On constate avec inquiétude une tendance des présidents sortants à garantir leur réélection en excluant intentionnellement leurs adversaires politiques avant les élections.
— ISS (@ISSAfricaFR) April 10, 2021
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Le 11 avril 2021 près de cinq millions de personnes étaient appelées à voter lors de l'élection présidentielle au Bénin, un scrutin controversé et marqué par des tensions, car les réformes électorales introduites en 2019 exigent que les candidats aux postes de président et de vice-président obtiennent les parrainages d'au moins un dixième de tous les membres du Parlement ou des maires (seize représentants). Ce vote s'est tenu après les élections législatives contestées d'avril 2019, auxquelles les partis d'opposition n'ont pas pu participer en raison des exigences strictes du Code électoral de 2018, et les élections municipales d'avril 2020, où un seul parti d'opposition a obtenu une majorité de conseillers dans sept municipalités. Le 27 novembre 2020 la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) a rendu une décision demandant aux autorités du Bénin d'annuler les changements controversés du Code électoral.
À la suite des réformes électorales, seulement trois candidats étaient éligibles à la fonction suprême : le président sortant Patrice Talon, Alassane Soumanou et Corentin Kohoué, ces deux derniers étant relativement inconnus de la population. Les principaux dirigeants de l'opposition sont soit en exil, arrêtés, mis en examen pour divers crimes et délits, ou ont été déclarés inéligibles.
Des manifestations ont éclaté dans tout le pays quelques jours avant le vote, certaines sont devenues violentes et d'autres ont été dispersées par un usage excessif de la force qui a fait au moins deux morts à Savè.
À la fin de la journée électorale la Plateforme électorale des organisations de la société civile, qui avait déployé des observateurs électoraux dans tout le pays, a affirmé que « dans tous les départements, des tentatives de pression, d’intimidation, de menaces, de troubles à l’ordre public, de corruption ou de harcèlement des électeurs ont été observées ».
Sans surprise c'est Patrice Talon qui a remporté l’élection présidentielle. La Commission électorale nationale autonome (CENA) a annoncé les résultats provisoires du scrutin : Patrice Talon a été réélu avec 86,57 % des suffrages exprimés.
Comme nous l'avons indiqué sur le Monitor CIVICUS, les élections législatives d'avril 2019 ont été entachées par des violations de l'espace civique, notamment l'interdiction quasi systématique des manifestations et un recours excessif à la force par les forces de sécurité, y compris de la force meurtrière, qui ont conduit à la mort de plusieurs personnes, à la coupure d'Internet le jour du vote et à des arrestations arbitraires.
#UPDATE One person was killed and six were wounded by gunfire in #Benin on Thursday, a local health official said, after troops cleared protesters in a flashpoint town three days before President Patrice #Talon seeks re-election https://t.co/hCfeBtgnDu
— AFP News Agency (@AFP) April 8, 2021
Liberté de réunion pacifique
Des manifestations de l'opposition ont éclaté quelques jours avant l'élection présidentielle
Des manifestations de l'opposition ont éclaté dans plusieurs villes du pays le 5 avril 2021, notamment dans les fiefs de l'opposition, pour réclamer le départ du président Patrice Talon. Certaines manifestations sont devenues violentes. À Cotonou, des manifestants ont brièvement occupé la Place de l'Étoile-Rouge le 5 mars 2021 au soir et ont brûlé des pneus avant d'être dispersés par les forces de sécurité. À Parakou et Tchaourou, des manifestants ont érigé des barrages routiers et la station de radio Urban FM de Parakou a été vandalisée et incendiée (Cf. Liberté d'expression). On a signalé des dégâts matériels, notamment concernant les biens d'hommes politiques qui soutiennent le Gouvernement.
Au moins deux personnes ont été tuées et d’autres ont été blessées à Savè, dans le centre du Bénin, après le déploiement de l'armée dans cette commune le 8 avril 2021 pour démolir le barrage routier des manifestants sur l'autoroute qui relie Savè, Tchaourou et Parakou. Les militaires auraient utilisé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles.
Les leaders de l'opposition ont appelé à la mobilisation pour dénoncer l'exclusion des principaux leaders de l'opposition de l’élection présidentielle.
Liberté d'expression
Mise à sac d'une station de radio
Des individus non identifiés, qui seraient des manifestants anti-Talon, ont saccagé et pillé le siège d'Urban FM à Parakou dans la nuit du 5 au 6 avril 2021. Cette station de radio privée appartient à Charles Toko, maire-adjoint de Parakou. Selon Angelo Ahouanmangnan, le promoteur de la radio, les auteurs ont « tout vandalisé à leur passage : studios, régie, bureaux et l’ensemble du matériel technique et informatique ». La station de radio a repris ses émissions le 12 avril 2021.
Le Groupe de travail de l'ONU conclut que l'arrestation du journaliste d'investigation Ignace Sassou a été arbitraire
En octobre 2020, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a rendu un avis concluant que la détention du journaliste d'investigation Ignace Sassou s’est faite de manière arbitraire. Le Groupe de travail a ajouté que le procès de Sassou n'a pas été équitable, que sa condamnation ne repose sur aucune base légale et qu'elle résulte de l'exercice de la liberté d'expression du journaliste. Le Groupe de travail a également critiqué le Code du numérique de 2018, en vertu duquel Sassou a été condamné, car il contient de nombreuses dispositions aux formulations ambiguës assorties de lourdes sanctions pénales susceptibles de nuire à l'exercice des droits de l'homme. Assagne Diagne de Reporters sans frontières (RSF) s'explique :
« Nous exhortons l’État béninois à veiller à ce qu’une enquête approfondie et indépendante soit menée sur les circonstances de la privation arbitraire de liberté du journaliste, et à prendre les mesures qui s’imposent contre les responsables de la violation de ses droits. Nous l’appelons également à mettre le Code du numérique en conformité avec le droit international, afin qu’il ne soit plus utilisé pour arrêter, condamner et détenir arbitrairement un journaliste. Enfin, nous demandons à la Cour suprême l'invalidation du jugement et des condamnations prononcées lors des deux procès. »
Comme nous l'avons signalé dans le Monitor CIVICUS, le 20 décembre 2019 des agents de l'Office central de répression de la cybercriminalité (ORCR) ont arrêté le journaliste d'investigation et rédacteur en chef de la chaîne d'information numérique Bénin Web TV Ignace Sossou à son domicile à Cotonou. Le journaliste a été interrogé dans les bureaux de l'ORCR au sujet de ses publications sur Twitter et Facebook citant le procureur Mario Metonou lors d'un atelier pour les médias sur les fausses nouvelles qui s'est tenu le 18 décembre 2019. Quelques jours plus tard, le 24 décembre 2019, un tribunal béninois a condamné Sossou à une peine de prison de dix-huit mois et à une amende de 200 000 francs CFA (335 USD) pour « harcèlement par le biais de moyens de communication électronique » en vertu du Code du numérique de 2018. Plus tard cette peine a été ramené à douze mois de prison, dont six avec sursis, et l'amende a été porté à 500 000 francs CFA. Selon le groupe pour la liberté des médias Reporters sans frontières (RSF), qui a comparé la publication sur les réseaux sociaux et la transcription publiée par l'organisateur de l'atelier, « le journaliste a repris mot à mot le procureur, à quelques exceptions près, sans aucunement détourner le sens du message exprimé ».
Liberté d'association
Arrestations de membres de l'opposition
Selon Amnesty International, au moins douze membres de l'opposition et détracteurs du Gouvernement ont été convoqués, placés en détention, mis en examen ou condamnés depuis janvier 2021. Parmi eux :
- l'opposant du parti Les Démocrates (LD) Bio Dramane Tidjani et son collaborateur Mamadou Tidjani, qui ont été mis en examen le 1er mars 2021 pour « association de malfaiteurs et terrorisme » et ont été placés en détention provisoire selon leur avocats ;
- le membre du LD Abdoul Razak Amadou, qui a été condamné à six mois de prison, dont quatre avec sursis, pour « incitation à la violence et à la rébellion ». Selon Amnesty International, Razak Amadou était accusé d'avoir diffusé une publication sur WhatsApp. Il a été remis en liberté le 25 mars 2021 ;
- Rékiatou Madougou du LD, qui a été arrêtée le 3 mars 2021 à Porto Novo. Par le passé on l'avait empêchée de se présenter à l'élection présidentielle. Elle a été accusée de « financement du terrorisme ». Plus tard, un magistrat de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) a affirmé que la Cour avait reçu des « instructions » du pouvoir politique et qu'elle n'est pas indépendante ; des affirmations que le parti au pouvoir a qualifié de manipulation politique.
Plus récemment, le 16 avril 2021, l'universitaire Joël Aïvo, dont la candidature aux élections présidentielles a été rejetée, a été arrêté à Cotonou, apparemment pour les manifestations et les troubles qui ont précédé les élections. Aïvo aurait été accusé de « porter atteinte à la sûreté de l'État » et de « blanchiment de capitaux ». Son procès débutera le 15 juillet 2021.