Le 24 mai 2021, des membres des forces armées ont arrêté le président de la transition Bah Ndaw et le premier ministre Moctar Ouane dans le cadre « d'un coup d'État dans le coup d'État ». La manœuvre, initiée par le vice-président et leader du coup d'État de 2020 Assimi Goïta, s'est produite à la suite de l'annonce d'un remaniement ministériel. Goïta a accusé Ndaw et Ouane d'avoir violé la charte de la transition en ayant omis de le consulter au préalable. Paradoxalement, la charte de la transition ne donne pas au vice-président le pouvoir de limoger le président ni le premier ministre.
Les observateurs ont signalé que ce dernier coup d'État révèle « le pouvoir absolu dont jouit la junte d'août 2020, qui a dirigé le pays derrière la façade d'une transition civile ».
En octobre 2021, les dirigeants de la transition ont annoncé qu'ils ne seraient pas en mesure d'organiser des élections présidentielles et législatives en février 2022 en invoquant des raisons de sécurité. Ces scrutins auraient marqué la fin de la période de transition de dix-huit mois après le coup d'État de 2020. Cette annonce a conduit la CEDEAO à imposer une nouvelle série de sanctions. Les Assises nationales de la refondation se tiendront du 20 au 26 décembre 2021 et fixeront une nouvelle date pour ces élections, selon les autorités.
Un rapport de l'expert indépendant des Nations Unies sur les droits de l'homme au Mali, Alioune Tine, qui a visité le pays du 26 juillet au 6 août 2021, indique que la situation des droits de l'homme au Mali continue de se détériorer : on a reporté des violations des droits de l'homme, telles que des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et autres types de meurtres ; des blessures volontaires, des enlèvements, des disparitions forcées, des arrestations ou détentions illégales, y compris des détentions prolongées et des violations des garanties procédurales, des actes de torture ou autres traitements inhumains ; ainsi que de nombreux cas de déplacements massifs et forcés de civils, des menaces de mort, des actes d'intimidation, de pillage et de destruction de biens. Selon l'expert, ces violations sont perpétrées par des acteurs étatiques et non-étatiques, comme les forces de défense et de sécurité maliennes et internationales, les autorités judiciaires, les groupes armés signataires de l'Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, les groupes armés communautaires appelés unités d'autodéfense, ainsi que le Jama'at Nusrat al -Islam wal Muslimin (JNIM), l'État islamique du Grand Sahara (EIGS), et d'autres groupes similaires dans les régions du nord, du centre et du sud du pays.
Liberté de réunion pacifique
Manifestations de soutien à la junte militaire
Le 22 septembre 2021, des milliers de personnes ont défilé à Bamako pour montrer leur soutien au gouvernement de la transition sous contrôle de l'armée. La manifestation avait été convoquée par le mouvement Yerewolo — Debout sur les remparts, qui demande la fin de l'ingérence et des pressions étrangères au Mali — en particulier de la France et de la CEDEAO — et privilégie une coopération militaire avec la Russie. Les autorités de la transition sont en discussion avec la société militaire privée Wagner Group, une organisation controversée d'origine russe, afin qu'elle les aide à combattre les groupes djihadistes armés dans le pays. Ce projet a divisé les opinions et a suscité une condamnation internationale, notamment de la part des autres pays du G5 Sahel, de la France, de la CEDEAO et des États-Unis. Le 29 octobre 2021, des centaines de personnes ont à nouveau manifesté.
Manifestation contre l'insécurité
Le 26 mars 2021, des dizaines de personnes se sont rassemblées à Bamako pour protester contre l'insécurité croissante dans le nord et le centre du Mali et contre l'intervention de militaires étrangers, en particulier français. La manifestation s'est déroulée sans incidents. Les manifestations contre la présence des troupes françaises sont fréquentes, comme nous l'avons signalé sur le Monitor CIVICUS. L'opération anti-insurrectionnelle « Barkhane », lancée le 1er août 2014, est une intervention militaire française dont l'objectif est de soutenir les pays du G5 Sahel — le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad — dans leur lutte contre les groupes armés islamistes dans la région du Sahel. Les troupes françaises travaillent aux côtés de la force conjointe antiterroriste du G5 Sahel, créée en juin 2017, et de la mission de maintien de la paix de l'ONU au Mali, la MINUSMA.
Grèves
L'Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), le principal syndicat malien, a convoqué plusieurs grèves. Le 14 décembre 2020, elle a appelé à une grève de cinq jours, après une autre grève trois mois plus tôt. Du 17 au 21 mai 2021 s'est tenue une grève générale à l'appel de l'UNTM, elle a été très suivie et le syndicat a appelé à une deuxième semaine de grève le 24 mai. Cependant, ce dernier mouvement social a dû être suspendu le 26 mai en raison du coup d'État qui s'est produit le 24 mai.
L'UNTM réclame une amélioration des conditions de travail des travailleurs au Mali, notamment l'harmonisation des salaires, des primes et des indemnités.
Des rapports détaillent la répression des manifestations en 2020
L'armée malienne a déclaré que le coup d'État s'était déroulé sans effusion de sang pourtant, nous avons recensé le cas de 4 personnes tuées par balles.
— Amnesty West & Central Africa (@AmnestyWARO) April 23, 2021
Notre nouveau rapport revient sur les morts liées aux manifestations et le coup d'État en 2020. https://t.co/KedaJGe8sL pic.twitter.com/TpXu9r33kZ
En avril 2021, l'organisation de défense des droits de l'homme Amnesty International a publié un rapport sur le recours à la force meurtrière par les forces de sécurité lors des manifestations antigouvernementales de masse qui ont débuté en mai 2020. L'organisation a documenté plusieurs cas d'utilisation de la force létale par les forces de sécurité lors des manifestations qui se sont déroulées entre mai 2020 et le 18 août 2020, jour du coup d'État militaire. Ces agissements ont entraîné la mort d'au moins dix-huit personnes, dont une à Sikasso, trois à Kayes et quatorze à Bamako. Il y avait des passants parmi les victimes, et des dizaines de personnes ont été blessées par des armes à feu.
Le 6 mai 2020, des manifestations spontanées ont éclaté à Sikasso après que la Cour constitutionnelle a annoncé les résultats des élections législatives, infirmant ainsi les résultats provisoires de la circonscription qu'avait communiqués le ministre de l'Administration territoriale. Les partisans des candidats battus ont érigé des barricades et perturbé la circulation, ce qui a entraîné le déploiement des forces de sécurité et des affrontements entre les manifestants et la police. Cinq personnes ont été grièvement blessées et un manifestant a succombé à ses blessures quelques jours plus tard. Bien que les autorités aient nié l'usage de balles réelles, des témoins affirment qu'il a eu des coups de feu.
À Kayes, des manifestations spontanées, et parfois violentes, ont éclaté après qu'un policier qui n'était pas en service a tué un jeune homme de dix-sept ans le 11 mai 2020. Des policiers ont fait usage de la force pour tenter de disperser les manifestants et ont tiré à balles réelles. Deux autres personnes, dont un enfant de douze ans, ont été tuées. Début mai 2020 ont eu lieu des manifestations contre le couvre-feu à Kayes, parfois mêlées à la contestation des résultats des élections législatives.
À Bamako, des manifestations anti-gouvernementales organisées par le Mouvement du 5 juin — Rassemblement pour le Mali (M5-RPM) ont eu lieu en juin et juillet 2020, comme nous l'avons signalé sur le Monitor CIVICUS. Bien que les manifestations du 11 et du 19 juin 2020 aient été autorisées et se soient déroulées sans incident, celles du 10 au 13 juillet 2020 ont été réprimées avec sévérité par les autorités et ont parfois tourné à la violence. Selon Amnesty International, au moins quatorze personnes ont été tuées et des dizaines ont été blessées, la majorité des blessures résultant d'un recours excessif à la force par les forces de sécurité, qui ont également utilisé des balles réelles à certains moments.
Des conclusions similaires apparaissent dans un rapport de la MINUSMA publié en décembre 2020. Ce document fait état « d'exécutions sommaires et extrajudiciaires » et « d'un usage disproportionné de la force » par différentes composantes des forces de sécurité — gendarmerie, police, garde nationale et FORSAT, une unité antiterroriste de la police. Selon le rapport, au moins 200 personnes, dont des enfants, ont été détenues illégalement à Bamako, et l'accès à Internet a été fortement limité. Les violences des manifestants ont fait une centaine de blessés parmi les policiers et ont abouti à des actes de vandalisme et de pillage, ainsi qu'à la destruction de biens publics et privés.
⚡️#Mali🇲🇱: après des années d'indifférence et de silence, l'arrestation de l'ex-patron des services de renseignements dans le cadre de la disparition de Birama Touré en 2016 constitue un tournant. RSF s'en félicite et demande l'arrestation de tous les suspects dans cette affaire. pic.twitter.com/fCwVuvdi1h
— RSF (@RSF_inter) July 29, 2021
Liberté d'expression
Arrestation dans le cadre de la disparition d'un journaliste en 2016
En juillet 2021, le général Moussa Diawara, ancien chef de la Direction générale de la sécurité de l'État (DGSE), a été arrêté sur des accusations d'enlèvement, de détention illégale et de torture du journaliste d'investigation Birama Touré, qui a été vu pour la dernière fois le 29 janvier 2016. Une enquête de Reporters sans frontières (RSF) sur la disparition du reporter du Sphinx a révélé que Touré a été arrêté clandestinement et est resté détenu au secret pendant plusieurs mois dans une prison secrète de la sécurité de l'État. En déclarations à RSF, un codétenu a affirmé que Touré avait été exécuté de plusieurs coup de feu fin 2016. Au moment de sa disparition, Touré aurait enquêté sur une relation amoureuse de Karim Keïta, fils de Ibrahim Boubacar Keïta, président à l'époque. Un mandat d'arrêt international a été émis à l'encontre de Karim Keïta, qui a fui en Côte d'Ivoire après le coup d'État militaire qui a chassé son père en août 2020.
Le 5 août 2021, le journaliste Abdoul Niang a été arrêté, placé sous mandat de dépôt et accusé d'appartenance à une « association de malfaiteurs » dans le cadre de l'enquête sur la disparition de Birama Touré. Selon les médias, certaines sources ont indiqué que son arrestation est liée aux remarques qu'il a faites à propos de l'affaire. Il a été remis en liberté le 4 novembre 2021.
Enlèvement d'un journaliste
Le 8 avril 2021, l'organisation djihadiste affiliée à Al-Qaeda Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans(Jamaa Nusrat al-Islam wal-Muslimin, JNIM) a enlevé le journaliste français Olivier Dubois à Gao. Dubois a travaillé comme indépendant pour Le Point, Jeune Afrique et Libération et s'était rendu à Gao pour interviewer Abdallah Ag Albakaye, un lieutenant du groupe djihadiste. Plusieurs organisations de presse ont condamné l'enlèvement et de multiples manifestations ont eu lieu à Bamako et à Paris pour réclamer sa libération sous le slogan #FreeOlivierDubois.
Liberté d'association
🇲🇱 #Mali: Charges against journalist Mohamed Bathily (aka Ras Bath) and co-defendants still detained after court freed them must be dropped – UN experts say there seems to be political motivations in the handling of this case.
— UN Special Procedures (@UN_SPExperts) April 8, 2021
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Le journaliste radio et militant Mohamed Youssouf Bathily, également connu sous le nom de Ras Bath, a été arrêté le 21 décembre 2020, en même temps que quatre hauts fonctionnaires et administrateurs d’entités publiques et parapubliques. Tous les cinq ont été accusés de fomenter un coup d'État. Il s'agit de Vital Robert Diop, Souleymane Kansai, Mahamadou Koné et Aguibou Tall ; ils ont été conduits au siège de la Direction générale de la sécurité de l'État pour y être interrogés. Les cinq ont été détenus au secret pendant plusieurs jours, jusqu'à ce qu'ils soient placés en état d'arrestation de manière officielle pour « conspiration contre le gouvernement » et « conspiration criminelle ». En plus de ces chefs d'accusation, Ras Bath a aussi été accusé d'« injures au chef de l'État ». Une sixième personne a été arrêtée, mais elle a été relâchée quelques jours plus tard. Dans les documents de la procédure judiciaire l'ancien premier ministre Boubou Cissé est décrit comme l'architecte du complot, mais il n'a pas été arrêté, car on ignore où il se trouve. Il y a eu des irrégularités, comme la réaffectation des juges chargés de l'affaire, après que l'avocat général de la chambre d'accusation de l'époque ait recommandé l'annulation de la procédure pour manque de preuves en février 2021.
Le 2 mars 2021, la Cour d'appel de Bamako a rejeté l'affaire, pour manque de preuves et a ordonné la libération des cinq détenus. Le 19 avril 2021, après un appel du procureur général, la Cour suprême a finalement décidé d'abandonner les poursuites.
Dans un communiqué du 8 avril 2021, l'expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme au Mali, le rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression et le rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats ont déclaré que ces arrestations ont été « effectuées sans l’implication d’aucune autorité judiciaire et en dehors de tout cadre légal » et que le maintien en détention des accusés pourrait s'apparenter à du harcèlement judiciaire.
Le 6 mai 2021, Ras Bath a de nouveau été arrêté à son domicile et a été interrogé en raison d'une plainte pour outrage à magistrat déposée par deux syndicats de magistrats maliens. Ces plaintes découleraient des commentaires faits par Ras Bath lors d'une émission de radio, où il aurait accusé le procureur et le juge d'avoir ignoré les procédures légales et d'avoir « tordu la loi ». Il a été placé sous mandat de dépôt le 7 mai 2021. Le militant a été libéré sous caution le 15 juin 2021 et a été condamné le1er septembre 2021 à une peine de prison d'un an avec sursis et à une amende.
Le 29 septembre 2020, le militant contre la corruption et membre de la Plateforme contre la corruption et le chômage Clément Dembelé a été acquitté de toutes les charges. Huit agents armés de la Direction générale de la sécurité de l'État avaient enlevé Dembelé le 9 mai 2020 et l'ont détenu illégalement pendant douze jours, jusqu'au 21 mai 2020, date à laquelle il a été mis en liberté provisoire. Il était accusé d'« incitation aux forces de défense et de sécurité afin de les détourner de leurs devoirs et de l’obéissance qu’ils doivent à leurs chefs ». Cette détention illégale et ces mises en examen font suite à l'appel lancé par le militant aux agents de sécurité le 8 mai 2020, sur Facebook, pour qu'ils mettent fin aux violences contre les manifestants à Sikasso.