagne a été victime de propos racistes et discriminatoires de la part d'un élu du Puy-du-Dôme qui a mis en doute son identité et lui a demandé ses papiers.
- Le 8 janvier 2023, des membres d'associations de la ville Cholet ont fait des remarques déplacées et sexistes à une journaliste du quotidien Ouest-France travaillant sur un article sur la commune. Parmi d'autres commentaires, ils ont dit : « N'oubliez pas de fermer le bureau à clé pour qu'elle ne s'échappe pas » et « c'est sympa de faire ça [un entretien] avec une jolie fille ».
- Le 19 janvier 2023, un policier a agressé physiquement un photojournaliste lors d'une manifestation contre la réforme des retraites à Paris. Selon certaines sources, « il tenait son appareil photo à la main lorsqu'un policier s'est précipité sur lui, l'a frappé au bas-ventre et est en suite retourné à la barrière de protection ».
- Le 25 janvier 2023, l'énergéticien TotalEnergies a mis en garde Mediapart contre d'éventuelles actions en justice et conséquences au cas où il porterait des accusations diffamatoires à son encontre lors d'un événement à venir consacré à TotalEnergies et ses agissements.
- Le 31 janvier 2023, le rédacteur en chef du journal Le Poher, Erwan Chartier, a reçu une menace de mort anonyme par courrier électronique après la publication d'un article sur le projet Horizon pour l'accueillir des migrants dans la commune de Callac. Deux semaines plus tard, un journaliste de France 3 Bretagne a fait l'objet de menaces et d'actes de harcèlement sur Internet. Il avait lui aussi couvert le projet Horizon et avait fait état des menaces de mort adressées à Erwan Chartier.
- En février 2023, trois journalistes ont été la cible d'actes d'intimidation et ont été arrêtés par la police lors d'une manifestation étudiante à Paris. Ils ont été mis face à un mur, les mains derrière le dos, avant d'être emmenés dans des fourgons de police, alors qu'ils avaient fourni des preuves de leur statut de journaliste. Ils ont été libérés au bout d'une heure.
Jeux olympiques de 2024 : entre le soutien populaire et la surveillance de masse
Alors que la France s'apprête à accueillir les Jeux olympiques de 2024, des OSC ont exprimé de vives inquiétudes à propos de l'article 7 du projet de loi Jeux olympiques et paralympiques de 2024, qui prévoit l'usage d'outils de surveillance algorithmique intrusive dans les espaces publics à des fins de sécurité. Plus précisément, l'IA sera employée pour détecter des mouvements de foule, des expressions corporelles ou des tenues suspectes grâce à des caméras de vidéosurveillance et des drones, afin de repérer « en temps réel, des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes ».
Parmi d'autres technologies controversées et très intrusives, on trouve les scanners corporels qui seront employés pour « faciliter » l'accès aux manifestations sportives réunissant plus de 300 spectateurs, ainsi que les tests ADN que devront passer les athlètes dans le cadre des contrôles antidopage. Ces propositions ont suscité la controverse, les OSC et les acteurs de l'espace civique craignant qu'elles ne menacent les libertés civiles et le droit à la vie privée.
L'emploi de drones comme dispositif de surveillance a été réintroduit dans la loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure de 2021 dans le but de « redéfinir les critères de la responsabilité des justiciables et d'encadrer l'utilisation des drones par les forces de l’ordre ». Depuis, la Police nationale et la Gendarmerie sont autorisées à utiliser des drones dans l'espace public pour la surveillance des frontières et la prévention d’atteintes aux personnes et d’actes de terrorisme, ce qui a déjà suscité de nombreuses controverses au sein de la population.
Si le projet de loi sur les Jeux olympiques est adopté, la France sera le premier État de l'UE à légaliser l'utilisation de la vidéosurveillance algorithmique pour les événements de grande envergure. En outre, il pourrait créer un précédent inquiétant pour l'usage de moyens de surveillance intrusifs dans d'autres pays de l'UE, ce qui serait susceptible de porter atteinte aux lois internationales et européennes sur la protection des données et le respect de la vie privée. De plus, les organisations de la société civile allèguent qu'il pourrait porter atteinte aux libertés civiles et aux droits de manifester, puisque la surveillance de masse a des effets négatifs sur « la volonté et la capacité [des personnes] d’exercer leurs libertés civiques, car elles redoutent d’être identifiées, repérées ou même poursuivies à tort ».
Ces dispositifs de surveillance expérimentaux devraient rester en place jusqu'en juin 2025. Toutefois, la LDH s'est inquiétée du fait qu'ils pourraient être utilisés pour contrôler des festivals, des événements culturels et des manifestations, et pourraient même devenir permanents.
En déclarations à Euronews, Noémie Levain, juriste chez La Quadrature du Net — un groupe de défense des libertés civiles à l'ère numérique — affirme :
Les JO sont un prétexte. On sait que ça ne va pas s’arrêter en 2025. Dès qu’il y a une expérimentation, c’est pérennisé. C’est important de voir le mouvement que prend la France avec cette loi, de vouloir accorder plus d’importance au développement du marché de la vidéosurveillance, qu’aux libertés publiques.
- Noémie Levain, juriste chez La Quadrature du Net.
Le European Center for Not-For-Profit Law (ECNL), avec le soutien de 38 OSC, dont le Forum civique européen, a envoyé une lettre à l'Assemblée nationale dans laquelle il met en avant les risques qu'implique le projet de loi pour les libertés civiques, le droit international en matière des droits de l'homme et la future loi de l'UE sur l'IA.
We join @enablingNGOlaw @laquadrature @amnestyfrance & 30+ other orgs to call out the use of intrusive algorithm-driven video surveillance at the Paris Olympics 2024.
— Fair Trials (@fairtrials) March 6, 2023
This use threatens fundamental rights & is contrary to international law ⬇️ @lemondefr https://t.co/nWYU37qlZM
Avant d'être mis en œuvre, le projet de loi sera examiné par l'Assemblée nationale et la Commission nationale de l'informatique et des libertés.