Watchlist July 2025 French
Juillet 2025 LISTE DE SURVEILLANCE
Dernière mise à jour : 30 juillet 2025 - La nouvelle Liste de Surveillance du CIVICUS Monitor met en lumière de vives inquiétudes concernant l’exercice des libertés civiques au Salvador, en Indonésie, au Kenya, en Serbie, en Turquie et aux États-Unis d’Amérique.
La Liste de Surveillance attire l’attention sur les pays où l’on constate une forte détérioration du respect de l’espace civique, sur la base d’une évaluation réalisée à partir des résultats de recherche du CIVICUS Monitor, de nos partenaires de recherche et de consultations avec des activistes sur le terrain. Dans les semaines et mois à venir, le CIVICUS Monitor suivra de près l’évolution de la situation dans chacun de ces pays, dans le cadre des efforts visant à accroître la pression sur les gouvernements.
CIVICUS appelle ces gouvernements à tout mettre en œuvre pour mettre fin immédiatement aux répressions en cours et veiller à ce que les responsables soient tenus pour compte. Les descriptions des violations de l’espace civique dans chaque pays sont fournies ci-dessous. Si vous disposez d’informations à partager concernant l’espace civique dans l’un de ces pays, veuillez écrire à monitor@civicus.org.
EL SALVADOR
El Salvador a intensifié sa répression à l’encontre des défenseurs des droits humains, des journalistes et des organisations de la société civile (OSC). Le pays est maintenu en état d’urgence depuis plus de trois ans, renouvelé 40 fois depuis mars 2022.
C’est la troisième fois qu’El Salvador est inscrit sur la Liste de surveillance sous l’administration du président Nayib Bukele, après mars 2022 et juillet 2024. Cette répétition souligne des préoccupations constantes concernant l’atteinte aux libertés civiles et l’érosion des institutions démocratiques, traduisant la mainmise de plus en plus autoritaire de Bukele sur le pouvoir.
Des cas alarmants de criminalisation visant les défenseurs des droits humains ont été recensés en 2025. Le 18 mai, les autorités ont arbitrairement arrêté Ruth Eleonora López, responsable de l’unité Anti-Corruption et Justice de Cristosal, accusée de détournement de fonds prétendument en lien avec son activité au Tribunal électoral suprême. López est internationalement reconnue pour son travail sur la corruption et la défense des droits humains. Le 6 juin, l’avocat constitutionnaliste Enrique Anaya, connu pour ses critiques envers les abus gouvernementaux, a également été arrêté pour un supposé blanchiment d’argent. Les deux sont toujours en détention.
Le gouvernement a répondu aux manifestations par des répressions et des mesures de représailles ciblant ses critiques. En mai 2025, plus de 300 familles de la communauté d’El Bosque ont organisé une veillée pacifique pour revendiquer leur droit à un logement adéquat face à une expulsion imminente. Le 12 mai, au cours de la veillée devant la résidence présidentielle, la police a arbitrairement interpellé le leader communautaire José Ángel Pérez. Le lendemain, les autorités ont aussi détenu Alejandro Henríquez, défenseur de l’environnement et représentant légal de la coopérative d’El Bosque. Les deux sont accusés de troubles à l’ordre public et d’obstruction à la justice et restent en détention. Des actes d’intimidation, tels que de la surveillance, ont également visé plusieurs participants et membres de la coopérative.
En réaction aux protestations devant la résidence présidentielle, l’Assemblée législative a adopté, le 20 mai, la loi sur les agents étrangers, ciblant les organisations et individus recevant des financements internationaux. Entrée en vigueur le 7 juin 2025, cette loi impose une taxe de 30 % sur les fonds étrangers, avec peu d’exceptions. Elle instaure aussi un registre obligatoire (RAEX) pour les « agents étrangers », conférant aux autorités de larges pouvoirs pour surveiller, approuver ou refuser les activités de la société civile.
Le non-respect de cette loi peut entraîner de lourdes sanctions, notamment des amendes de 100 000 à 250 000 USD, la suspension ou l’annulation du statut juridique ou de l’autorisation de fonctionnement des entités, ainsi que des poursuites administratives ou pénales. Bien que récente, la loi a déjà limité de manière significative les activités légitimes des OSC dans le pays.
Dans ce climat hostile, l’ONG Cristosal, reconnue en matière de droits humains, a suspendu ses activités le 17 juillet 2025, après 25 ans de documentation de graves violations. Cette décision fait suite au harcèlement croissant et aux menaces juridiques, notamment l’arrestation arbitraire de López, la surveillance et la stigmatisation publique.
On observe également d’importantes atteintes à la liberté d’expression et à la presse. Le 1er mai 2025, le média indépendant El Faro a publié une enquête dénonçant des pactes entre le gouvernement et des organisations criminelles. Cela a entraîné des attaques en ligne accusant ses journalistes de protéger des membres de gangs. Le 3 mai, deux journalistes ont indiqué que le bureau du procureur préparait des mandats d’arrêt contre au moins sept journalistes pour « incitation à des actes criminels » et « association illicite ». De plus, des responsables publics ont qualifié leur travail de criminel, renforçant l’environnement hostile envers le journalisme indépendant.
En juin 2025, l’Association des Journalistes d’El Salvador (APES) a documenté l’exil forcé d’au moins 40 journalistes, spécialisés dans les enquêtes sur les violations des droits humains et la corruption, suite à des intimidations prolongées et des restrictions injustifiées d’activités journalistiques.
INDONÉSIE
Près d’un an après l’arrivée au pouvoir du président Prabowo Subianto, des inquiétudes sérieuses sont exprimées par des groupes de la société civile et des militants concernant les tentatives des autorités de restreindre l’espace civique et de faire taire la dissidence.
Selon une organisation de défense des droits humains, plus d’une centaine de défenseurs des droits humains (DDH) ont été pris pour cible au cours du premier semestre de 2025. Ces DDH ont été confrontés à des arrestations, à des poursuites pénales, à de l’intimidation et à des agressions physiques. Parmi eux figurent des militants pour les droits fonciers, des étudiants, des écologistes, des universitaires, des militants anti-corruption et des syndicalistes, entre autres.
Une importante organisation de défense des droits humains, la Commission pour les disparus et les victimes de violences (KontraS) – qui s’oppose activement à des révisions législatives problématiques – a été victime d’intimidations et de surveillance entre mars et mai 2025. Des véhicules sont passés à plusieurs reprises devant ses locaux à Jakarta et s’y sont arrêtés. Elle a également reçu de nombreux appels en absence de numéros inconnus, dont un lié à un agent des renseignements, et a subi des tentatives d’intrusion.
Le gouvernement impose également plusieurs révisions légales aux conséquences potentiellement graves sur l’espace civique. En mars 2025, une révision de la loi sur les forces armées nationales (loi TNI) a été adoptée, élargissant de manière significative le rôle de l’armée dans les affaires civiles et affaiblissant les contrôles juridiques contre les abus. Le processus de rédaction a manqué de transparence et de participation publique. Les militants exprimant leurs inquiétudes face à ces révisions ont été intimidés et harcelés.
La société civile s’inquiète également du manque de transparence autour des révisions en cours du Code de procédure pénale (KUHAP). Ces modifications étendraient les pouvoirs des forces de l’ordre sans contrepoids efficace et réduiraient le rôle des victimes, des avocats et des citoyens dans le système judiciaire. Une autre loi en cours de révision est la loi n° 2 de 2002 sur la police nationale, qui accorderait des pouvoirs excessifs à la police sans renforcer les mécanismes de contrôle.
Il existe également des inquiétudes concernant la répression brutale et impunie des manifestations. En mars 2025, en Indonésie, des étudiants, des syndicats et des militants qui ont manifesté contre la réforme de la loi militaire ont été victimes d’arrestations et de violences policières et militaires. Lors des célébrations de la fête du Travail, la police a violemment réprimé des manifestations pacifiques. Quatorze manifestants – dont quatre secouristes – ont été arrêtés arbitrairement, et treize d’entre eux auraient été frappés et maltraités, subissant des blessures graves. Pour disperser les rassemblements, la police a utilisé des canons à eau et tiré des gaz lacrymogènes.
Le gouvernement continue d’utiliser la loi draconienne sur l’information électronique et les transactions (loi ITE) pour criminaliser l’expression en ligne, tandis qu’un accord sur les écoutes téléphoniques signé en juin 2025 entre le gouvernement et quatre grands opérateurs télécoms locaux augmente les risques de surveillance arbitraire.
Les médias sont aussi pris pour cible. Un nouveau règlement émis par la police en mars 2025 impose aux journalistes étrangers d’obtenir une autorisation de la police pour pouvoir travailler en Indonésie. En mars 2025, des journalistes couvrant les manifestations contre la réforme militaire à Surabaya ont été agressés et contraints de supprimer les images prises. Le média Tempo, connu pour ses critiques envers les autorités, est particulièrement visé, notamment en raison de sa couverture critique de l’administration Prabowo. En mars 2025, une journaliste animant un podcast populaire a reçu un colis contenant une tête de cochon sans oreilles. Elle a aussi été victime de « doxxing », le téléphone de sa mère a été piraté et un membre de sa famille a reçu des appels anonymes menaçants.
Le gouvernement poursuit également la répression de l’activisme en Papouasie, une région marquée par des abus systémiques de la part des forces de sécurité et l’exploitation des ressources par l’État et des entreprises privées. En avril 2025, des étudiants papous et des organisations de solidarité qui ont manifesté à Nabire et Jayapura contre la militarisation et l’exploitation de la Papouasie ont été confrontés à la violence policière, au gaz lacrymogène, à des arrestations et à des dispersions forcées. En mai 2025, une manifestation pacifique contre l’augmentation des frais universitaires, organisée par les étudiants de l’université Cenderawasih (UNCEN) à Jayapura, a également été violemment réprimée par la police.
KENYA
Un an après le début des manifestations nationales #RejectFinanceBill en juin 2024, une répression glaçante des libertés civiques se poursuit sans relâche. Les enlèvements approuvés par l’État et la répression des manifestants continuent, tandis que les autorités intensifient leur offensive contre la liberté d’expression, en ligne comme hors ligne.
Alors que les Kényans sont redescendus dans la rue en juin 2025 pour marquer l’anniversaire des manifestations et réclamer des réformes majeures sur le plan économique et de la gouvernance – toujours non mises en œuvre –, le gouvernement continue de faire preuve de brutalité envers des manifestants non armés. Cela inclut l’usage excessif et létal de la force, le recours persistant à des agents de sécurité en civil masqués et à bord de véhicules banalisés pour procéder à des arrestations (malgré une décision de justice interdisant cette pratique), ainsi que le recours présumé à des milices armées infiltrées dans les manifestations pour attaquer les manifestants et piller les commerces, entre autres tactiques brutales. Au moins 65 personnes ont été tués, des centaines blessés, avec des cas de viols signalés, y compris des viols collectifs. Au moins 1 500 personnes ont été arrêtées depuis le début des manifestations en juin 2025, et font face à diverses accusations, dont des chefs de meurtre, de viol et de terrorisme. Le recours par l’État aux accusations de terrorisme soulève de sérieuses inquiétudes quant à la manipulation des lois et du système judiciaire pour qualifier de terroristes des manifestants pacifiques, d’autant plus préoccupante que de nombreuses allégations indiquent que la majeure partie des violences observées lors des récentes manifestations aurait été orchestrée par des acteurs soutenus par l’État.
Alors que la population se tourne vers les espaces numériques pour exprimer sa dissidence de manière plus sûre, la répression étatique s’intensifie également en ligne. En juin 2025, l’activiste Albert Omondi Ojwang est décédé après avoir été sévèrement torturé lors de sa détention par la police, à la suite d’une publication sur les réseaux sociaux accusant un haut responsable gouvernemental de corruption. De son côté, la développeuse Rose Njeri a été arrêtée et poursuivie pour avoir prétendument enfreint la loi de 2018 sur l’utilisation abusive de l’informatique et la cybercriminalité, en concevant un outil en ligne permettant aux citoyens de s’opposer au dernier projet de loi sur les finances. Les arts créatifs sont eux aussi visés : des œuvres et programmes à thématique contestataire ont été interdits dans les espaces publics et dans les écoles. Des projets de lois et directives politiques récents visent à renforcer le contrôle sur les espaces numériques. Un nouveau projet de loi sur les communications menace d’instaurer une surveillance de masse en conférant à l’État de vastes pouvoirs de traçage sans garanties suffisantes ni mécanismes de responsabilité. De plus, le Parlement a récemment proposé d’augmenter le budget alloué à la Direction des enquêtes criminelles (DCI) afin d’acquérir et d’entretenir le système Optimus 3.0, qui pourrait permettre aux autorités de suivre les utilisateurs de réseaux sociaux, d’identifier leurs publications et leur localisation, et de pister les appareils utilisés. De même, une directive de janvier 2025 imposant aux entreprises de réseaux sociaux d’installer des bureaux physiques au Kenya – émise dans un contexte de critiques en ligne croissantes contre le gouvernement et le président Ruto – suscite des inquiétudes quant à ses motivations réelles, et pourrait masquer une tentative d’entrave à la liberté d’expression et aux droits numériques, sous couvert de sécurité nationale.
Les défenseurs des droits humains (DDH) et les organisations de la société civile (OSC) sont désormais la cible d’une surveillance accrue. Après avoir participé à une conférence de juristes en Afrique du Sud, Martin Mavenjina, ressortissant ougandais et conseiller principal en justice transitionnelle à la Commission kényane des droits de l’homme (KHRC), a été expulsé à son arrivée à l’aéroport international JKIA de Nairobi, le 6 juillet 2025. Il s’est vu refuser l’entrée sur le territoire malgré la détention de permis de travail et de résidence valides depuis plus de dix ans. Mavenjina s’est exprimé à plusieurs reprises contre les exécutions extrajudiciaires, les violences policières et la corruption gouvernementale. Des agents de l’immigration à l’aéroport l’avaient déjà interrogé quelques jours auparavant. Le directeur exécutif de la KHRC, Davis Malombe, avait vécu une situation similaire en mai 2025, illustrant la pression croissante exercée sur l’organisation du fait de ses critiques ouvertes à l’égard de la répression menée par l’État dans le cadre des manifestations en cours.
Le jour même de l’expulsion de Mavenjina, des groupes armés présumés liés à l’État ont violemment interrompu une conférence de presse organisée dans les locaux de la KHRC. Cette conférence visait à exiger la fin des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des arrestations arbitraires de manifestants, à la veille de nouvelles manifestations nationales.
SERBIE
La Serbie reste sur notre liste de surveillance alors que l’espace civique continue de se détériorer. Depuis novembre 2024, des manifestations anti-corruption à grande échelle et une grève étudiante nationale persistent, déclenchées par l’effondrement d’une gare ayant causé la mort de 16 personnes. Un remaniement ministériel en avril n’a pas apaisé la colère populaire, les manifestants continuant de réclamer un changement systémique et des élections anticipées. En réponse, les autorités ont intensifié la répression : les manifestants et leurs soutiens sont victimes de violences policières et d’agressions de la part de groupes affiliés au parti au pouvoir, en plus de détentions massives, de surveillances et d’intimidations.
En mars 2025, des contre-manifestants organisés par le gouvernement ont installé des campements autour des principales institutions de Belgrade. Soutenus par les autorités municipales et protégés par la police, ces camps sont devenus des foyers de violence, avec des affrontements fréquents entre résidents et manifestants antigouvernementaux. Les violences commises par les partisans du Parti progressiste serbe (SNS) contre les manifestants sont encouragées et légitimées par les autorités. Des hauts responsables ont exercé des pressions sur les procureurs et les juges, les accusant de partialité en faveur des protestataires. En juillet, le président Aleksandar Vučić a gracié quatre hommes liés à son parti ayant violemment agressé une étudiante à Novi Sad – une attaque qui avait précipité la chute du gouvernement en janvier. Il a ensuite annoncé son intention de gracier une femme accusée de tentative de meurtre pour avoir foncé en voiture sur un groupe de manifestants, et a déclaré que d’autres grâces suivraient.
La répression des activistes civiques s’est intensifiée. Avant une grande manifestation prévue le 15 mars, une réunion privée entre membres de l’opposition et acteurs de la société civile a été illégalement enregistrée par les services de sécurité puis diffusée dans les médias progouvernementaux. Six des personnes visées – Marija Vasić, Mladen Cvijetić, Lado Jovović, Davor Stefanović, Srđan Đurić et Lazar Dinić – ont été arrêtées et inculpées pour tentative de renversement de l’ordre constitutionnel, le parquet demandant la peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. Six autres, actuellement à l’étranger, font l’objet d’un procès par contumace. Après plus de deux mois de détention, les six ont été placés en résidence surveillée fin mai. Les mêmes méthodes ont été utilisées avant une autre manifestation d’envergure le 28 juin : de nouvelles écoutes ont été diffusées, et des policiers en civil ont arrêté huit étudiants militants devant des bâtiments universitaires. Ils ont été inculpés des mêmes faits et, bien que le parquet ait requis leur maintien en détention provisoire, les huit ont tous été remis en liberté dans l’attente de leur procès, à la suite d’un appel judiciaire.
Les préoccupations grandissent quant à l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre, notamment en raison de soupçons selon lesquels la police aurait illégalement utilisé une arme acoustique lors de la plus grande manifestation à ce jour, le 15 mars, qui a rassemblé environ 300 000 personnes. Lors d’une veillée silencieuse en hommage aux victimes de l’effondrement de la gare, le silence a été brutalement rompu par un bruit fort et désorientant, décrit par les participants comme semblable à celui d’un avion volant à basse altitude ou d’un véhicule arrivant à vive allure. Cette perturbation a provoqué une panique et un mouvement de foule. Des organisations de la société civile ont réclamé une enquête, soutenues par six rapporteurs spéciaux des Nations Unies et une mesure provisoire de la Cour européenne des droits de l’homme. La police a d’abord nié toute implication, avant d’admettre que des dispositifs acoustiques à longue portée (LRAD) étaient bien présents sur place, tout en continuant à nier qu’ils aient été activés.
Les tensions ont encore monté d’un cran après une manifestation majeure le 28 juin, rassemblant plus de 150 000 personnes réclamant des élections et le démantèlement des campements progouvernementaux. La manifestation a été violemment dispersée : 77 personnes ont été arrêtées, certaines grièvement blessées par la police et privées de soins médicaux. En réponse, les manifestants ont engagé des actions de désobéissance civile à grande échelle, érigeant des barricades et organisant des rassemblements spontanés à divers endroits du pays. La police a eu recours à une force excessive pour disperser ces regroupements, procédant à des dizaines d’arrestations à la fois. Plus de 400 arrestations ont été recensées rien que durant la première semaine de juillet, avec des rapports crédibles faisant état de blessures graves et de mauvais traitements en détention.
Outre la répression ouverte, les autorités poursuivent leurs efforts d’intimidation envers les partisans des manifestations. Nombre d’entre eux ont fait l’objet de campagnes de dénigrement, de licenciements ou de menaces. Des ressortissants étrangers ont été expulsés ou menacés d’expulsion pour avoir exprimé leur soutien. Des services de bus et de trains ont été suspendus sans explication avant les rassemblements importants. Un opérateur privé de bus, harcelé par la police pour avoir transporté des manifestants – notamment par le biais d’amendes, de sabotages et de menaces –, a tenté de s’immoler par le feu le 1er juillet devant un bureau du parti au pouvoir, pour protester contre ce harcèlement continu et l’arrestation de son fils.
TURQUIE
La Turquie est ajoutée à notre liste de surveillance alors que l’espace civique y fait face à des menaces existentielles en raison de l’emprisonnement de responsables politiques de l’opposition, de la répression violente de manifestations de masse et d’une escalade spectaculaire de la censure, des arrestations et de l’intimidation. Cette vague de répression a commencé après l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, largement considéré comme le principal rival du président Erdoğan pour l’élection présidentielle de 2028, et a déclenché les plus grandes manifestations depuis le mouvement de Gezi Park en 2013, avec des foules estimées allant jusqu’à deux millions de personnes.
İmamoğlu a annoncé sa candidature à la présidentielle le 27 février 2025. Moins de trois semaines plus tard, l’Université d’Istanbul a annulé son diplôme, invoquant des irrégularités administratives supposées vieilles de plus de trente ans — le rendant ainsi inéligible à se présenter, la Constitution exigeant un diplôme universitaire. Le lendemain, le 19 mars, İmamoğlu a été arrêté avec plus de 100 autres personnes, dont des responsables municipaux et des maires de district. Il est poursuivi pour corruption, pots-de-vin et soutien présumé au groupe de guérilla interdit PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), des accusations liées à la coopération entre le parti d’İmamoğlu, le CHP (Parti républicain du peuple), et le parti pro-kurde DEM (Parti pour l’égalité et la démocratie du peuple) lors des élections locales de 2024. Et ce, malgré la dissolution et le désarmement du PKK en juillet 2025, à la suite d’un processus de réconciliation dans lequel le parti DEM a joué un rôle central.
Depuis l’arrestation d’İmamoğlu, le gouvernement d’Erdoğan a intensifié sa répression contre l’opposition. Lors des élections municipales de 2024, le CHP avait réalisé un score historique en remportant 35 des 81 municipalités — aujourd’hui, près de la moitié des maires du CHP ont été arrêtés ou détenus, aux côtés de dizaines d’autres membres du parti, y compris des hauts responsables, d’anciens députés et l’avocat d’İmamoğlu, toujours en détention. Ces arrestations, souvent fondées sur des accusations vagues de corruption, de crime organisé ou de terrorisme, semblent viser à démanteler l’opposition politique dans son ensemble.
Des manifestations de masse ont éclaté le jour même de la détention d’İmamoğlu. Le mouvement, dirigé principalement par des jeunes étudiants, s’est rapidement étendu au-delà du CHP, recevant un large soutien de la part des groupes d’opposition, de la société civile et de citoyens de tous horizons politiques.
Les autorités ont répondu par une répression agressive, imposant des interdictions de manifester et limitant l’accès à Istanbul. En avril, jusqu’à 2 000 personnes auraient été arrêtées. Les manifestants, majoritairement pacifiques, ont été violemment dispersés à coups de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc ; de nombreux blessés ont été hospitalisés, et des cas de fouilles à nu de femmes détenues ont été signalés. Les personnes arrêtées — principalement des étudiants et parfois des journalistes — ont été jugées dans le cadre de procès collectifs expéditifs, avec des audiences organisées pour des centaines d’accusés simultanément. Elles sont poursuivies pour participation à des manifestations non autorisées, désobéissance aux ordres de la police et incitation à commettre un crime sur les réseaux sociaux. Si elles sont reconnues coupables, elles risquent entre six mois et cinq ans de prison. Depuis le début des manifestations, plusieurs avocats, dont l’ancien président du barreau d’İzmir, ont été arrêtés pour avoir soutenu les manifestants.
La censure s’est intensifiée. Au moins 11 journalistes ont été arrêtés lors de descentes coordonnées à l’aube dans plusieurs villes le 24 mars, pour avoir couvert les manifestations, et au moins 12 autres ont été physiquement agressés par la police. La presse étrangère est également visée : un journaliste de la BBC a été expulsé, et un journaliste suédois arrêté pour des accusations de terrorisme. Il a été détenu pendant sept semaines avant d’être libéré dans l’attente de son procès prévu en septembre. Parallèlement, les internautes à travers la Turquie ont subi une réduction massive de l’accès à Internet pendant 42 heures, limitant fortement l’accès aux réseaux sociaux et aux sites d’information indépendants. Plus de 700 comptes Twitter/X appartenant à des journalistes, activistes et figures de l’opposition ont été bloqués.
La répression s’est poursuivie lors d’événements traditionnellement liés à la contestation. À la veille du 1er mai, la police a arrêté des dizaines de personnes de manière préventive pour empêcher la manifestation annuelle sur la place Taksim d’Istanbul, interdite depuis 2013. Plus de 400 personnes ont été arrêtées dans tout le pays. En juin, la Marche des Fiertés d’Istanbul ainsi que la Marche des personnes trans ont été violemment réprimées par la police. Lors de la Pride, environ 55 activistes, avocats et journalistes ont été arrêtés, dont trois activistes formellement inculpés — les premières arrestations dans l’histoire de la Pride en Turquie. En raison de l’interdiction générale des événements LGBTQI+, certaines personnes ont été arrêtées même dans des lieux non liés, simplement en raison de leur apparence. Avant et après la Marche des personnes trans, 42 participants ont été arrêtés avec violence, dont trois mineurs. Quatre autres personnes, dont un touriste, ont été arrêtées de manière aléatoire dans les environs.
Le 1er juillet, le CHP a marqué les 100 jours depuis l’arrestation des élus d’Istanbul par un rassemblement de masse à Saraçhane. La police est à nouveau intervenue brutalement, utilisant du gaz lacrymogène et arrêtant au moins 42 personnes, parmi lesquelles des étudiants et des journalistes.
ÉTATS-UNIS
Les États-Unis demeurent sur notre liste de surveillance alors que l’attaque contre les libertés civiques se poursuit. Les six premiers mois du second mandat du président Donald Trump ont montré des signes clairs de recul démocratique : concentration du pouvoir entre les mains de l’exécutif, placement de fidèles à des postes clés, musellement des médias indépendants, criminalisation de la dissidence et ciblage de groupes marginalisés.
Dans un climat de polarisation politique intense, les tensions se sont accrues après un acte de violence politique contre des élus du Parti démocrate. Le 14 juin 2025, un assaillant armé a abattu la représentante Melissa Hortman et son époux dans le Minnesota ; tous deux étaient des partisans déclarés de la justice sociale et des droits reproductifs. Dans un incident distinct mais étroitement lié, le même homme armé a traqué et blessé par balles le sénateur de l'État John Hoffman, son épouse et tenté de tirer sur leur fille. Selon le Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), les attaques à motivation politique contre des responsables ont explosé, triplant presque sur les cinq dernières années par rapport aux 25 années précédentes combinées.
La répression des rassemblements pacifiques s’est intensifiée. Depuis début juin 2025, de grandes manifestations pacifiques ont lieu dans tout le pays pour protester contre les pratiques illégales menées par l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), notamment les descentes visant des immigrés sans papiers. Entre le 6 et le 10 juin, plus de 350 manifestants auraient été arrêtés dans cinq villes (Los Angeles, San Francisco, Austin, New York et Dallas).
Le 7 juin, le président Trump a ordonné le déploiement de 700 Marines et de 2 000 membres de la Garde nationale à Los Angeles, marquant une inquiétante escalade de la militarisation et de l’ingérence fédérale contre les communautés migrantes et les manifestants pacifiques. Ce déploiement de 40 jours a soulevé des préoccupations quant à l’utilisation de l’armée pour encadrer des manifestations et soutenir les opérations de l’ICE. Il reflète également les tensions croissantes entre les politiques migratoires fédérales et les juridictions sanctuaires qui cherchent à protéger les migrants contre les expulsions agressives. Le niveau d’affrontement entre manifestants et forces de l’ordre est le plus élevé depuis l’apogée du mouvement Black Lives Matter en 2020.
Les journalistes couvrant les manifestations sont pris pour cible. Le 9 juin, à Los Angeles, la journaliste Lauren Tomasi, correspondante américaine pour 9News en Australie, a été blessée à la jambe par une balle en caoutchouc tirée par la police alors qu’elle couvrait une manifestation anti-ICE. D’autres cas similaires de violences policières envers des journalistes ont été signalés à Los Angeles.
Le 14 juin, la police de Doraville a arrêté le journaliste salvadorien Mario Guevara lors d’une manifestation massive et pacifique intitulée « No Kings » contre le président Trump en Géorgie. Identifié comme membre de la presse et diffusant en direct la manifestation, il a été accusé d’obstruction, de participation à un rassemblement illégal et de marche sur la chaussée. Malgré son statut de résident légal, il a été transféré à la garde de l’ICE, où il reste détenu au moment de la rédaction.
La liberté de la presse est sous pression croissante sous l’administration Trump, avec un harcèlement judiciaire et des coupes budgétaires massives ciblant les médias indépendants. Le 18 juillet 2025, le Congrès a voté une réduction de près de 1,1 milliard USD du budget de la Corporation for Public Broadcasting, mettant en péril PBS, NPR et, surtout, les stations locales. Il s’agit de la première demande présidentielle réussie d’annulation d’un financement pré-approuvé en près de trois décennies, soulève de vives inquiétudes quant au pluralisme des médias.
La loi prévoit également la suppression de milliards de dollars d’aides extérieures précédemment approuvées, affectant les programmes humanitaires, de développement et de santé mondiale, ainsi que le soutien à l’ONU et à ses agences.
La liberté d’association est elle aussi restreinte par une législation étatique récente qui menace la capacité opérationnelle des organisations de la société civile. Depuis avril 2025, la Floride, le Nebraska et l’Arkansas ont adopté des lois contre l’influence étrangère — visant particulièrement la Chine — et ciblant les ONG. Selon le Centre international pour le droit des organisations à but non lucratif (ICNL), la nouvelle vague de projets de loi au niveau des États introduit des dispositions plus larges, notamment des « régimes d’enregistrement de l’influence étrangère et des restrictions sur la sollicitation caritative », ce qui pourrait avoir des répercussions importantes — et souvent involontaires — sur les activités caritatives.
Par exemple, la loi du Nebraska « Foreign Agent and Terrorist Agent Registration Act » (projet de loi 644), promulguée en juin 2025 et effective en octobre, impose des exigences étendues d’enregistrement pour tout « agent » d’une « entité étrangère » provenant d’un pays considéré comme adversaire selon le code fédéral américain (Chine, Cuba, Iran, Corée du Nord, Russie et Venezuela).
En outre, le 4 juillet, le président Trump a officiellement signé la loi « One Big Beautiful Bill Act » (H.R.1), une législation fiscale de 900 pages aux répercussions importantes pour le secteur associatif. Selon le National Council of Nonprofits, certaines dispositions pourraient entraîner une baisse de financement estimée à 81 milliards USD sur la prochaine décennie, limitant ainsi la capacité des organisations à fournir des services essentiels, notamment dans les communautés défavorisées.
Les autorités ont intensifié la répression à l’encontre de ceux qui expriment leur solidarité avec les droits des Palestiniens. Les étudiants et militants d’origine étrangère continuent de faire l’objet de représailles disproportionnées, comme l’illustre le cas de Mahmoud Khalil, un militant étudiant récemment libéré sous caution, poursuivi en justice dans le cadre d’une criminalisation croissante des actions de solidarité. Le ciblage de Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, par le biais de sanctions illégitimes, souligne davantage une tentative plus large de faire taire les voix internationales qui dénoncent le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en Israël et dans les territoires palestiniens occupés.