RÉFORME CONSTITUTIONNELLE CONTROVERSÉE : DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES PRÉVUES LE 29 AVRIL 2024
Le 25 mars 2024, l'Assemblée nationale a adopté une nouvelle Constitution qui fera passer le pays d'un système semi-présidentiel à un système parlementaire. Désormais, l’élection directe du président est abolie et ce seront les députés qui seront chargés de le nommer. La réforme constitutionnelle avait ravivé les tensions politiques et s'est heurté à la réaction de la société civile et des groupes d'opposition, qui ont accusé les autorités de l'utiliser pour maintenir le président Faure Gnassingbé au pouvoir. Dans ce contexte, les autorités ont interdit plusieurs rassemblements et manifestations de l'opposition et de la société civile.
Les élections législatives et régionales se tiendront le 29 avril 2024. Elles devaient avoir lieu le 20 avril, mais ont été reportées en raison de la réforme constitutionnelle contestée, afin de faciliter des consultations sur la nouvelle Constitution.
Mewenemesse was arrested on March 26 and charged on March 28 with spreading false news and various anti-state charges in connection to a February 28 La Dépêche report that questioned the findings in a murder trial of an army officer. https://t.co/axq1NLrKc2
— CPJ Africa (@CPJAfrica) April 11, 2024
Earlier in March,…
LIBERTÉ D'EXPRESSION
ARRESTATION D'UN JOURNALISTE ET SUSPENSION D'UN JOURNAL
Le 26 mars 2024, des agents de la Brigade de recherches et d'investigations ont arrêté Apollinaire Mewenemesse, rédacteur en chef du journal La Dépêche, après qu'il s'est présenté à une convocation. Deux jours plus tard, un juge d'instruction de Lomé a inculpé le journaliste de sept chefs d'accusation, dont « conception et publication de nouvelles fausses » dans le but d’inciter « la population ou l’armée à se soulever contre l’État » et « atteinte à l’honneur, à la dignité et à la considération du président de la République ». Le 9 avril 2024, un tribunal de Lomé l'a mis en liberté provisoire et l'a placé sous contrôle judiciaire. Son passeport lui a été confisqué et il lui a été interdit de quitter le territoire du grand Lomé sans autorisation et de faire des déclarations sur la procédure dont il fait l'objet.
Ces accusations portent sur un article publié dans le journal La Dépêche le 28 février 2024 dans lequel ont été remises en question les conclusions du tribunal qui a jugé le chef de l'armée, le général Abalo Kadangha, ainsi que sa condamnation pour la mort suspecte du lieutenant-colonel Bitala Madjoulba, une figure du cercle rapproché du président Faure Gnassingbé.
Le journal avait été suspendu le 4 mars 2024 pour trois mois par la Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication pour « incitation à la haine tribale » et « incitation à la révolte populaire » entre autres accusations.
SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE DE JOURNALISTES
Dans un communiqué publié en janvier 2024, Reporters sans frontières (RSF) affirme avoir trouvé des traces de logiciels espions caractéristiques du logiciel espion Pegasus dans les portables de deux journalistes poursuivis pour diffamation par un ministre du gouvernement. RSF a identifié au moins 23 intrusions du 1ᵉʳ février au 10 juillet 2021 dans l'un des téléphones utilisés par le journaliste Loïc Lawson, éditeur du Flambeau des démocrates. Des infiltrations similaires ont été constatées dans le portable du journaliste indépendant Anani Sossou, ciblé par un logiciel espion quelques mois plus tard. Comme nous l'avons signalé, les deux journalistes avaient été arrêtés le 13 novembre 2023 et accusés de « diffamation et atteinte à l'honneur » du ministre de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la Réforme foncière, ainsi que d'« incitation à la révolte » en raison de tweets qu'ils avaient publiés à propos d'un cambriolage au domicile du ministre. Bien qu'ils aient été mis en liberté provisoire le 1ᵉʳ décembre 2023, ils sont toujours poursuivis pour ces accusations.
Comme nous l'avons signalé, en juillet 2021, l'enquête journalistique Projet Pegasus, portant sur la fuite d’une liste massive comportant plus de 50 000 numéros de téléphone et les noms de cibles potentielles de surveillance, a révélé parmi eux la présence de plus de 300 numéros et noms de cibles potentielles togolais, notamment des journalistes, des militants et des membres de l'opposition politique.
#TOGO : article d’Amnesty International après les interdictions à des organisations de la société civile et à des partis politiques de se réunir pour exprimer leur opposition au changement de constitution. #SansNousConsulter https://t.co/DkAUyTVR2g
— Abra (@charlotteGB) April 13, 2024
Liberté de réunion pacifique
INTERDICTION ET DISPERSION DES RÉUNIONS DE L'OPPOSITION ET DE LA SOCIÉTÉ CIVILE
Après l'adoption des modifications constitutionnelles controversées, les autorités ont interdit plusieurs réunions, notamment des conférences de presse, organisées par la société civile et par les partis d'opposition, et ont dispersé les participants qui ont tenté de se rassembler.
Le 27 mars 2024, les autorités ont interdit ou dispersé au moins deux réunions à Lomé et une à Tsévié.
Dans la capitale, des gendarmes auraient intimidé les responsables des locaux dans lesquels devait se tenir une conférence de presse convoquée par plusieurs organisations de la société civile et partis politiques d'opposition pour annoncer la création de la coalition « Touche pas à ma Constitution » contre les modifications constitutionnelles. Finalement, elle s'est déroulée dans un autre lieu en raison des intimidations. Durant la conférence de presse, des gendarmes ont ordonné aux participants d'évacuer les lieux, affirmant qu’elle n'avait pas été autorisée, et sont allés jusqu'à utiliser des gaz lacrymogènes pour disperser les personnes qui s’y étaient rendues. En déclarations à Amnesty International, des journalistes ont dénoncé avoir été menacés par les agents de sécurité pour qu'ils ne filment pas la suite des événements.
Le même jour, les forces de sécurité ont tenté d'empêcher la tenue d'une autre conférence de presse au centre communautaire de Bé, à Lomé, organisée par des partis politiques d'opposition et des groupes de la société civile. Elle s'est finalement tenue dans un autre lieu.
Les autorités ont interdit divers événements de la société civile, telles que des ateliers. À Tsévié, une localité à 30 km au nord de la capitale, les autorités locales ont empêché la tenue, le 27 mars 2024, d'un atelier de la société civile dans le cadre du projet « Renforcement de la société civile pour la promotion et la protection de la liberté d’association et de réunion au Togo ». Une douzaine de gendarmes se sont présentés à l'hôtel dans lequel se déroulait l'atelier et ont exigé le départ des participants, affirmant que la réunion n'avait pas été autorisée. Les organisateurs auraient également été obligés de fournir une liste des participants. Comme nous l'avons signalé, la cérémonie de lancement du même projet, le 11 octobre 2023, avait aussi été interdite par les autorités locales.
Le 21 février et le 21 mars, le ministère de l’Administration territoriale a interdit au Grand mouvement citoyen pour la refondation du Togo (GMC) l’organisation d’un « café citoyen » au motif que la formation n’avait « aucune base légale ».
LES AUTORITÉS INTERDISENT DEUX MANIFESTATIONS DE L'OPPOSITION CONTRE LA RÉFORME CONSTITUTIONNELLE
Le 8 avril 2024, le ministre de l'Administration territoriale a interdit deux manifestations, organisées par un groupe de partis d'opposition contre l'adoption de la nouvelle Constitution les 12 et 13 avril 2024, à Lomé. Pour justifier sa décision, il a invoqué des risques de trouble à l'ordre public et le non-respect du délai pour la demande d'autorisation par les organisateurs.
Dans la nuit du 11 au 12 avril 2024, des agents de police ont été postés au rond-point Bè-Gakpoto, point départ de la manifestation.
ARRESTATION DE MEMBRES DE L'OPPOSITION DURANT DES ACTIVITÉS DE SENSIBILISATION
Neuf membres du parti d'opposition Dynamique Mgr Kpodzro (DMK) ont été arrêtés le 3 avril 2024 au marché d'Akodésséwa, à Lomé, alors qu'ils sensibilisaient la population à la réforme constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale, qu'ils jugent « illégale ». Ils auraient été en train de déplier une banderole au moment de l'arrestation. Trois d'entre eux ont été libérés le 5 avril 2024 et une enquête judiciaire a été ouverte contre les six autres pour « troubles aggravés à l'ordre public ». Ces derniers ont été remis en liberté le 9 avril 2024.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
PROJET DE LOI SUR LES ASSOCIATIONS
Le 12 janvier 2024, le Conseil des ministres a approuvé un projet de loi sur les associations. Une fois adopté, le texte, qui contient des restrictions injustifiées, remplacera la loi française sur les associations de 1901, rendue applicable au Togo par le Décret 46-432 du 13 mars 1946. Depuis de nombreuses années, les acteurs civiques ont signalé les lacunes de la loi sur les associations de 1901 et la nécessité de la remplacer.
Cependant, dans une déclaration publiée le 22 janvier 2024, plusieurs OSC ont exprimé leur inquiétude quant aux « anomalies et manquements sur la forme et sur le fond » du projet de loi, notamment l'absence de consultation de la société civile durant le processus législatif.
En novembre 2021, huit organisations de la société civile (G8) avaient déjà indiqué que certaines dispositions du projet de loi constituaient une menace pour la liberté d'association, la liberté d'exercice du droit syndical et le droit à la négociation collective.