Watchlist September 2024 FR

SEPTEMBRE 2024 LISTE DE SURVEILLANCE

Dernière mise à jour le 23 septembre 2024: La nouvelle Liste de surveillance de CIVICUS Monitor met en évidence de profondes préoccupations concernant l'exercice des libertés civiques en Argentine, en Azerbaïdjan, en Thaïlande et au Zimbabwe.

Elle a été établie à partir de l'évaluation des résultats de recherche de CIVICUS Monitor et de ses partenaires de recherche, en consultation avec des militants sur le terrain, et elle attire l'attention sur les pays qui connaissent un déclin important du respect de l'espace civique.

Dans les semaines et les mois à venir, CIVICUS Monitor suivra de près l'évolution de la situation dans chacun de ces pays dans le cadre des efforts pour accroître la pression sur les gouvernements. CIVICUS appelle ces gouvernements à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre fin immédiatement aux actes de répression en cours et à veiller à ce que les responsables rendent des comptes.

Ci-dessous, vous trouverez un résumé des violations de l'espace civique qui ont lieu dans ces pays. Si vous souhaitez nous faire parvenir des informations à propos de l'espace civique de ces pays, veuillez nous écrire à monitor@civicus.org.

L'espace civique argentin s'est considérablement détérioré dans un contexte de crise économique et de tensions sociales, et les autorités n'ont pas cessé de restreindre les libertés fondamentales. Les manifestations ont fait l'objet d'une répression violente, tandis que les journalistes et les militants sont confrontés à une montée des attaques, notamment des agressions verbales et physiques et des actes d'intimidation.

Depuis qu'il a pris ses fonctions en décembre 2023, le président de droite Javier Milei a proposé des modifications législatives pour mettre en œuvre des réformes structurelles qui ont provoqué des manifestations de grande ampleur dans tout le pays. Tout au long de sa campagne, il avait promis des réductions drastiques des dépenses publiques, avait exprimé son scepticisme à l'égard du changement climatique, s'était opposé à la dépénalisation de l'avortement et avait minimisé les violations systématiques des droits de l'homme durant la dictature.

Le 14 décembre 2023, le ministère de la Sécurité a publié la Résolution 943/2023, communément appelée protocole « anti-piquets », pour le maintien de l'ordre public lors des blocages de voies de circulation. Cette norme criminalise les manifestations qui impliquent le blocage de rues et de routes pendant les manifestations, et les considère comme des délits contre la sécurité de la circulation et des transports. L'application de la loi a donné lieu à une répression violente de la part des forces de sécurité.

Par exemple, le 12 juin 2024, des milliers de manifestants se sont rassemblés près du Congrès, alors que le Sénat débattait d'un projet de loi omnibus visant à déréglementer plusieurs secteurs, à privatiser des entreprises publiques stratégiques, à réduire les dépenses de l'État et à affaiblir le droit du travail. Pacifique en un premier temps, la manifestation a pris une tournure violente lorsque des affrontements ont éclaté entre les manifestants et les forces de sécurité. Au moins 200 personnes ont été blessées et 35 manifestants ont été arrêtés pour intimidation publique, incitation à la violence et perturbation des sessions législatives, entre autres accusations.

Le 28 août, 5 000 personnes sont descendues dans les rues pour protester contre le veto du président Javier Milei à une loi sur l'augmentation des retraites. Les forces de sécurité ont aspergé les manifestants avec un nouvel agent chimique qui a causé des brûlures à des manifestants âgés. Au moins 30 personnes ont été blessées et deux manifestants ont été arrêtés.

Les organisations de défense de la liberté de la presse ont dénoncé une escalade des menaces à l'encontre des journalistes à la suite de l'investiture du président Javier Milei. Depuis janvier, au moins 47 journalistes et professionnels des médias ont été agressés alors qu'ils couvraient des manifestations.

En juin, le ministre de la Justice Mariano Cúneo Libarona a engagé des poursuites contre les journalistes Darío Villarruel et Nancy Pazos, qu’il accuse d'« incitation à la commission de délits », en raison de leurs commentaires sur le scandale des denrées alimentaires stockées par le gouvernement.

Le 30 août, le président a publié un décret qui modifie la loi sur l’accès à l’information publique et qui restreint davantage la liberté d'expression. Désormais, certaines informations sont considérées comme relevant de la « sphère privée » des responsables politiques, restreignant ainsi l'accès à celles-ci, à l'encontre des normes internationales.

En novembre 2024, les dirigeants du monde entier se rencontreront en Azerbaïdjan lors de la 29ᵉ Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP29). Le sommet se tiendra dans un contexte marqué par l'état désastreux des droits de l'homme dans le pays hôte. CIVICUS Monitor a commencé à faire un suivi de l'espace civique azerbaïdjanais en 2018 et dès lors il a été qualifié de fermé. Les manifestations, notamment celles qui concernent la défense de l'environnement, sont régulièrement réprimées et les organisations critiques issues de la société civile doivent cesser leurs activités à cause des refus d'inscription arbitraires et des restrictions aux financements en provenance l'étranger. Il n'y a plus de médias indépendants dans le pays et tous les dissidents sont confrontés à des poursuites pénales forgées de toutes pièces, à des interdictions de voyage et au gel de leurs comptes bancaires.

En février et septembre de cette année, l'Azerbaïdjan a organisé des élections présidentielles et parlementaires anticipées qui ont conforté davantage le régime d'Aliyev, au pouvoir depuis 20 ans. Dans un contexte de tensions croissantes et d'interrogations sur la légitimité de ces élections, le régime a intensifié la répression de l'espace civique et la situation a continué de se dégrader à l'approche de la COP29.

En juin 2024, les groupes de défense des droits de l’homme estimaient que plus de 300 prisonniers politiques, dont 23 journalistes, étaient en détention en Azerbaïdjan.

Parmi les personnes arrêtées lors des récents actes répressifs figure Anar Mammadli, militant prodémocratie et observateur électoral de renom, arrêté en avril 2024 et dont la détention a été prolongée le 22 août. Mammadli a été copromoteur de l initiative « COP29 Climate of Justice », qui cherche à faire de la conférence une plateforme pour attirer l'attention sur les problèmes environnementaux et de droits de l'homme dans le pays.

Fin août 2024, le chercheur et militant azerbaïdjanais Bahruz Samadov a été arrêté par les services de sécurité et a été accusé de haute trahison. S'il est déclaré coupable, il risque de 12 à 20 ans de prison, voire la réclusion à perpétuité. D'après certaines sources, d’autres militants ont également été détenus et contraints à témoigner contre lui. Les accusations portent sur les critiques de Samadov à l'égard de la politique du gouvernement dans le Haut-Karabakh, un territoire contesté que l'Azerbaïdjan a repris fin 2023, ce qui a entraîné le déplacement de plus de 100 000 Arméniens. La mesure avait été qualifiée de nettoyage ethnique dans une résolution du Parlement européen.

Le 6 septembre 2024, une dizaine d'hommes en civil portant des masques chirurgicaux ont arrêté de force une candidate de l'opposition, son assistant et la journaliste indépendante Shahla Karim, qui enquêtait sur un cas de fraude électorale présumée lors des élections législatives. Tous trois ont été conduits à Bakou, à 180 kilomètres, où ils ont finalement été libérés.

La Thaïlande reste sur notre liste de surveillance en raison de la dissolution du principal parti d'opposition et de l'exclusion de ses dirigeants des processus électoraux. Les militants et les critiques continuent d'être emprisonnés ou de faire l'objet d'attaques, notamment dans le sud du pays, et la répression transnationale persiste. L'élection du nouveau premier ministre Paetongtarn Shinawatra en août 2024 ne devrait pas inverser cette tendance inquiétante.

Bien que le parti d'opposition Move Forward Party ait remporté le plus grand nombre de sièges lors des dernières élections, le 7 août, la Cour constitutionnelle thaïlandaise a ordonné sa dissolution pour avoir commis un acte de trahison en préconisant la réforme de l'article 112 du Code pénal sur le crime de lèse-majesté (diffamation de la monarchie). Elle a déclaré inéligibles toutes personnes ayant fait partie du comité exécutif de l’organisation d'avril 2021 à janvier 2024, qui ne pourront pas prendre part à des activités politiques pendant dix ans. Les groupes de défense des droits de l'homme estiment que la décision est motivée par des raisons politiques.

Le gouvernement a continué d'utiliser les dispositions sur le crime de lèse-majesté définies dans l'article 112 du Code pénal pour arrêter et condamner des militants, des critiques et des hommes politiques pour insultes à la monarchie. Thai Lawyers for Human Rights (TLHR) a signalé que, de 2020 au 31 juillet 2024, 272 personnes ont été poursuivies pour diffamation de la monarchie.

Le 18 juillet, trois militants arrêtés pour avoir chanté une chanson contestataire ont été condamnés à sept ans de prison pour un crime de lèse-majesté. Le 25 juillet 2024, en vertu de la loi sur le crime de lèse-majesté, un tribunal pénal a condamné l'avocat des droits de l'homme, Arnon Nampaen, à quatre ans de prison pour avoir publié sur Facebook des textes concernant la monarchie thaïlandaise début 2021. C'était sa quatrième condamnation au titre de l'article 112. Le 31 juillet 2024, le militant prodémocratie Parit « Penguin » Chiwarak a été condamné par contumace à deux ans de prison pour un crime de lèse-majesté, en raison des commentaires qu'il avait publiés sur son compte Facebook.

En juin 2024, dans les provinces frontalières du sud, Roning Dolah, célèbre défenseur des droits de l'homme musulman, membre de l'ethnie malaise et coordinateur du groupe Duay Jai, qui enquête sur les cas de tortures et de disparitions forcées, a été assassiné. Neuf militants de l'extrême sud du pays pourraient être mis en examen pour sédition et autres chefs d'accusation, pour avoir participé à un événement culturel dans le district de Sai Buri, à Pattani, en 2022.

La répression transnationale suscite aussi des préoccupations. Des experts indépendants des Nations unies ont exprimé leur vive inquiétude quant à la demande d'extradition adressée par le Vietnam à la Thaïlande concernant le réfugié et défenseur des droits de l'homme Y Quynh Bdap, cofondateur de Montagnards Stand for Justice, une organisation qui défend les droits des populations indigènes au Vietnam. Il a été condamné par contumace à dix ans de prison lors d'un procès qui n'a pas respecté les normes internationales. À présent, un tribunal pénal de Bangkok tient les audiences pour son extradition.

Les autorités zimbabwéennes ont intensifié la répression généralisée des militants, des membres de l'opposition et des organisations de la société civile à l'approche du 44ᵉ Sommet de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), qui s'est tenu le 17 août 2024 à Harare, au Zimbabwe, et dont le président Emmerson Mnangagwa devait assumer la présidence. Depuis la mi-juin 2024, plus de 160 personnes ont été arrêtées, dont des élus, des membres de l'opposition, des dirigeants syndicaux, des étudiants et des journalistes, parmi lesquels certains présentaient des signes de torture et d'autres mauvais traitements.

La répression actuelle a débuté le 16 juin 2024, lorsque la police a arrêté et détenu 78 membres du parti Coalition citoyenne pour le changement (CCC), notamment Jameson Timba, chef intérimaire du parti, durant un rassemblement dans le domicile de ce dernier pour commémorer la Journée de l'enfant africain. La police a tiré des gaz lacrymogènes et a frappé les présents avec des matraques. L'intervention s'est soldée par de nombreux blessés, dont un qui a dû être opéré. Les autorités ont accusé le groupe de tenir un « rassemblement dans le but de promouvoir la violence publique et les troubles de l'ordre public ». Le 4 septembre 2024, Timba et les autres 77 coaccusés ont été acquittés du délit de trouble à l'ordre public, et 12 d'entre eux ont été acquittés de tous les chefs d'accusation. Le tribunal a toutefois décidé que 65 d'entre eux, dont Timba, seraient poursuivis pour « participation à un rassemblement non autorisé ». Tous étaient en détention au moment de la rédaction de ce rapport.

La police a ciblé d’autres groupes et individus, ce qui a provoqué de nouveaux incidents, en voici quelques-uns :

Le 24 juin 2024, les agents de police ont arrêté 44 membres du syndicat étudiant Zimbabwe National Students Union (ZINASU), dont son président, Emmanuel Sitima, et les ont contraints à payer des amendes pour « trouble à l'ordre public » avant de les relâcher. La police a interrompu une réunion durant laquelle les étudiants discutaient de politiques éducatives et a procédé à leur arrestation. Certains ont souffert de blessures en conséquence des coups violents qu'ils ont reçus. La police a arrêté de nouveau Sitima pour « trouble à l'ordre public », mais il a été libéré le lendemain sous caution.

Le 27 juin 2024, le président Emmerson Mnangagwa a mis en garde contre « les partis politiques d'opposition enclins à colporter des mensonges et à inciter à des troubles à l'ordre public, en particulier avant, pendant et après des événements régionaux et internationaux ». Le même jour, devant le tribunal de première instance d'Harare, la police a battu et arrêté des manifestants pacifiques qui réclamaient la libération des 78 membres de la CCC arrêtés au domicile de Timba, dont la libération sous caution avait été refusée.

Le 29 juin 2024, la police a arrêté dans un domicile d’Harare cinq membres du mouvement de justice sociale National Democratic Working Group durant une réunion pour collecter des fonds pour les familles appauvries, mais ils ont été relâchés par la suite.

Le 1ᵉʳ juillet 2024, la police a perturbé une cérémonie à la mémoire d'un membre de la CCC tué en 2022 et le 3 juillet 2024 elle a arrêté six membres de l'organisation de médias Community Voices Zimbabwe, à Gokwe, qui ont finalement été libérés sans charges.

Le 31 juillet 2024 s'est produit un incident particulièrement alarmant à l'aéroport Robert Gabriel Mugabe. Des agents de l'État ont fait descendre de force d'un avion quatre militants et les ont gardés en détention au secret pendant près de huit heures. Ils ont été accusés de trouble à l'ordre public pour avoir participé à une marche pacifique devant les tribunaux d'Harare, le 20 juin 2024, en soutien aux 78 membres de la CCC qui comparaissaient devant un juge qui déciderait de leur envoi en détention provisoire, comme nous l'avons expliqué ci-dessus. Des sources ont révélé que les militants avaient été torturés pendant leur détention.

Les déclarations du ZANU-PF, le parti au pouvoir, ont suscité l'inquiétude également. Il a appelé le président Emmerson Mnangagwa à rester à la tête du pays après 2028, date à laquelle finit son mandat actuel. Le 25 août 2024, le parti a organisé une conférence pour rédiger une résolution pour demander aux autorités compétentes de procéder aux modifications constitutionnelles nécessaires afin que le président Emmerson Mnangagwa puisse poursuivre son mandat en dépit des garde-fous constitutionnels. Plus précisément, les responsables du parti proposent que le Parlement prolonge la durée des mandats de Mnangagwa ou modifie provisoirement le nombre de mandats que peut exercer le président, lesquels passeraient de deux à trois, ou supprime tout simplement cette limitation. La résolution sera présentée à la direction du parti lors de la 21ᵉ Conférence populaire annuelle qui se tiendra du 22 au 27 octobre 2024 au parc des expositions international du Zimbabwe, à Bulawayo. Bien que le président ait apaisé les craintes en assurant qu'il quittera ses fonctions à la fin de son deuxième mandat, les responsables du ZANU-PF continuent malgré tout de faire pression pour l'adoption de réformes constitutionnelles qui lui permettraient de briguer un troisième mandat.