Depuis notre dernière mise à jour, les violations de la liberté de la presse se sont multipliées à un rythme alarmant. Les derniers mois, deux médias ont été suspendus, des correspondantes étrangères ont été expulsées et des journalistes ont fait l'objet de menaces, notamment de menaces de mort, de campagnes de diffamation et d'agressions.
En réponse aux attaques terroristes que subit le pays, les autorités militaires de la transition ont choisi de pénaliser les journalistes qui informent sur la crise sécuritaire, en particulier ceux qui critiquent la riposte militaire de la junte. Le 23 mars 2023, le président de la transition Ibrahim Traoré a adressé un avertissement aux journalistes et aux médias : « Tous ceux-là qui pensent qu’ils sont cachés, à l’intérieur ou à l’extérieur, qui continuent d’informer et de communiquer pour l’ennemi, ils vont le payer ».
Dans une lettre ouverte, trente organisations ont appelé la CEDEAO, l'Union africaine, les Nations unies et l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) à défendre la liberté de la presse au Burkina Faso et au Mali, un autre pays où la liberté de la presse subit les attaques d'une junte militaire. Le quotidien burkinabé L'Observateur Paalga affirme que l'instauration d'un « régime de terreur » dans les deux pays s'est accompagnée d'une vague de « fake news » qui ont inondé les réseaux sociaux de mensonges.
French television news channel La Chaine Info (LCI), suspended for 3 months from June 23 by authorities in Burkina Faso, for report on armed groups’ activity: https://t.co/GoxSijEh3V.
— IFEX (@IFEX) July 4, 2023
Liberté d'expression
Le CSC suspend une chaîne de télévision française pendant trois mois
Dans un communiqué publié le 23 juin 2023, le Conseil supérieur de la communication (CSC) — le régulateur national des médias — a annoncé la suspension de la diffusion de la chaîne de télévision française LCI dans le pays pour une durée de trois mois. L'organisme accuse LCI de transmettre des « fausses informations » en raison des propos de la journaliste Abnousse Shalmani au sujet des violences et des attaques meurtrières dans le pays durant son analyse de la situation sécuritaire, dans l'émission 4 h Pujadas, l'info en question de LCI le 24 avril.
Le CSC soutient que « toutes ces allégations ne reposent sur aucune preuve concrète et manquent d'objectivité et de crédibilité », exagèrent l'ampleur de l'insurrection dans le pays et dénoncent de manière « séditieuse » des défaillances « non vérifiées » dans la réponse militaire du Burkina Faso.
Burkina Faso’s transitional military government has announced the suspension of international news channel @FRANCE24.
— Human Rights Watch (@hrw) March 30, 2023
It violates the right to a free and independent media – and national law.
Read more in @astroehlein’s Daily Brief: https://t.co/ANzn9at4TS
France 24 suspendue pour une durée indéterminée
Le 27 mars 2023, la junte militaire du Burkina Faso a décidé la suspension « sine die » de la chaîne française France 24 à la suite d'une interview de Yezid Mebarek, alias Abou Obeida Youssef al-Annabi, chef autoproclamé d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Dans un communiqué, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement de la transition, Rimtalba Jean-Emmanuel Ouedraogo, a accusé France 24 de « ne [faire] pas seulement office d'agence de communication pour ces terroristes, pire [elle offre] un espace de légitimation des actions terroristes et des discours de haine ».
De son côté, France 24 a publié un communiqué le 28 mars 2023 dans lequel elle a réfuté « les accusations sans fondement qui mettent en cause [son] professionnalisme », tout en précisant qu'elle n'a jamais donné la parole directement au chef d'AQMI et qu'elle a pris soin de « relater ses propos sous la forme d'une chronique permettant la distanciation et la contextualisation nécessaires ».
Cette suspension est contraire à la législation burkinabé. En effet, un décret de 2013 habilite le Conseil supérieur de la communication (CSC) à décider de la sanction ou de la suspension d'un média, laquelle doit être notifiée au préalable et peut être contestée devant les tribunaux.
Le 24 janvier 2023, avant la suspension, le correspondant de France 24 au Burkina Faso, Bangaly Touré, avait été convoqué par le CSC à cause d’un « dérapage » visible sur le bandeau d’information de la chaîne durant une émission le 16 janvier de 2023. Le bandeau déroulant indiquait que, selon le gouvernement, cinquante femmes avaient été enlevées dans le nord par des « rebelles islamistes ». Le CSC a souligné que le gouvernement n'avait pas parlé de « rebelles islamistes », mais de « groupes terroristes armés ». Touré a été convoqué bien qu’il ait expliqué qu'il n'était pas l'auteur de ce texte et qu'il s'agissait de la traduction d'une dépêche de Reuters. On lui a également informé que France 24 serait suspendue si une erreur similaire venait à se reproduire.
Sadibou Marong de Reporters sans frontières (RSF) commente :
Cette décision est une nouvelle atteinte à la liberté d’informer au Burkina Faso. Nous condamnons fermement cette suspension sans préavis, qui intervient quelques mois après l’interdiction de RFI et qui pénalise, encore un peu plus, les citoyens burkinabés, qui se retrouvent privés d’un autre moyen d’information important. Dans l’intérêt de tous et au nom du droit à une information pluraliste, cette décision doit être annulée immédiatement et l’antenne de France 24, comme celle de RFI, rétablies.
- Sadibou Marong de Reporters sans frontières
Comme nous l'avons signalé sur le Monitor CIVICUS, Radio France Internationale (RFI) a été suspendue le 3 décembre 2022 « jusqu'à nouvel ordre » pour avoir relayé un « message d'intimidation des populations attribué à un chef terroriste ».
In the latest blow to media freedom in Burkina Faso, authorities have expelled two French journalists without giving a reason.
— Human Rights Watch (@hrw) April 4, 2023
Authorities should uphold the freedom of the press and allow journalists to work freely. #PressFreedomhttps://t.co/ODIo0Dz4h8 pic.twitter.com/2qVsBMffXn
Expulsion de deux correspondantes étrangères
Le 1ᵉʳ avril 2023, les autorités militaires de la transition ont expulsé Agnès Faivre, correspondante du quotidien français Libération, et Sophie Douce du journal français Le Monde. La veille, elles ont toutes deux ont été convoquées aux bureaux de la Sûreté nationale (le service de renseignement burkinabé), où elles ont été interrogées. Par la suite, on leur a notifié verbalement que leur accréditation avait été annulée et qu'elles devaient quitter le Burkina Faso sous vingt-quatre heures. Aucune raison officielle ne leur a été communiquée. Toutes deux avaient des visas et des accréditations valides pour le Burkina Faso.
Dans un éditorial, Libération a affirmé que la décision était « arbitraire et injustifiée ». Le journal suggère que les expulsions sont liées à une enquête publiée le 27 mars 2023 sur les circonstances dans lesquelles a été filmée une vidéo montrant les corps sans vie d'enfants et adolescents dans une caserne militaire à Ouahigouya, dans la province du Yatenga, en présence d'hommes portant des uniformes militaires.
#BurkinaFaso 🇧🇫 Harouna Douamba (GPCI), a lobbyist close to the Wagner galaxy, has organised a smear campaign via a bogus media network. RSF denounces these methods of disinformation, which aim to intimidate and discredit French and Burkinabé journalists.👇https://t.co/XTY9rm5BKz pic.twitter.com/Rq0XhkvVwx
— RSF (@RSF_inter) April 20, 2023
Des journalistes victimes d'une campagne de diffamation
D'après Reporters sans frontières (RSF), outre Faivre et Douce, les deux correspondantes étrangères expulsées, les journalistes burkinabés Lamine Traoré de Radio Oméga, Hyacinthe Sanou de Studio Yafa et Boukary Ouoba de l'Association des journalistes du Burkina ont également été la cible d'une campagne de diffamation orchestrée par un réseau de médias factices. Elle a débuté le 27 mars 2023, cinq jours après la publication d'un article du journal Libération sur l'implication présumée de membres de l'armée dans l'assassinat d'enfants et d'adolescents. Cette campagne a été déclenchée par des sites factices affiliés au Groupe panafricain pour le commerce et l'investissement (GPCI), connu pour ses campagnes de désinformation et le trafic d'influence au Burkina Faso, au Mali, au Togo, au Maroc et en République centrafricaine.
Selon RSF, au cœur de cette campagne de dénigrement, se trouve une vidéo de deux minutes qui discrédite l'article de Libération. Elle a été produite par Wadjey's TV, un média créé par le GPCI. La vidéo, qui a fait le tour des réseaux sociaux et des groupes WhatsApp, pointe du doigt les autorités françaises et l’Institut de recherche pour le développement (IRD), qui sont accusés d’avoir fourni aux journalistes « de fortes sommes d’argent censées payer des leaders de la communauté peule pour faire de faux témoignages ». Les trois journalistes burkinabés sont accusés aussi de connivence avec Libération et Le Monde.
D'après RSF, avant cette campagne de diffamation, d'autres sites Internet du GPCI avaient déjà attaqué Libération et Le Monde, en les accusant d'être payés par la France pour déstabiliser le Burkina Faso.
Le Faso - Menaces sur les journalistes au Burkina : Des Organisations professionnelles des médias tirent la sonnette d'alarme https://t.co/qwmMhUVTBR pic.twitter.com/8cIk9Wul43
— Afropages (@Afropages) April 13, 2023
Des journalistes menacés de mort
Au Burkina Faso, les menaces contre les journalistes se sont multipliées, y compris les menaces de mort. Dans un communiqué publié le 13 avril 2023, des organisations professionnelles des médias telles que le Centre national de la presse Norbert Zongo (CNP-NZ), l'Association des journalistes du Burkina (AJB) et Reporters du Faso ont dénoncé le nombre croissant de journalistes qui ont reçu des menaces de mort dans un contexte dans lequel les médias et la presse ont été diabolisés et accusés d’être antipatriotes, terroristes ou au service de terroristes. Les organisations ont également dénoncé l'utilisation de la situation sécuritaire du pays comme prétexte pour restreindre la liberté d'expression. Ces organisations s’insurgent :
On a assisté et on assiste encore à des appels incessants au meurtre de journalistes et de leaders d’opinion ; à des cabales montées de toutes pièces pour salir la réputation de certains de nos confrères. Les menaces et autres intimidations contre les professionnels des médias se sont multipliées ces derniers jours. Ces fatwas sur la presse burkinabè s’inscrivent dans un plan machiavélique de diabolisation du travail des journalistes, dont le seul malheur est de refuser le bâillonnement, l’instrumentalisation, la dictée de la pensée unique et la déification de l’autorité.
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Le 26 mars 2023, le groupe privé Oméga médias a déposé une plainte contre X après que son fondateur, Alpha Barry, et son journaliste, Alain Traoré, ont été la cible de menaces sur les réseaux sociaux, y compris d’appels à brûler leur logement.
Burkina Faso: un collectif lance l'alerte sur le cas Wendpouire Charles Sawadogo https://t.co/Bs9R3Sm4Lr pic.twitter.com/xbqWBtyfCG
— RFI Afrique (@RFIAfrique) April 30, 2023
Liberté d'association
Détention d'un militant et lanceur d'alerte
Le 27 avril 2023, des membres de la brigade centrale de lutte contre la cybercriminalité (BCLCC) ont arrêté le militant et lanceur d'alerte Wendpouire Charles Sawadogo, à qui on reproche d'être en « intelligence avec l'étranger en vue de destituer le régime en place ». Il avait été convoqué par le BCLCC la veille et aurait été interrogé. Auparavant, il avait publié des alertes sur le massacre de Karma sur les réseaux sociaux. Sawadogo a été remis en liberté le 1ᵉʳ mai 2023 et aucune charge n'a été retenue contre lui. Dans un communiqué, le Collectif des journalistes, activistes et leaders d'opinion victimes de menaces au Burkina Faso a affirmé que l'arrestation a été abusive et qu'elle visait à intimider Sawadogo, membre du groupe, et à ternir sa réputation.
Enlèvement d'un militant de la société civile
L'Organisation démocratique des jeunes du Burkina Faso (ODJ) a signalé que trois individus non identifiés habillés en civil ont enlevé son président, Ilassa Ouedraogo, le 28 mai 2023 à Bobo-Dioulasso. Il aurait été conduit à une destination inconnue, où il a subi des interrogatoires pendant 48 heures. Son téléphone a été fouillé également. Par la suite, il a été libéré à quelques kilomètres de Sikasso, au Mali.