#Niger des militants sont détenus pour avoir organisé une manifestation . Certaines des charges contre eux sont forgées de toutes pièces dans le but de saper leur lutte pacifique en faveur de l'obligation de rendre des comptes. https://t.co/PVLhiC4Fia pic.twitter.com/ExtewYN8ZB
— Dɔnnin Dɔngoman (@Kinefatimdiop) April 1, 2020
Liberté d'association et de réunion pacifique
Dispersion de la manifestation de la société civile contre la corruption et arrestation de huit militants
Le 15 mars 2020 la police a dispersé une manifestation organisée par des agents de la société civile à Niamey afin de dénoncer une affaire de corruption concernant l'achat de matériel militaire. Au lendemain la police a procédé à l'arrestation de plusieurs agents de la société civile y ayant participé. La manifestation avait été proscrite par une décision du Conseil des ministres prise le 13 mars 2020 interdisant les rassemblements publics de plus de mille personnes dans le cadre de mesures visant à empêcher la propagation du COVID-19. Cette manifestation avait été convoquée par le mouvement pro-démocratie Tournons la page Niger qui en avait informé les autorités. Or, n'ayant reçu aucune notification officielle concernant l'interdiction des manifestations, il a donc décidé de maintenir la tenue de marche comme prévu. Le jour de la manifestation des forces de sécurité ont été déployées sur toutes les routes menant à la Place de la Concertation, lieu de départ de la manifestation. De violents affrontements ont éclaté entre les manifestants et les forces de sécurité. Ces derniers auraient utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants. Trois personnes sont mortes dans un incendie au marché de Tagabati et certaines sources affirment que des gaz lacrymogènes employés par les forces de sécurité seraient à l'origine de l'incendie du toit du marché.
Au moins quinze personnes, dont huit militants de la société civile, ont été arrêtées par les autorités entre le 15 et le 17 mars 2020 pour avoir pris part à une manifestation non autorisée. Cette détention concerne les militants et dirigeants de la société civile suivants : le secrétaire général de l'ONG Alternative espaces citoyens Moussa Tchangari, le secrétaire général du syndicat SYNACEB Halidou Mounkaila, le coordinateur des communications de Tournons la page Niger Habibou Soumaila, le coordinateur régional de Tournons la page Moudi Moussa, le coordinateur des campagnes de Tournons la page Niger Maikoul Zodi, le président du Syndicat des commerçants importateurs et exportateurs du Niger Sani Chekaraou, Karim Tonko de l'Union des jeunes pour la protection de la démocratie et des droits de l'homme (UJPDDH) et le président du Mouvement patriotique pour une citoyenneté responsable (MPCR) Seyni Djibo Nouhou Arzika.
Ces défenseurs des droits de l'homme sont poursuivis pour organisation d'une manifestation interdite, complicité dans la destruction de biens publics, incendie volontaire et homicide involontaire, à l'exception de Sani Chekaraou, qui est poursuivi pour « agression contre les autorités du grand marché ». Karim Tonko et Seyni Djibo Nouhou Arzika ont été remis en liberté sous caution le 19 mars 2020, mais ils font toujours face à plusieurs chefs d'accusation.
Dans un communiqué, Tournons la page et des dizaines d'autres organisations de la société civile ont exprimé leurs préoccupations et ont condamné le harcèlement judiciaire de ces membres de la société civile et journalistes (voir rubrique Expression).
« [Nous sommes inquiets] face à la montée croissante de la répression de la société civile au Niger et à l’instrumentalisation des risques liés à la pandémie du COVID-19. Ils sont utilisés pour asphyxier l’espace civique en ligne et hors ligne, notamment les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique, d’association et de participation politique garantis par les conventions internationales et par la Constitution du Niger. »
📝📢 Lisez notre dernier rapport sur la restriction du droit de manifester au #Niger.
— Tournons la Page (@TournonsLaPage) March 24, 2020
"#Niger - Quand l’antiterrorisme justifie la restriction de l’espace civique" https://t.co/EZ2dQrZbS1 pic.twitter.com/4qI6i0tgqS
Rapport: interdiction presque systématique des manifestations de la société civile depuis début 2018
Dans le rapport « Niger, quand l'antiterrorisme justifie la restriction de l'espace civique » publié en mars 2020, le mouvement pro-démocratie Tournons la page (TLP) documente l'interdiction quasi systématique des manifestations de la société civile par les autorités locales depuis début 2018. La loi 2004-45 du 8 juin 2004, qui régit les rassemblements sur la voie publique, requièrt uniquement que les organisateurs de manifestations informent les autorités locales, tandis que la liberté de réunion pacifique est aussi garantie par la Constitution du Niger. Malgré ces dispositions légales les autorités locales ont interdit les manifestations et les réunions de la société civile en invoquant souvent « des risques de trouble à l'ordre public » ou des raisons de sécurité dans le contexte d'insécurité dû aux attaques terroristes dans le pays. Depuis mars 2018 le mouvement a documenté 24 cas d'interdiction de manifestations. Selon TLP, depuis début janvier 2020 les manifestations de la société civile suivantes ont été interdites :
- Interdiction d’une manifestation et d’une rencontre organisées par Cadre de concertation et d'actions citoyennes de la société civile indépendante de Zinder le 15 mars 2020 à Zinder « afin d'éviter tout risque de trouble de l'ordre public ».
- Interdiction des manifestations des organisations de la société civile CODDAE, MPCR, CROISADE et MJR le 15 mars 2020 à Maradi pour des raisons de sécurité.
- Interdiction des manifestations du syndicat SYNACEB (Syndicat national d'agents contractuels et de fonctionnaires de l'éducation de base) à Zinder, Loga, Niamey, Agadez, Maradi et Dosso le 6 février 2020. Les autorités locales de ces localités ont invoqué des « risques de trouble à l'ordre public » et des raisons de sécurité.
- Interdiction d’une assemblée générale informative du SYNACEB à Tahoua prévue pour le 6 février parce qu'elle était « susceptible de troubler grièvement l'ordre public ».
- Interdiction d'une réunion de l'Union des Patriotes et Panafricanistes le 19 janvier 2020 à Niamey en raison de « risques de trouble à l'ordre public ».
Le Niger et d'autres pays de la région du Sahel comme le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie et le Mali ont connu une recrudescence de la violence et des attaques terroristes au cours de ces dernières années. Plusieurs groupes armés opèrent dans certaines parties du Niger, dont Boko Haram dans la région du lac Tchad et l'État islamique dans le Grand Sahara dans les zones frontalières avec le Mali et le Burkina Faso. Ces groupes perpètrent des attaques meurtrières contre des civils et contre les forces de sécurité.
In #Niger, @ToudaKaka usually reports on national security, but on March 4 he posted about a suspected #COVID19 case at his local hospital.
— Jonathan Rozen (@Rozen_J) March 24, 2020
The next day he was arrested by police and faces prosecution for cybercrime.
Cc: @AmnestyWARO, @TournonsLaPage https://t.co/0pRJUo2Neg
Liberté d'expression
Pandémie de COVID-19 : un journaliste arrêté et plusieurs journalistes convoqués
Le 5 mars 2020 la police a arrêté le journaliste indépendant Kaka Touda Mamane Goni à son domicile à Niamey. Selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), qui s'est entretenu avec le procureur à propos de l'affaire, l'arrestation fait suite à la plainte d'un hôpital local concernant les publications du journaliste sur les réseaux sociaux. Dans celles-ci le journaliste aurait affirmé l'existence d'un cas suspect de COVID-19 dans le centre. Le procureur a formulé des accusations pour « diffusion de données de nature à troubler l’ordre public » en vertu de la loi sur la cybercriminalité de 2019. S’il est reconnu coupable, Kaka Touda pourrait encourir jusqu’à trois ans d’emprisonnement et une amende pouvant atteindre cinq millions de francs CFA (8169 USD ) selon la loi sur la cybercriminalité. Angela Quintal du CPJ s'indigne :
« Kaka Touda Mamane Goni et tous les autres journalistes Nigériens devraient être libres de couvrir l’épidémie de COVID-19 sans craindre d’être jetés en prison. Les autorités nigériennes doivent immédiatement libérer Kaka Touda, veiller à ce qu’il bénéficie de soins médicaux appropriés et abandonner les poursuites à son encontre. Les autorités ne doivent pas confondre la censure et la détention d’un journaliste avec des mesures prudentes de sécurité publique dans le cadre de leur réponse au coronavirus. »
Kaka Touda a été condamné à une peine de prison avec sursis de trois mois et à une amende symbolique de un franc CFA le 26 mars 2020.
Amnesty International signale que le 14 mars 2020 la police judiciaire a convoqué un journaliste et le rédacteur en chef de la chaîne de télévision Labari à propos d'une interview avec le vétérinaire Zoulkarneyni Maiga concernant le COVID-19. Maiga a aussi été convoqué et remis en liberté le 16 mars.