CONTEXTE
Le 13 septembre 2024, le président Bassirou Diomaye Faye a dissous l'Assemblée nationale sous contrôle de l'opposition, ouvrant ainsi la voie à des élections législatives anticipées le 17 novembre. Depuis, le nombre de convocations de personnalités politiques et d'éditorialistes critiques à l'égard des nouvelles autorités a augmenté.
Les groupes Tawawu, PRP, Serviteurs, Arc, Agir et Gueum Sa Bopp ont uni leurs forces et se sont présentés aux élections législatives sous la bannière de la coalition Samm Sa Kaddu. D'autre part, les membres de l'alliance électorale Sàmm Sa Kàdd ont critiqué le harcèlement que subissent les journalistes et ont déploré cette haine de la contestation. La coalition a exprimé sa volonté de présenter une « proposition de loi visant à abroger la loi d'amnistie concernant les événements liés aux manifestations entre février 2021 et février 2024 ».
Le 2 octobre 2024, Bougane Guèye Dany, chef de file de Gueum Sa Bopp, a été placé en garde à vue pour diffusion de fausses nouvelles. Il est accusé d'avoir mis en cause les chiffres communiqués par le premier ministre Ousmane Sonko lors de sa conférence de presse sur la situation économique du pays. Il a été remis en liberté le lendemain. Le 7 octobre 2024, après que l'agence de notation Moody's a abaissé la note du Sénégal, Bougane Guèye Dany s'est exprimé sur son compte Facebook : « La détérioration de l'image du pays résulte de six mois de décisions peu réfléchies et d'amateurisme », a-t-il fustigé. Il a été arrêté 19 octobre 2024, alors qu'il se dirigeait vers Bakel, en compagnie d'autres personnalités de l'opposition, pour rendre visite et apporter leur soutien aux victimes des inondations qui venaient de perdre leurs logements. Le convoi a été intercepté par la Gendarmerie nationale et un échange musclé s'en est suivi. Les agents ont relaté que le cortège avait forcé un barrage routier mis en place pour laisser passer le convoi du président Bassirou Diomaye Faye, également en visite dans la région. Bougane a été arrêté pour rébellion et refus d’obtempérer. Plus tard, il a également été accusé d'outrage à agent. Il a été entendu par le procureur de la République dans un tribunal de Tambacounda le 21 octobre et sera jugé le 30 octobre. Son arrestation est intervenue seulement quatre semaines avant les élections législatives anticipées du 17 novembre, auxquelles il concourt comme candidat. La campagne électorale débutera le 27 octobre 2024.
Nous demandons la remise en liberté de M. Bougane Gueye Dany, placé en garde á vue suite á un refus d'obtempérer, selon la gendarmerie nationale. Cet incident mineur qui n'a pas mis en danger la vie des personnes doit être placé dans le contexte pré électoral actuel. 1/2 pic.twitter.com/V23IcjVXUD
— Seydi Gassama (@SeydiGassama) October 20, 2024
L'interpellation de journalistes et de personnalités politiques durant les dernières semaines jette un doute sur l'engagement du nouveau gouvernement à rompre avec les pratiques du gouvernement précédent.
Liberté d'expression
Harcèlement judiciaire et intimidation de journalistes à l'approche des législatives
Fin septembre, des pêcheurs ont découvert une pirogue contenant les corps de trente migrants au large de Dakar. Kader Dia, chroniqueur de SEN TV, a affirmé lors d'une émission que des membres de la Police nationale avaient accepté des pots-de-vin pour laisser passer l'embarcation. Il a été placé en détention le 30 septembre 2024 et a été inculpé d'incitation à la haine et de diffusion de fausses nouvelles. Il a été libéré quelques jours plus tard.
Kader Dia journaliste à la Sentv ne peut pas être arrêté ou aller en prison pour une chronique. Ça se règle par un dementi. Kader Dia doit être libéré immédiatement pour rejoindre sa rédaction. #FreeKaderDia https://t.co/FMDH5XmGxp
— Alioune Tine (@aliounetine16) October 1, 2024
Le 1ᵉʳ octobre 2024, Cheikh Yerim Seck, journaliste, fondateur du site d'information Dakaractu et ancien collaborateur de Jeune Afrique, a été convoqué et interrogé par la division de cybercriminalité de la police. Il a été accusé de diffamation et diffusion de fausses nouvelles. Durant son émission sur la chaîne de télévision privée 7 TV, il avait réfuté les chiffres avancés par le gouvernement sur la situation économique héritée du gouvernement précédent. Il a étayé ses propos par des chiffres publiés sur le site du ministère des Finances sénégalais.
La même division a convoqué l'opposant Bougane Guèye Dany le 2 octobre 2024. Comme nous l'avons indiqué ci-dessous, il a été placé en garde à vue pour diffusion de fausses nouvelles. Bougane Guèye Dany, qui avait exercé comme journaliste, est aujourd'hui un homme d'affaires à la tête d'un puissant groupe comprenant une chaîne de télévision, une radio, un quotidien, un site d'information et une agence de communication. Récemment, il a fondé le mouvement citoyen Gueum Sa Bopp et est devenu un opposant politique. Il a affirmé que les déclarations du premier ministre Ousmane Sonko sur le niveau d'endettement et de déficit public du pays étaient fausses.
À moins de deux mois des élections législatives anticipées, la convocation des trois hommes a provoqué un tollé parmi les organisations de journalistes et de défense des droits de l'homme, ainsi que dans l'opposition. Le Conseil des diffuseurs et des éditeurs de presse au Sénégal a dénoncé ce qu'il considère comme des actes d'intimidation contre la presse.
Les trois hommes ont été libérés le 3 octobre 2024.
Lorsqu'ils étaient encore dans l'opposition, Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye avaient vigoureusement protesté contre les arrestations pour diffamation ou diffusion de fausses nouvelles. En juin, les participants au Dialogue national sur la réforme et la modernisation de la Justice, convoqué par le président dès sa prise de fonctions, ont proposé d'abroger le délit d'offense au chef de l'État. Seydi Gassama, directeur d'Amnesty International Sénégal, a rappelé que les peines d'emprisonnement pour les délits de diffamation ou de diffusion de fausses nouvelles sont considérées comme « disproportionnées » par le droit international. Au Sénégal, cette infraction est punie d'une peine pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement (articles 254, 255 et 259-263 du Code pénal). Les organisations de défense des droits de l'homme demandent depuis plusieurs années l'abolition des peines de prison dans ce domaine.